— D’accord, allons-y tout de suite. » Le Chasseur envoya la plus grande partie de son corps autour du bout de bois acéré afin d’empêcher que son hôte ne perde trop de sang lorsque l’éclat quitterait la cheville de Bob. Les lèvres serrées par la douleur, le jeune garçon tira sa jambe centimètre par centimètre, faisant un nouvel effort chaque fois que le Chasseur le lui disait. Il fallut plusieurs minutes pour mener à bien l’opération, puis finalement Bob sentit sa cheville libre.
Tout en connaissant parfaitement les conditions particulières dont il bénéficiait, Bob fut un peu étonné de voir que son pantalon était à peine taché par la terre. Il s’apprêtait à le relever pour voir sa blessure, mais le Chasseur arrêta son geste :
« Attendez un peu si cela ne vous fait rien ! Pour l’instant allongez-vous et restez immobile quelques minutes. Je sais que vous n’en n’éprouvez pas le besoin, mais croyez-moi c’est indispensable. »
Bob jugea que le Chasseur savait mieux que lui ce qui se passait dans son corps et il obéit à l’invite. Normalement il aurait dû s’évanouir, car avec une telle blessure la volonté n’a pas grand effet. Grâce au Chasseur il n’éprouvait aucun malaise et attendit quelques instants allongé sur le sol.
Tout s’était passé si rapidement que Bob avait à peine eu le temps de s’en rendre compte, mais à présent il comprenait que les événements qui venaient de se produire dans la dernière demi-heure avaient suivi avec une fidélité étonnante les vagues craintes dont il s’était entretenu, en plaisantant, avec le Chasseur. Cette succession de faits s’ajoutant au dévouement de la créature invisible qui l’habitait l’impressionnèrent fortement.
Pour le Chasseur qui avait eu le temps d’examiner en détail les os de l’infortuné Tip et le bout de bois pointu qui avait blessé profondément son hôte, il ne s’agissait là que d’une simple coïncidence. S’étant rendu compte que le fugitif n’était aucunement mêlé à l’une ou l’autre de ces aventures, il ne songea même pas à faire part de sa certitude à Bob. À ce moment les pensées du jeune garçon s’éloignèrent totalement de celles du Chasseur et cette divergence qui aurait pu avoir des effets funestes devait se révéler par la suite extrêmement salutaire.
Bob était allongé depuis quelque temps lorsqu’une voix s’éleva non loin de là, clamant son nom à tous les échos. Le jeune garçon voulut se mettre debout aussitôt et faillit s’évanouir tant la douleur qu’il ressentait dans la jambe était forte.
« J’avais complètement oublié Norman, déclara Bob à haute voix. Il a dû en avoir assez d’attendre et vient à ma rencontre. » Avec beaucoup plus de précautions, il s’appuya sur sa jambe blessée et ne put retenir une grimace. Tout médecin lui aurait déconseillé fortement de marcher aussi vite après son accident et le Chasseur était du même avis.
« Je ne peux pas faire autrement, affirma Bob. Si je déclare ne plus pouvoir marcher, on va me mettre au lit et je ne vous serai plus d’aucun secours. Je vais faire l’impossible pour dissimuler ma douleur et de toute façon je n’ai pas à redouter l’infection puisque vous êtes là.
— J’admets qu’aucune complication n’est à craindre, mais…
— Il n’y a pas de mais ! Si jamais quelqu’un apprenait que je me suis blessé si profondément on m’enverrait aussitôt chez le docteur, qui ne voudrait certainement pas croire qu’avec un tel trou dans la cheville, j’aie pu rentrer chez moi sans la moindre hémorragie. Vous avez trop fait pour moi à présent pour pouvoir demeurer caché plus longtemps. »
Le jeune garçon se mit à descendre la colline en boitant un peu, pendant que le Chasseur ne pouvait que déplorer cette association dans laquelle il se trouvait engagé et dont l’un des membres voulait prendre la direction des opérations sans être qualifié pour cela.
Quelques instants plus tard le Chasseur songea qu’il ne serait peut-être pas mauvais au fond que le médecin fût mis au courant de sa présence. On trouverait probablement en lui un allié précieux. Bob possédait assez de preuves à présent pour entraîner la conviction d’un être plus borné que ne l’était le docteur Seever. Le jeune garçon n’aurait aucun mal à prouver que le Chasseur était bien réel et non pas un produit de son imagination. Malheureusement le Chasseur y songea trop tard pour en faire part à Bob, car Norman apparaissait au détour du sentier.
« Où étais-tu ? lui demanda-t-il. Qu’est-ce qui t’est arrivé ? J’ai eu le temps de prendre ma bicyclette et d’aller devant chez toi pour t’attendre assez longtemps pour prendre racine. Tu t’es accroché dans les ronces ?
— Je suis tombé, dit Bob, et je me suis collé un sacré coup à la jambe. Pendant un petit bout de temps je n’ai pas pu poser le pied par terre.
— Pauvre vieux ! Et à présent, ça va mieux ?
— Pas encore très fort. Mais j’arrive à marcher. En tout cas je pourrai faire du vélo. Viens avec moi à la maison pour prendre le mien. »
La rencontre des deux camarades s’était produite non loin de la maison des Kinnaird, car Hay n’avait pas voulu s’aventurer très loin dans la jungle, de peur de manquer son camarade. Malgré la blessure de Bob, ils arrivèrent chez lui en quelques minutes et il fut enchanté de voir qu’effectivement il pouvait aller à bicyclette en s’abstenant simplement de trop appuyer sur la pédale du pied malade.
Ils se dirigèrent alors vers le chantier de construction, échangeant des plaisanteries quant aux difficultés que devaient rencontrer leurs copains pour pousser le bateau à demi submergé à travers les brisants. Puis ils se mirent à chercher tout ce qui pourrait se révéler d’une utilité quelconque pour les réparations à effectuer. Le bois ne manquait pas et bien avant l’heure du dîner ils avaient eu le temps de constituer de petits tas soigneusement dissimulés en divers endroits éloignés pour être sûrs que personne n’y toucherait jusqu’au lendemain. D’une certaine manière ils étaient honnêtes, car ils se promettaient de demander l’autorisation par la suite.
Deux événements empêchèrent Bob de revenir sur les lieux après l’école. Le lundi matin, son père s’aperçut qu’il boitait en descendant l’escalier et lui en demanda la raison. Bob donna la même explication qu’à Hay, mais son père lui dit alors :
« Montre un peu ! »
Bob, un peu inquiet, remonta son pantalon à mi-jambe, découvrant ainsi l’endroit de sa blessure. Celle-ci avait, évidemment, assez bon aspect, car le Chasseur avait fait le nécessaire pour resserrer les tissus. Au grand soulagement de son fils, M. Kinnaird ne l’interrogea pas sur la profondeur de sa blessure et sembla admettre qu’aucun danger d’infection n’était à redouter. Pourtant le soulagement de Bob fut de courte durée, car son père s’éloigna en déclarant :
« Je suis content que ce ne soit pas plus grave, mais si tu boites encore demain tu feras bien d’aller faire un tour chez le docteur Seever. »
Le respect que le Chasseur éprouvait pour M. Kinnaird s’accroissait chaque jour devant la logique froide du père de Bob.
En se rendant à l’école, Bob ne put penser à autre chose. Il était presque sûr que ses muscles froissés l’obligeraient à boiter pendant quelques jours encore. Chasseur ou pas Chasseur, il serait assurément incapable de marcher très droit devant son père qui devait se rendre également au chantier de construction. À la fin de la classe, un autre incident le retarda. Le professeur s’occupant des élèves les plus âgés lui demanda de rester quelques minutes afin de faire le point de ses connaissances par rapport à celles de ses camarades. Bob eut le temps de prévenir les autres qu’il arriverait plus tard et les vit partir d’un œil triste vers le nouveau réservoir. Puis il retourna vers la salle de classe pour subir l’assaut des questions de son professeur. L’entretien dura plus longtemps qu’il ne l’escomptait. Comme il arrive fréquemment lorsqu’un élève change d’institution, les programmes diffèrent sur certaines matières. Quand Bob fut enfin d’accord avec son professeur sur le niveau d’instruction qui lui convenait, ses camarades avaient certainement obtenu déjà tout le matériel nécessaire et retournaient à la crique.
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