Connie Willis - Black-out

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Oxford, futur proche. L’université est définitivement dépoussiérée : historien est devenu un métier à haut risque. Car désormais, pour étudier le passé, il faut le vivre. Littéralement.
Michael Davies se prépare pour Pearl Harbor, Merope Ward est aux prises avec une volée d’enfants évacués en 1940, Polly Churchill sera vendeuse en plein cœur du Blitz, et le jeune Colin Templer irait n’importe où, n’importe quand, pour Polly…
Ils seront aux premières loges pour les épisodes les plus fascinants de la Seconde Guerre mondiale. Une aubaine pour des historiens, sauf que les bombes qui tombent sont bien réelles et une mort soudaine les guette à tout moment. Sans parler de ce sentiment grandissant que l’Histoire elle-même est en train de dérailler.
Et si, finalement, il était possible de changer le passé ?

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— Marjorie ! souffla Polly.

Et elle courut vers elle.

Doreen arriva la première.

— Quand as-tu quitté l’hôpital ? demanda-t-elle. Pourquoi n’avoir rien dit ?

Marjorie négligea l’intervention de Doreen.

— Oh ! Polly ! s’exclama-t-elle. Je suis si contente de te retrouver !

Elle était effrayante à voir, si maigre, avec des cernes noirs sous les yeux… Quand Polly la serra dans ses bras, elle sursauta.

— Désolée. J’ai bien peur de m’être cassé quatre côtes.

— Et tu n’as rien à faire ici, la gronda Polly. Tu n’as pas l’air de quelqu’un qu’on aurait dû laisser sortir de l’hôpital.

— Pour le moins, rit Marjorie.

Mais sa voix chevrotait.

Mlle Snelgrove s’approcha.

— Que faites-vous là, Marjorie ? Votre docteur n’aurait jamais dû permettre…

— Il ne l’a pas fait. Je… je suis venue de mon propre chef.

Un peu vacillante, elle porta une main à son front.

— Mademoiselle Sebastian, courez lui chercher une chaise, ordonna Mlle Snelgrove.

Polly s’exécutait quand Marjorie saisit sa manche.

— Non, s’il te plaît, Polly, reste avec moi.

— J’y vais, proposa Doreen.

— Merci, acquiesça Marjorie, qui s’accrochait toujours à Polly.

Doreen partie, elle se tourna vers Mlle Snelgrove.

— Vous serait-il possible de signaler à M. Witherill que je suis ici ? J’avais l’intention de monter au bureau pour lui parler de mon retour, mais je crains de ne pas me sentir…

— Ne vous inquiétez pas, répondit gentiment Mlle Snelgrove. Je peux vous garantir que votre place vous attendra, quel que soit le moment de ce retour. (Doreen apportait la chaise, et Marjorie s’affala dessus.) Et prenez autant de temps qu’il le faudra.

— Merci, mais si je pouvais juste parler à M. Witherill…

— Certainement, ma chère.

Mlle Snelgrove lui tapota la main et se dirigea vers les ascenseurs.

— Que lui avez-vous fait ? dit Doreen, qui la regardait s’éloigner d’un air médusé. Ça fait des semaines qu’elle est d’une humeur massacrante ! (Elle se tourna vers Marjorie.) Tu ne nous as pas raconté ce que tu faisais à Jermyn Street.

— Doreen, pourrais-je avoir un verre d’eau ? réclama Marjorie d’une voix faible. Pardonne-moi de te casser les pieds…

— Je t’apporte ça tout de suite.

Et Doreen détala.

— Ah ! tu n’aurais pas dû venir, s’alarma Polly.

— Il le fallait. (Elle agrippa le bras de son amie.) Je l’ai envoyée chercher de l’eau pour te parler tranquillement. J’étais si inquiète. Tu as eu des ennuis ?

— Des ennuis ?

— Parce que je n’étais pas là pour prévenir Mlle Snelgrove de ton absence, déclara-t-elle, les larmes aux yeux. Je suis tellement désolée. Je ne m’en suis souvenue que ce matin. J’ai entendu deux des infirmières discuter, et la première disait qu’elle avait besoin de s’en aller tôt et demandait à la seconde de la couvrir. Et je me suis dit : Oh non ! j’étais censée couvrir Polly si elle ne rentrait pas à temps lundi . Je suis venue aussi vite que j’ai pu. Il a fallu que je m’échappe en douce de l’hôpital…

— Tout va bien. Il n’y a aucune raison que tu te tracasses. Il ne s’est rien passé.

— Alors, tu es vraiment rentrée à temps travailler ce lundi-là ! (Ses joues retrouvèrent leur couleur, et elle parut si soulagée que Polly n’eut pas le courage de la détromper.) L’idée que Mlle Snelgrove avait pu te virer me désespérait.

Elle aurait adoré ça.

— Non, je ne me suis pas fait virer.

— Et ta mère n’était pas trop mal ?

Polly acquiesça.

— C’est bien. J’avais si peur que tu aies dû rester et que je t’aie laissée tomber.

Toi , me laisser tomber ? C’est moi qui t’ai laissée tomber. Je te croyais partie pour Bath. J’aurais dû savoir que tu ne pouvais pas avoir quitté Londres sans m’informer. J’aurais dû prévenir les autorités que tu avais disparu. J’aurais dû leur demander de reg…

Marjorie secouait la tête.

— Ils n’auraient pas pu me trouver. Je n’avais dit à personne où j’allais.

— Et allais-tu ?

Polly regretta aussitôt sa question. Marjorie avait l’air accablée.

— Ne t’inquiète pas, enchaîna-t-elle en hâte. Tu n’as pas besoin d’en parler si tu n’en as pas envie. (Elle regarda les ascenseurs.) Je ne comprends pas pourquoi Doreen met si longtemps avec l’eau. Je vais voir ce qui la retient.

— Merci. Ta cousine t’a-t-elle retrouvée ?

Polly se figea.

— Ma cousine ?

— Oui. Elle est venue le jour où tu étais partie. Eileen O’Reilly…

Merope. Ils avaient envoyé Merope. Bien sûr. Elle ne connaissait pas seulement Polly, mais aussi la période historique. Mais quelle ironie ! Pendant que Merope la cherchait ici, Polly était à Backbury à sa recherche.

— Elle m’a raconté que vous étiez allées à l’école ensemble.

À l’école.

— C’est vrai. Elle est passée le samedi de mon départ ?

Cela faisait presque quatre semaines.

— Oui. Je lui ai indiqué que tu serais de retour lundi. Elle n’est pas revenue ?

— Non. Qu’a-t-elle dit d’autre ?

— Elle a demandé si tu travaillais là, et j’ai répondu oui, et elle a demandé où elle pourrait te trouver.

— Et alors ?

— Elle était si pressée de te contacter ! Je lui ai appris que tu étais partie rendre visite à ta mère dans le Northumberland.

Et en entendant l’explication que le labo leur fournissait pour couvrir leur disparition en fin de mission, Merope avait dû conclure que Polly était déjà rentrée à Oxford. Voilà pourquoi elle n’était pas revenue lundi.

— Elle m’a donné son adresse, continua Marjorie, mais j’ai peur de l’avoir perdue. Elle était dans l’une de mes poches et, quand ils m’ont secourue, ils ont dû couper mes vêtements à cause de tout le sang… L’infirmière m’a dit qu’ils les avaient bazardés.

— Et tu ne t’en souviens pas ?

— Non, reconnut-elle, et l’accablement crispa de nouveau ses traits. C’était à Stepney. Ou Shoreditch. Quelque part dans l’East End. J’y ai juste jeté un coup d’œil, tu sais. Je pensais te l’apporter lundi matin. Mais je me rappelle où elle travaille.

— Elle travaille ? répéta Polly, stupéfaite.

— Oui. C’est facile parce que c’est ici, sur Oxford Street comme nous. Chez Padgett’s .

— Voilà, fit Doreen qui arrivait en tendant un verre d’eau. Excuse-moi, j’ai dû monter jusqu’à la salle à manger et, quand je leur ai appris que c’était pour toi, ils ont voulu que je leur donne de tes nouvelles. Il faut nous raconter ce qui s’est passé. On croyait que tu avais filé en douce, n’est-ce pas, Polly ? Pourquoi es-tu partie sans…

— Marjorie, l’interrompit Polly, es-tu certaine qu’elle a dit Padgett’s ?

— Oui, elle a dit qu’elle travaillait au…

Elle jeta un coup d’œil en direction des ascenseurs. Mlle Snelgrove et M. Witherill quittaient celui du centre. Ils les rejoindraient dans un instant.

— Elle travaillait au…, pressa Polly.

— Au troisième étage. À la mercerie. Je m’en souviens parce que c’est le même étage que le nôtre et, quand j’ai commencé chez Townsend Brothers , c’est aussi le rayon où je…

— Mademoiselle Hayes, déclama M. Witherill en approchant de Marjorie, au nom de Townsend Brothers , permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue.

— Je lui ai promis qu’on maintiendrait son poste jusqu’à ce qu’elle soit prête à revenir, dit Mlle Snelgrove.

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