Robert Silverberg - La compagne secrete

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La compagne secrete: краткое содержание, описание и аннотация

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Vox était partie. J’avais franchi quelque frontière infranchissable et je l’avais effrayée.

Du fond de mon engourdissement, j’ai donné le signal à Banquo, et il m’a ramené à l’intérieur.

13.

Tout seul, je suis remonté niveau par niveau à travers les mystérieuses ténèbres du vaisseau, en direction du Chas. Le fracas du silence était toujours aussi assourdissant, comme le déferlement de quelque vague colossale sur un rivage sans fin. Vox me manquait terriblement. Je n’avais jamais connu une solitude aussi complète que celle que je ressentais à présent. Je n’avais pas mesuré à quel point je m’étais habitué à sa présence, ni quel effet son départ aurait sur moi. Il avait suffi de ces quelques jours où je lui avais servi de refuge pour que j’en vienne à considérer qu’abriter deux esprits dans un même cerveau était le lot normal de l’humanité, et qu’être tout seul dans son crâne comme je l’étais à présent était quelque chose de honteux.

Comme j’approchais de l’endroit où le Pont Équipage se resserre dans la courbe du Chas, une mince silhouette a surgi de l’ombre sans crier gare.

« Capitaine ! »

J’avais la tête emplie de la perte de Vox et cette irruption m’a pris au dépourvu. J’ai fait un saut en arrière sous le coup de la surprise.

« Pour l’amour du Ciel, l’ami !

— Ce n’est que moi, Bulgar. Inutile d’avoir une telle frousse, capitaine. Ce n’est que Bulgar.

— Fichez-moi la paix », j’ai dit. Et je lui ai fait signe de débarrasser le plancher.

« Non. Attendez, capitaine. S’il vous plaît, attendez. »

Il m’a agrippé le bras, m’empêchant de poursuivre mon chemin. Je me suis arrêté et retourné vers lui, tremblant de colère et de surprise.

Bulgar, le coenfiché de Roacher, était un petit homme affable, à la voix douce, à la bouche large, au teint olivâtre, avec de grands yeux tristes. Roacher et lui sillonnaient les cieux ensemble depuis un temps qui remontait à bien avant ma naissance. Ils se complétaient l’un l’autre. Là où Roacher était petit et dur, comme un fruit qui aurait été laissé à sécher au soleil cent années durant, son coenfiché, Bulgar, était petit et tendre, avec quelque chose de charnu et d’appétissant dans son apparence. Ensemble ils formaient un être complet, un tout incontestable : je les imaginais facilement tous les deux dans leur couchette, branchés l’un à l’autre, une personne en deux corps, unis de façon encore plus intime que Vox et moi l’avions été.

Non sans peine, je me suis redonné une contenance. J’ai dit d’une voix ferme : « Qu’y a-t-il, Bulgar ?

— Est-ce que nous pouvons parler une minute, capitaine ?

— Nous sommes en train de parler. Qu’est-ce que vous, me voulez ?

— Cette matrice en liberté, mon capitaine. »

Ma réaction a dû être plus forte qu’il ne s’y attendait. Ses yeux se sont agrandis et il a fait un ou deux pas en arrière.

Humectant ses lèvres, il a poursuivi : « On se demandait, capitaine… on se demandait comment se passe la recherche… si vous aviez une idée de l’endroit où pourrait être la matrice… »

Sèchement : « Qui ça on, Bulgar ?

— Les hommes. Roacher. Moi. Quelques autres. Surtout Roacher, mon capitaine.

— Ah. Ainsi Roacher veut savoir où est la matrice. »

Le petit homme s’est rapproché. Il m’a dévisagé comme s’il cherchait Vox derrière le masque de mon visage soigneusement dépourvu d’expression. Savait-il ? Savaient-ils tous ? J’ai eu envie de crier : Elle n’est plus là, elle est partie, elle m’a quitté, elle s’est enfuie dans l’espace. Mais apparemment ce qui troublait Roacher et ses compagnons était quelque chose d’autre que la possibilité que Vox se soit réfugiée en moi.

Le ton de Bulgar était doux, insinuant, préoccupé. « Roacher est très inquiet, capitaine. Il s’est déjà trouvé sur des vaisseaux avec des matrices en liberté. Il sait quels ennuis elles peuvent causer. Il est vraiment inquiet, capitaine. Je suis obligé de vous le dire. Je ne l’ai jamais vu aussi inquiet.

— Qu’est-ce qu’il croit que la matrice va lui faire ?

— Il a peur de se faire coiffer.

— Coiffer ?

— Peur que la matrice ne pénètre dans sa tête par sa prise. Ne se mêle à son cerveau. C’est déjà arrivé, capitaine.

— Et pourquoi ça arriverait à Roacher, de préférence à tous les autres hommes à bord ? Pourquoi pas à vous ? Pourquoi pas à Pedregal ? Ou à Rio de Rio ? Ou à un autre passager ? » J’ai respiré un grand coup. « Pourquoi pas à moi, tant qu’on y est ?

— Il veut juste savoir où en est la situation avec la matrice, mon capitaine. Si vous avez quelque idée de l’endroit où elle peut se trouver. Si vous avez pu la piéger. »

Il y avait quelque chose d’étrange dans les yeux de Bulgar. Je me suis mis à penser que l’on était encore en train de me mettre à l’épreuve. Cette prétendue terreur qu’avait Roacher d’être infiltré et possédé par la matrice en vadrouille n’était peut-être qu’un moyen détourné de découvrir si la chose ne m’était pas déjà arrivée.

« Dites-lui qu’elle s’est en allée, j’ai répondu.

— En allée, capitaine ?

— En allée. Évanouie. Elle n’est plus nulle part sur le vaisseau. Dites-lui cela, Bulgar. Il n’a plus à avoir peur que cette fille se faufile par sa précieuse prise.

Cette fille ?

— Oui, il s’agit d’une matrice féminine. Mais ça n’a plus d’importance. Elle s’est en allée. Vous pouvez lui dire ça. Évadée. Enfuie dans les cieux. L’alerte est terminée. » Je lui ai lancé un regard noir. Il me tardait d’être débarrassé de lui, de me retrouver seul pour me repaître de mon nouveau chagrin. « Ne devriez-vous pas regagner votre poste, Bulgar ? »

Me croyait-il ? Ou pensait-il que j’avais bricolé un mauvais mensonge pour couvrir ma complicité dans l’absence prolongée de la matrice ? Pas moyen de le savoir. Bulgar m’a gratifié d’une petite courbette et a commencé à reculer.

« Bien, mon capitaine, a-t-il dit. Merci, mon capitaine. Je lui dirai, mon capitaine. »

Il s’est retiré dans l’ombre. J’ai poursuivi ma route vers les niveaux supérieurs.

J’ai croisé Katkat sur mon chemin et, peu après, Raebuck. Ils m’ont regardé sans dire un mot. Il y avait du reproche mais aussi un petit quelque chose de presque affectueux dans l’expression de Katkat, mais le regard glacé, mauvais, de Raebuck m’a presque fait défaillir. Chacun à sa manière disait : Coupable, coupable, coupable. Mais de quoi ?

Avant j’imaginais que chaque personne que je rencontrais à bord était capable de dire au premier coup d’œil que j’abritais la fugitive, et se contentait d’attendre que je me trahisse à la suite de quelque faux pas. À présent, c’était l’inverse. Ils me regardaient et je me disais qu’ils pensaient : Il est tout seul ici, il n’a absolument personne d’autre que lui, et j’avais un mouvement de recul, honteux de ma solitude. Je savais que c’était le seuil de la folie. J’étais surmené, exténué, peut-être avait-ce été une faute d’aller marcher une seconde fois dans les étoiles, si tôt après la première. J’avais besoin de me reposer. J’avais besoin de me cacher.

Je me suis mis à souhaiter qu’il y ait quelqu’un à bord de l’ Épée-d’Orion avec qui je pourrais discuter de tout cela. Mais qui ? Roacher ? Jason 612 ? J’étais totalement isolé ici. La seule personne à qui je pouvais parler sur ce vaisseau était Vox. Et elle était partie.

Dans la sécurité de ma cabine je me suis branché sur l’unité médicale et me suis offert dix minutes de purge mentale. Ça m’a fait du bien. Les peurs fantômes et l’embrouillamini de doutes qui avaient pris possession de moi ont commencé à refluer.

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