« Vous pouvez le jeter maintenant.
— Avez-vous trouvé quelque chose ?
— À peine. Mais selon toute évidence notre fugitif n’a rien à voir là-dedans. La moelle de l’os s’est décomposée normalement ainsi que le sang et les autres matières organiques qui emplissaient les tubes minuscules de l’os. On comprendrait mal ce qui aurait poussé notre fugitif à rester ici assez longtemps pour consommer toute la chair du chien et en laissant ce que j’ai découvert. Notre hypothèse des fourmis a toutes les chances d’être vraie.
— Mais vous n’en n’êtes pas certain ?
— De quoi peut-on être sûr dans ce domaine ? Cependant il faudrait admettre une coïncidence extraordinaire pour imaginer que notre arrivée à fait partir le fugitif sans lui laisser le temps de tout dévorer. Mais il faut examiner toutes les possibilités.
— Et où serait-il alors ?
— Bob, ne croyez pas que je veuille défendre cette hypothèse ridicule. Cependant si l’on veut aller jusqu’au bout, le seul endroit possible pour lui aurait été de se réfugier dans votre corps. Mais je puis vous affirmer qu’il n’a fait aucune tentative de ce genre.
— Peut-être a-t-il deviné votre présence. »
Le Chasseur aimait bien le jeune garçon, mais à certains moments, il le trouvait particulièrement énervant.
« Effectivement il a pu déceler ma présence et peut-être est-il en train de fuir à toute vitesse à travers les buissons. »
Si la voix du Chasseur avait pu être entendue, Bob y aurait décelé une certaine note de lassitude. Il se contenta de sourire et se mit à redescendre la colline. Le Chasseur remarqua pourtant qu’il faisait le tour de l’endroit où gisait le squelette du chien. Aussi improbable que pût être son hypothèse, Bob tenait beaucoup à la vérifier puisqu’il en avait la possibilité sur-le-champ.
« Vous semblez oublier qu’un de vos camarades vous attend.
— Non ! Non ! Mais ce ne sera pas long.
— Je croyais que vous aviez l’intention de faire tout le tour de ce massif de plantes piquantes et j’allais vous faire remarquer que si votre supposition est juste, vous risquez fort de tomber dans un piège. J’admets fort bien que vous n’ayez pas peur, mais essayez au moins d’être logique.
— Jolie phrase, murmura Bob, il faudra que vous m’en appreniez d’autres semblables. Si vous regardiez un petit peu autour de vous vous verriez que nous descendons vers la crique, et que l’on va rencontrer le sentier où nous étions hier, pour regagner la maison. Je sais que ce n’est pas le chemin le plus rapide, mais c’est le plus sûr. »
Bob cessa brusquement de parler et fit un bond sur le côté au moment où un petit animal jaillit soudainement d’un buisson pour aller se cacher sous un autre.
« Ces sacrés rats, reprit Bob. Si l’on pouvait seulement trouver quelques millions d’êtres comme vous pour nous débarrasser de ce fléau.
— Nous avions des ennuis semblables avec les mêmes bêtes dans mon univers, répliqua le Chasseur. Lorsqu’elles devenaient trop ennuyeuses nous les exterminions ; mais je crains qu’un problème beaucoup plus sérieux se présente à nous sous peu. D’après la tournure des événements j’ai l’impression qu’il va falloir mettre votre idée primitive à exécution, tout au moins pour examiner le jeune Teroa. »
Sans mot dire, Bob acquiesça de la tête et tout en marchant, il examinait les possibilités de réaliser son projet. Les buissons étaient plus clairsemés à présent et l’on pouvait marcher sans être obligé de baisser constamment la tête. Bob arriva à la source du ruisseau qui allait se jeter dans la crique. Même à son origine, le torrent était assez large et profond. De mémoire d’homme, la source ne s’était jamais tarie. Une épaisse végétation garnissait les bords et l’on apercevait les racines qui sortaient de place en place. Des blocs de rocher étaient tombés, formant des passages naturels recouverts de mousse. En plusieurs points un tronc d’arbre barrait le cours, provoquant ainsi de petites mares d’où jaillissaient, par endroits, de minces cascades.
C’est devant une telle mare que Bob et le Chasseur atteignirent le ruisseau. L’arbre qui en était la cause devait être là depuis de nombreuses années, car il n’avait plus de branches et ses extrémités étaient à demi enfouies dans le sol. De l’autre côté, l’eau avait creusé une étroite tranchée en s’écoulant, aggravant ainsi la situation de l’arbre qui ne reposait plus que par les deux bouts. Bob s’approcha et, sans le moindre signe avant-coureur, le sol s’effondra sous lui. Il ressentit un choc violent à la cheville. Il eut les réflexes assez rapides pour se rattraper à une branche et resta quelques instants en déséquilibre, la jambe droite enfouie jusqu’au genou.
Brusquement il ressentit une vive douleur dans le pied et aussitôt le Chasseur lui dit sur un rythme précipité :
« Attention, Bob, ne bougez pas votre jambe droite.
— Qu’est-ce que j’ai ? Cela me fait mal !
— Je comprends ! Laissez-moi faire. Vous vous êtes profondément coupé sur un bout de bois et je vous répète de ne pas bouger. Ce serait plus grave encore. »
Le Chasseur avait tout de suite vu ce qui s’était passé. Un long éclat de bois très fin enfoncé tout droit dans le sol était entré en diagonale sous la cheville de Bob et le poids du jeune garçon reposait dessus. Le bout de bois frôlait à présent l’os du cou-de-pied et avait légèrement entamé l’artère. Sans la présence du Chasseur, le jeune garçon éloigné comme il l’était de tout secours aurait très bien pu succomber à une hémorragie avant que quiconque se soit alarmé de son absence.
Le Chasseur s’était mis immédiatement à l’ouvrage et il avait fort à faire. Sans perdre une minute, il s’occupa de refermer les déchirures du système circulatoire et détruisit la multitude de micro-organismes qui venaient d’entrer dans le corps de Bob. De plus, le bois semblait fixé dans la terre et Bob se trouvait immobilisé sur place sans pouvoir retirer sa jambe. Le Chasseur envoya plusieurs tentacules en exploration afin de se rendre compte de la nature exacte du sous-sol.
Les premiers résultats ne furent guère encourageants. Les pseudopodes du Chasseur rencontrèrent d’abord de l’eau, puis la branche continuait toute droite dans le sol dur pendant plusieurs centimètres. Un peu plus bas, elle était cassée, presque à angle droit. Le Chasseur comprit aussitôt qu’il ne serait pas assez fort pour redresser le bois cassé et que Bob n’était pas en état de l’aider beaucoup.
Il tenait surtout à épargner à son hôte toute douleur physique, mais il estima préférable de mettre Bob au courant de la situation.
« C’est bien la première fois que je regrette de ne pas pouvoir vous empêcher de souffrir sans risquer d’altérer dangereusement votre système nerveux. Vous allez certainement souffrir. Je vais essayer de comprimer le plus possible vos tissus musculaires autour du bout de bois pendant que vous tirerez votre jambe. Je vous préviendrai lorsque le moment sera venu. »
Bien que le Chasseur s’efforçât de maintenir la tension sanguine de Bob, celui-ci pâlissait de plus en plus et il dit d’une voix faible :
« Tant pis si je suis blessé, il faut bien que je sorte d’ici. »
Le Chasseur comprit que le jeune garçon ne pouvait pas rester plus longtemps dans cette position et estima qu’il fallait l’aider, ou du moins l’encourager.
« Bob, lui dit-il, je crains d’agir sur vos nerfs, car je ne suis pas sûr que mon action cesse rapidement et d’autre part il faut que vous conserviez le contrôle de votre jambe. Je ne puis soulever votre cheville tout seul, mais si cela fait trop mal j’essaierai d’atténuer la douleur.
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