Robert Silverberg - La compagne secrete

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La compagne secrete: краткое содержание, описание и аннотация

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Procéder à une approche de l’espace normal est peut-être la manœuvre la plus difficile à accomplir pour un vaisseau stellaire ; le capitaine doit aller jusqu’au bout de ses capacités, ainsi que tous les autres avec lui. Tout novice que j’étais dans ma fonction, je serais appelé à effectuer des opérations complexes, tenant de la gageure. Si j’échouais, d’autres membres de l’équipage pouvaient toujours intervenir ou, si nécessaire, les intelligences du vaisseau prendre les commandes ; mais si cela arrivait c’en serait fini de ma carrière, et il y avait la possibilité, infime mais présente, que le vaisseau lui-même soit gravement endommagé ou même perdu.

J’étais déterminé, malgré tout, à offrir à Vox les plus beaux adieux possible.

Le matin de notre approche je suis resté un certain temps au Niveau Écran Extérieur, à contempler le monde qui s’appelait Cul-de-Sac. Il luisait comme un œil rouge dans la nuit. Je savais que c’était le monde que Vox s’était choisi, mais il ne m’en apparaissait pas moins antipathique, presque malveillant. J’éprouvais ce sentiment à l’égard de tous les mondes des rampants à présent. Le Service m’avait changé ; et je savais que ce changement était irréversible. Je ne descendrais jamais plus sur un de ces mondes. Le vaisseau était désormais mon seul monde.

Je me suis rendu à la virtualité où attendait Vox.

« Viens », j’ai dit, et elle est entrée en moi.

Ensemble nous avons traversé le vaisseau jusqu’à la Grand-Salle de Navigation.

L’équipe d’approche était déjà au complet : de nouveau Raebuck, Fresco, Roacher, et aussi Pedregal, qui supervisait la livraison du chargement. L’intelligence de service était Jason 612. Je les ai salués de quelques hochements de tête et nous nous sommes branchés en chaîne d’approche.

Presque tout de suite j’ai senti Roacher qui me sondait, à la recherche de la fugitive qu’il continuait de me soupçonner d’abriter. Vox s’est repliée tout au fond de moi, hors d’atteinte. Je ne me faisais pas de souci.

Qu’il me sonde, j’ai pensé. Tout cela sera bientôt terminé.

« Demande d’instructions pour approche, a dit Fresco.

— Simulation », j’ai ordonné.

L’œil rouge vif de Cul-de-Sac a surgi devant nous dans la salle. De l’autre côté se trouvait le simulacre du vaisseau, entouré de rideaux de flammes blanches qui ondulaient comme le flamboiement de l’aurore.

J’ai donné le signal et nous sommes passés en mode d’approche.

Nous ne pouvions pas, naturellement, approcher de la surface de la planète à moins d’un million de longueurs de vaisseau, sinon les forces inexorables de Cul-de-Sac nous auraient mis en pièces. Mais il nous fallait aligner le vaisseau en pointant son mât déployé sur l’équateur de la planète, et demeurer fermement dans cette position tandis que les navettes de Cul-de-Sac viendraient en foule de leur monde rouge pour recevoir de nous leur chargement.

Jason 612 m’a fourni les coordonnées et je les ai transmises à Fresco, pendant que Raebuck gardait les canaux libres et que Roacher veillait à ce que nous ayons assez d’énergie pour ce que nous avions à faire. Mais dans les données que je transmettais à Fresco, chaque signe était inversé. Mon intention était de diriger le mât non vers Cul-de-Sac mais vers l’extérieur, vers les étoiles des cieux.

Tout d’abord personne n’a rien remarqué. Tout semblait se passer en douceur. Parce que mes interversions étaient justes, seul un examen minutieux de la position du vaisseau pouvait indiquer notre déplacement de 180 degrés.

Flottant dans l’apesanteur de la Grand-Salle de Navigation, j’avais presque l’impression de pouvoir déceler les mouvements du vaisseau. Une illusion, je le savais. Mais puissante. L’aiguille de dix kilomètres de long qu’était l’ Épée-d’Orion semblait en suspens, immobile, et voilà qu’elle commençait lentement, lentement, à tourner, pivotant sur son axe, tendant son puissant mât vers les étoiles. En douceur, lentement, silencieusement…

Quelle joie que de sentir ainsi le vaisseau dans ma main !

Le vaisseau était mien. J’en étais devenu maître.

« Capitaine, a dit Fresco tout bas.

— Du calme, Fresco. Continue de donner de l’énergie.

— Capitaine, les signaux ne sont pas normaux…

— Du calme. Du calme.

— Donnez-moi un relevé des coordonnées, capitaine.

— Encore un instant.

— Mais…

— Du calme, Fresco. »

À présent je sentais une certaine agitation chez Pedregal, et un lent et glacial remous d’interrogation chez Raebuck, puis Roacher m’a de nouveau sondé, peut-être à la recherche de Vox, peut-être simplement pour essayer de découvrir ce qui se passait. Ils savaient que quelque chose clochait, mais demeuraient incertains quant à ce que c’était.

Nous étions presque au maximum de notre extension à présent. Une vibration électrique s’est manifestée en moi : Vox en train de remonter mes niveaux mentaux, de s’approcher de la surface, de se préparer au départ.

« Capitaine, nous sommes tournés dans le mauvais sens ! s’est écrié Fresco.

— Je sais, j’ai dit. Du calme. Nous ferons demi-tour dans un moment.

— Il est devenu fou ! » a lâché Pedregal.

J’ai senti Vox glisser hors de mon esprit. Mais, d’une certaine façon, j’étais encore conscient de ses mouvements – sans doute parce que j’étais relié à Jason 612 et que Jason 612 contrôlait tout. En douceur, tranquillement, Vox s’est fondue dans la coque du vaisseau.

« Capitaine ! » a hurlé Fresco, et il a commencé à se battre avec moi pour prendre la direction des opérations.

J’ai tenu le navigateur à distance et regardé dans un calme étrange et merveilleux Vox passer en un instant à travers le système électrique du vaisseau et émerger au bout du mât, face aux étoiles. Et se jeter à la dérive.

Comme j’avais retourné le vaisseau, elle ne pouvait être capturée et détenue par le puissant réseau navigationnel de Cul-de-Sac ; elle était libre de s’enfoncer dans les cieux. Qui seraient pour elle comme une mer au gré de laquelle il ne lui restait plus qu’à s’abandonner. Au bout d’un certain temps elle serait si loin qu’elle ne pourrait plus rester en phase avec les bioprocesseurs de bord qui maintenaient les structures de sa conscience, et, même si le réseau d’impulsions électriques qui constituait la matrice de Vox ne devait jamais cesser d’aller de l’avant, toujours plus loin, l’ensemble de réactions qui constituait l’identité de Vox elle-même ne tarderait pas à perdre sa cohésion, commencerait à se relâcher et à se brouiller. Bientôt, ou peut-être à plus longue échéance, mais inévitablement, sa représentation d’elle-même comme entité indépendante disparaîtrait. Autrement dit, elle mourrait.

Je l’ai suivie aussi longtemps que j’ai pu. J’ai vu une étincelle traverser la vaste nuit. Puis plus rien.

« Très bien, j’ai dit à Fresco. Maintenant tournons le vaisseau dans le bon sens et livrons nos amis. »

19.

Tout cela remonte à bien des années. Peut-être personne ne se souvient-il de ces événements qui, même à moi, m’apparaissent aujourd’hui comme un rêve. L ’Épée-d’Orion m’a transporté depuis dans presque tous les coins de la galaxie. Durant certains voyages j’ai été capitaine ; pour d’autres, déchargeur, subrécargue, balayeur mental, et même parfois unité de propulsion. Dans le Service, peu importe la façon de servir.

Je pense souvent à elle. Il y a eu un temps où penser à elle revenait à faire face à des sentiments de chagrin, de souffrance et de perte irrémédiable, mais plus maintenant, depuis bien des années. Elle doit être morte depuis longtemps à présent, quelque vivace et résistante qu’ait pu être l’étincelle à laquelle elle se résumait. Et pourtant elle continue de vivre. De cela je suis certain. Il y a une place en moi où je peux joindre sa chaleur, sa force, sa vitalité fantasque, sa brusquerie déconcertante. Je sens tous ces aspects de sa personnalité, ces dons de son court temps d’asile à l’intérieur de moi, comme une présence toujours vivante, et je crois qu’il en sera toujours ainsi tant que j’irai d’un monde en laisse à un autre, tant que je serai du grand voyage, couvrant sans fin les noires années-lumière dans ce gigantesque vaisseau céleste.

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