Robert Silverberg - La compagne secrete
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- Название:La compagne secrete
- Автор:
- Издательство:Denoël
- Жанр:
- Год:неизвестен
- Город:Paris
- ISBN:2-207-30490-6
- Рейтинг книги:4 / 5. Голосов: 1
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Robert Silverberg
La compagne secrete
1.
C’était mon premier contact avec les cieux, je n’étais personne, absolument personne, et c’était ce voyage qui était censé faire de moi quelqu’un.
Mais le fait de n’être personne ne m’empêchait pas de regarder tous ces millions de mondes avec un profond sentiment de pitié. Ils étaient là tout autour de moi, lancés dans leur course à travers la nuit, chacun d’eux croyant qu’il allait quelque part. Et chacun d’eux à tort, bien sûr, car les mondes ne vont nulle part ; ils tournent en rond, singes pathétiques éternellement à l’attache au bout de leur chaîne. Ils ont l’air de bouger, oui. Mais en réalité ils font du surplace. Et moi – moi qui contemplais les mondes célestes plein de compassion pour eux – je savais que si j’avais l’air de faire du surplace, je n’en bougeais pas moins. Car j’étais à bord d’un vaisseau céleste, un vaisseau du Service, qui franchissait les années-lumière à une vitesse si incompréhensiblement élevée que c’était pratiquement comme si la vitesse n’existait plus.
J’étais très jeune. Mon vaisseau, à cette époque comme aujourd’hui, s’appelait l ’Épée-d’Orion et avait quitté Kansas Quatre à destination de Cul-de-Sac, Strappado, La Renardière et plusieurs autres mondes, via les points de rotation habituels. C’était mon premier voyage et c’était moi qui commandais. J’ai longtemps pensé que j’allais perdre mon âme au cours de ce voyage, mais je sais maintenant que ce qui se passait à bord de ce vaisseau ne signifiait pas la perte, mais l’acquisition d’une âme. Et peut-être de plus d’une.
2.
Roacher pensait que j’étais gentil. Je l’aurais tué pour ça ; mais naturellement il était déjà mort.
Il faut renoncer à la vie quand on part pour les cieux. Ce que vous obtenez en retour, c’est à moi de le savoir et à vous, si ça vous intéresse, de le découvrir ; mais le fait est, inéluctable, que vous laissez derrière vous tout ce qui vous attachait à la vie à terre, et que vous devenez quelque chose d’autre. Nous disons que l’on renonce au corps et que l’on acquiert une âme. Certes, vous pouvez conserver aussi votre corps, si vous y tenez. C’est ce qui se passe le plus souvent. Mais il ne vous sert plus à rien, dans le sens où vous pensez qu’un corps vous sert à quelque chose. Tout ça pour vous expliquer comment c’était pour moi lors de mon premier voyage à bord de l’ Épée-d’Orion, il y a tant d’années de cela.
J’étais le plus jeune officier à bord et, par conséquent, le capitaine.
On vous confie le commandement d’entrée de jeu, avant que vous soyez quelqu’un. C’est la seule épreuve vraiment significative : on vous jette à l’eau ; si vous arrivez à nager, vous ne coulez pas ; sinon, vous vous noyez. Les noyés retournent dans la cuve et se rendent utiles à leur façon, à titre d’unités de propulsion, déchargeurs, balayeurs mentaux, moussaillons lave-pont ou tout ce que vous voudrez. Ceux qui surnagent passent à d’autres postes de commandement. Personne n’est gaspillé. L’ère du Gaspillage est finie depuis longtemps.
Le troisième jour virtuel après notre départ de Kansas Quatre, Roacher m’a déclaré que j’étais le plus gentil capitaine sous les ordres de qui il ait jamais servi. Et il en avait connu des tas, car Roacher sillonnait les cieux depuis au moins deux cents ans, peut-être plus.
« Je vois ça dans vos yeux, la gentillesse. Je la vois à votre port de tête. »
Il ne disait pas cela comme un compliment.
« On peut vous déposer à Dernière Thulé, a-t-il ajouté. Personne ne retiendra cela contre vous. On vous mettra dans une bouteille, on vous enverra en bas, et les gens de Thulé vous attraperont, vous décanteront, et vous pourrez retrouver le chemin de Kansas Quatre dans vingt ou trente ans. Ce serait peut-être le mieux. »
Roacher est petit, tout desséché, avec une peau brune et des yeux qui brillent de la phosphorescence pourpre de l’espace. Certains des mondes qu’il a vus étaient déjà oubliés il y a un millier d’années.
« Mets-toi toi-même en bouteille, Roacher, lui ai-je retourné.
— Ah ! capitaine, capitaine ! Ne prenez pas ça mal. Là, capitaine, donnez-nous un peu de cette gentillesse. » Il a tendu une griffe pour me caresser la joue. « Un petit peu, capitaine, rien qu’un petit peu !
— Je ferai frire ton âme et me la mangerai au petit déjeuner, Roacher. Voilà la gentillesse que j’ai à t’offrir. Allez, file, veux-tu ? Va te brancher sur le mât et bois de l’hydrogène, Roacher. Allez, va. Va.
— Quelle gentillesse », a-t-il dit. Mais il est parti. J’avais les moyens de lui faire mal. Il savait que je le pouvais parce que j’étais le capitaine. Il savait aussi que je n’en ferais rien ; mais il y avait toujours la possibilité d’une erreur de jugement de sa part. Le capitaine existe dans cette marge qui sépare la certitude de la possibilité. Un homme d’équipage mesure la largeur de cette marge à ses risques et périls. Roacher savait cela. Il avait lui-même été capitaine, après tout.
Nous étions dix-sept lors de ce voyage dans les cieux, à composer le personnel d’un vaisseau de dix kilomètres de long de classe Grand Essaimeur, avec toutes les annexes et extensions et toutes les virtualités. Nous transportions une copieuse cargaison de ces choses alors considérées comme vitales dans les colonies lointaines : plasma-puces, intelligences artificielles, nœuds climatiques, fiches matricielles, machines soignantes, banques d’os, convertisseurs de terrain, sphères de transit, bulles de communication, synthétiseurs d’organes-et-épiderme, plaques pour la domestication des formes de vie sauvages, trousses de bricolage génétique, un caisson plombé de sable à effacer et autres armes proscrites, et ainsi de suite. Nous avions aussi cinquante milliards de dollars sous forme de monnules, transmissibles de banque centrale à banque centrale. Plus un chargement de passagers. Sept mille colons, dont huit cents sur pied et les autres stockés sous forme de matrices destinées à être transplantées dans des corps sur les mondes où ils se rendaient. En d’autres termes, un chargement classique. L’équipage travaillait à la commission, suivant en cela aussi l’usage normal, un pour cent de la valeur du connaissement réparti dans les proportions habituelles. Ma part était la cinquantième – c’est-à-dire deux pour cent des bénéfices nets du voyage – en comptant le bonus alloué à titre de capitaine ; autrement j’aurais eu la centième part ou quelque chose d’encore plus bas. Roacher avait la dixième part et son coenfiché Bulgar la quatorzième, bien qu’ils ne fussent même pas officiers. Ce qui démontre la valeur de l’ancienneté dans le Service. Mais ancienneté et faculté de survie sont équivalentes, après tout, et pourquoi le fait de survivre ne serait-il pas récompensé ? Lors de mon dernier voyage, j’ai eu droit à la dix-neuvième part. Et j’aurai mieux que ça au prochain.
3.
Vous n’avez jamais vu un vaisseau stellaire. Nous ne quittons pas les cieux ; quand un port est en vue, des navettes viennent à nous prendre livraison. Entre la surface planétaire et nous, nous ne nous permettons pas une distance de moins d’un million de longueurs de vaisseau. À nous approcher davantage nous serions mis en pièces par cette force terrible qui émane des mondes.
La vie de rampant ne nous manque pas pour autant. C’est pour nous la plaie des plaies. Si je devais descendre à terre maintenant, après avoir passé la majeure partie de ma vie dans les cieux, je mourrais du mal-des-largués en une heure. C’est une horrible façon de mourir ; mais pourquoi descendrais-je un jour à terre ? Cette éventualité existait pour moi à l’époque où je naviguais pour la première fois sur l’ Épée-d’Orion, voyez-vous, mais j’y ai renoncé depuis longtemps. C’est ce que je veux dire quand je déclare que l’on renonce à la vie lorsqu’on part pour les deux. Mais bien sûr ce qui vous quitte aussi, c’est le sentiment qu’être à terre puisse avoir quelque chose à voir avec être vivant. Si vous pouviez vous déplacer dans un vaisseau stellaire, ou même en voir un comme nous les voyons, vous comprendriez. Je ne vous en veux pas d’être ce que vous êtes.
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