Robert Silverberg - La compagne secrete

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La compagne secrete: краткое содержание, описание и аннотация

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Et voilà que je faisais mon possible pour briser toutes les barrières qui subsistaient entre nous.

Jusque-là, je ne lui avais rien laissé connaître de ma vie avant mon départ pour les cieux. J’avais réagi à ses questions par des dérobades effarouchées, des demi-vérités ou de francs refus. C’est ainsi que je m’étais toujours comporté avec autrui, en être renfermé, peu enclin à se révéler. J’étais peut-être resté encore plus secret avec Vox qu’avec tous les autres, en raison de la promiscuité mentale dans laquelle nous vivions. Comme si je craignais, en lui accordant la moindre connaissance intérieure de moi-même, de lui ouvrir la brèche qui lui permettrait de s’emparer entièrement de moi, de m’absorber dans son âme aussi vigoureuse qu’indocile.

Mais je lui offrais désormais mon passé dans un joyeux élan. Nous avons commencé à nous retirer lentement de cet endroit apocalyptique au centre de tout ; et tandis que nous flottions au sein du Grand Large, dérivant entre l’obscurité et l’explosion de lumière créée par le vaisseau, je lui ai dit à mon sujet tout ce que j’avais jusque-là gardé pour moi.

Je suppose que ce n’étaient que des détails sans intérêt, même s’ils étaient pour moi si hautement chargés de signification. Je lui ai dit le nom de ma planète d’origine. Je la lui ai fait voir. La mer couleur de plomb, le ciel couleur de fumée. Je lui ai montré la grisaille des quelques promontoires embroussaillés qui s’élevaient derrière notre maison et où j’allais courir tout seul pendant des heures, grande perche dont les pieds martelaient infatigablement les sables craquants comme si tous les diables étaient à ses trousses.

Je lui ai tout montré : l’enfant taciturne, l’adolescent inquiet, le jeune homme méfiant et exagérément circonspect. Les camarades qui restaient toujours des étrangers, les amis dont les voix se noyaient dans les échos d’un vain babillage, les amantes dont l’amour semblait sans consistance ni signification. Je lui ai parlé de cette impression que j’avais d’être le seul être vivant au monde, de n’être entouré que d’êtres artificiels pleins de rouages et de câbles. Ou que le monde n’était qu’un rêve incolore et sans relief dans lequel j’avais été d’une façon ou d’une autre pris au piège, mais dont je finirais par me réveiller pour connaître le vrai monde, tout de lumière, couleur, richesse de texture. Ou que je n’étais peut-être nullement humain, mais avais été abandonné dans la galaxie humaine par des créatures d’une espèce complètement différente, qui reviendraient me chercher dans quelque lointain futur.

C’est sur le ton de la bonne humeur que je lui ai raconté tout cela, et elle ne l’a pas pris au tragique. Elle interprétait ces pensées pour ce qu’elles étaient – non des symptômes de folie, mais les fantasmes moroses d’un enfant solitaire cherchant à trouver un sens à un monde incompréhensible où il se sentait étranger et apeuré.

« Mais vous vous en êtes sorti, a-t-elle dit. Vous avez trouvé un endroit où vous vous sentiez à votre place !

— Oui. Je m’en suis sorti. »

Et je lui ai parlé du jour où j’avais vu une soudaine lumière dans le ciel. Ma première pensée avait été que mes véritables parents revenaient me chercher ; la seconde, que c’était quelque comète de passage. Cette lumière était un vaisseau stellaire qui avait quitté les cieux pour entrer dans notre système. Et tandis que je me crevais les yeux à essayer de percer les ténèbres pour apercevoir les navettes qui se dirigeaient vers lui avec le lot de marchandises et de passagers en partance de notre monde pour quelque destination inconnue à l’autre bout de la galaxie, je me suis rendu compte que ce vaisseau stellaire était mon véritable foyer. Je me suis rendu compte que mon destin était là. Dans le Service.

Et c’est ainsi, ai-je dit, que j’en étais venu à abandonner mon monde, mon nom et ma vie, telle qu’elle était, pour faire partie de ceux qui naviguent entre les étoiles. Je lui ai fait savoir que c’était mon premier voyage, lui expliquant qu’il était dans les habitudes du Service de mettre à l’épreuve tous les nouveaux officiers en leur confiant d’emblée le commandement. Elle m’a demandé si j’avais trouvé le bonheur ici ; et j’ai dit tout de suite : Oui, puis un instant après : Non, pas encore, mais j’en aperçois enfin la possibilité.

Elle est restée un moment silencieuse. Nous regardions les mondes graviter et les étoiles pareilles à de flamboyantes pointes de couleur filer vers leurs lointaines destinations, et le violent éclat blanc du vaisseau lui-même ruisseler dans le firmament comme le sang de quelque dieu étranger. La pensée m’est venue de tout ce que je risquais en la cachant ainsi en moi. Je l’ai chassée. Ni l’endroit ni le moment ne se prêtaient au doute, à la peur ou à l’appréhension.

Puis elle a dit : « Je suis heureuse que vous m’ayez raconté tout ça, Adam.

— Oui. Moi aussi.

— Je l’ai senti dès le début, quelle sorte de personne vous étiez. Mais j’avais besoin de l’entendre formuler avec vos propres mots, vos propres pensées. C’est comme je disais. Vous et moi sommes de la même espèce. Des chevilles carrées dans un monde de trous ronds. Vous avez fui vers le Service et j’ai fui vers une nouvelle vie dans le corps de quelqu’un d’autre. »

Je me suis avisé que Vox ne parlait pas de mon corps, mais de celui qui l’attendait sur Cul-de-Sac.

Et je me suis avisé du même coup qu’il y avait quelque chose d’elle qu’elle n’avait jamais partagé avec moi, ce quelque chose étant la nature du défaut qui lui avait fait rejeter son ancien corps. Si je la connaissais mieux, j’ai pensé, je pourrais l’aimer plus profondément, imperfections comprises, comme le veut l’amour. Mais elle s’était gardée de me dire cela, et je ne l’avais pas encouragée dans cette voie. À présent, ici, sous le froid miroitement des cieux, nous étions certainement entrés dans un espace d’absolue confiance, de totale union des âmes.

Je lui ai dit : « Laissez-moi vous voir. Vox.

— Me voir ? Comment pourriez-vous…

— Donnez-moi une image de vous. Vous êtes trop abstraite pour moi ainsi. Vox. Une voix. Rien qu’une voix. Vous me parlez, vous vivez en moi, et je n’ai toujours pas la moindre idée de ce à quoi vous ressemblez.

— Je tiens à ce qu’il en soit ainsi.

— Vous ne voulez pas me montrer comment vous êtes ?

— Je n’aurais rien à vous montrer. Je suis une matrice. Je ne suis que de l’électricité.

— Je comprends bien. Je veux dire comment vous étiez avant. Votre ancienne apparence, celle que vous avez abandonnée sur Kansas Quatre. »

Pas de réponse.

J’ai cru qu’elle hésitait, qu’elle réfléchissait ; mais un certain temps s’est écoulé et toujours rien. Rien que du silence, un silence qui s’était abattu entre nous comme un rideau de fer.

« Vox ? »

Rien.

Où se cachait-elle ? Qu’est-ce que j’avais fait ?

« Qu’est-ce qui se passe ? C’est à cause de ce que je vous ai demandé ? »

Pas de réponse.

« Ça va, Vox. Oublions ça. Ça n’a aucune importance. Vous n’êtes pas obligée de me montrer quelque chose que vous n’avez pas envie de me montrer. »

Rien. Silence.

« Vox ? Vox ? »

Les mondes et les étoiles tournoyaient de façon chaotique devant moi. Le grondement lumineux du vaisseau a parcouru en un instant toutes les nuances du spectre. Gagné par la panique je suis parti à sa recherche et n’ai trouvé aucune trace de sa présence en moi. Rien. Rien.

« Ça va ? » a fait une autre voix. Banquo, de l’intérieur du vaisseau. « Je reçois des signaux plutôt affolés. Vous feriez bien de rentrer. Vous êtes resté dehors assez longtemps. »

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