— Tu parles ! » dit Bob en jetant un regard étonné sur le squelette d’embarcation qui gisait à demi démoli sur la plage. Le mot et l’image lui rappelèrent aussitôt l’importante découverte faite la veille et, se tournant vers Rice, il lui dit :
« Red, je crois bien avoir trouvé ce qui reste de Tip. »
Tous posèrent aussitôt leurs outils et s’approchèrent, pleins d’intérêt.
« Où l’as-tu trouvé ?
— Là-haut, dans le bois, tout près du ruisseau. Je suis tombé tout de suite après et j’ai oublié tout le reste, sans cela je vous en aurais parlé ce matin. Je ne suis pas encore certain que ce soit Tip, car il n’en reste pas grand-chose, mais en tout cas c’était un chien de sa taille. Je vous montrerai l’endroit plus tard, car nous n’avons plus le temps maintenant.
— As-tu une idée de ce qui a pu le tuer ? demanda Rice qui tenait pour certaine la mort du chien.
— Aucune idée et tu ne seras pas plus avancé que moi lorsque tu l’auras vu. J’ai l’impression que Sherlock Holmes lui-même aurait du mal à découvrir des indices, mais rien ne vous empêche d’essayer. »
Cette nouvelle marqua la fin du travail sur le bateau pour l’après-midi. Comme Bob l’avait annoncé, l’heure du dîner approchait et toute la bande de garçons remonta le ruisseau jusqu’à la route où chacun prit une direction différente pour rentrer chez lui. Avant de disparaître au détour d’un sentier, Rice héla Bob pour lui rappeler qu’il devait l’emmener dans les bois après le repas.
Comme il était facile de le prévoir, tout le monde était là, car la description de Bob avait éveillé la curiosité de tous et chacun tenait à avoir son opinion sur la question. Bob prit la tête de la petite troupe et remonta lentement le sentier qui bordait le ruisseau jusqu’à l’endroit de son accident. Hay, toujours curieux, jeta un regard dans le trou formé par la chute de Bob, et retrouva la branche qui était à l’origine de tous les ennuis. Après s’être donné beaucoup de mal, il réussit à en tirer un gros bout.
« J’ai vraiment frisé de très près le coup dur », dit Bob en montrant sa jambe. Comme son père, ses camarades avaient voulu voir l’endroit où il s’était blessé ; mais avec eux il s’était abstenu de parler de son bras. « Je n’ai, malheureusement, pas pu éviter le choc, ajouta-t-il. Et je suppose que c’est ce petit bout de bois qui est la cause de tout le mal. »
Hay examinait très attentivement le morceau de bois. Le soleil était déjà bas sur l’horizon et l’obscurité gagnait peu à peu. Mais il put malgré tout apercevoir les traces laissées par l’accident.
« Tu as dû le sentir, dit-il. Et il t’a fallu un certain temps pour l’enlever. Regarde, le sang est descendu à plus de vingt-cinq centimètres de l’extrémité. Comment se fait-il que ton pantalon n’ait pas été plein de sang lorsque je suis venu à ta recherche hier ?
— Je n’en sais rien », se hâta de répondre Bob en s’écartant. Les trois autres le suivirent et, un instant plus tard, Hay haussa les épaules et s’éloigna à son tour.
Il les retrouva rassemblés autour du squelette du chien et très occupés à confronter leurs idées. Bob, qui les avait amenés là dans un dessein bien défini, ne les quittait pas des yeux. En dépit des paroles du Chasseur au sujet des os, il était convaincu que Tip avait été tué par leur fugitif qui avait ensuite installé le piège dans lequel il était tombé. Il parvenait même à expliquer pourquoi le criminel n’avait pas cherché à entrer dans son corps. Celui-ci avait sans doute trouvé très rapidement un autre hôte qui se servait du ruisseau comme d’un chemin pour pénétrer dans la jungle à la manière de Bob et de ses amis. Une telle hypothèse impliquait précisément la présence d’un de ses camarades dans le voisinage, camarade qui, pour une raison ou pour une autre, avait dû rester assez longtemps immobile pour permettre au criminel de le prendre comme hôte. Bob n’avait pas entendu parler d’une aventure de cette sorte, mais espérait qu’une phrase ou une réflexion le mettrait sur la voie.
La nuit tombait rapidement à présent et les garçons en étaient arrivés à la conclusion que selon toutes apparences aucune bête plus grosse qu’un insecte n’avait approché le corps du chien. Aucun d’eux n’avait encore touché les os jusqu’à présent, mais comme on voyait de moins en moins sous les buissons, Malmstrom décida d’examiner les restes de plus près. Le crâne du chien était sous un buisson particulièrement épais et il s’efforça d’écarter les épines pour le ramasser.
Il n’eut pas beaucoup de peine à enfoncer sa main, mais s’aperçut que les épines, dirigées toutes dans le même sens, se refermaient sur son bras comme une sorte de piège. Malmstrom essaya de se dégager, mais s’égratigna largement l’avant-bras et la main en ramenant le crâne. Il le tendit à Colby et secoua sa main pour faire tomber les gouttes de sang qui y perlaient.
« Cela ferait des hameçons au poil, remarqua-t-il. Ces sacrées épines se couchent contre la branche quand on appuie dessus, mais elles se redressent après. Je parie que c’est ce qui est arrivé à Tip. Il devait courir après quelque chose et n’a pas pu se dégager. »
Chacun s’accorda à trouver cette théorie tout à fait vraisemblable et Bob lui-même en fut ébranlé. Il se rappela soudain qu’il avait oublié de dire quelque chose au docteur. Que penserait Seever de la deuxième question qui l’agitait : « Était-ce vraiment le Chasseur ou le fugitif qui était en lui ? » Le médecin aurait peut-être réussi à découvrir un moyen de le savoir et il finirait bien par trouver un prétexte pour le mettre à l’épreuve. Dans la nuit profonde à présent, il descendit rapidement la colline, le cerveau en ébullition.
XVI
LA LISTE DES SUSPECTS
La journée du mardi se déroula comme à l’ordinaire jusqu’à la fin de la classe et seul le Chasseur sentait croître son inquiétude au sujet de Charles Teroa. Celui-ci devait en effet quitter l’île le jeudi et, autant que le Chasseur pouvait s’en rendre compte, Bob n’avait rien fait pour le soumettre à un examen ni pour retarder son départ. Encore deux soirs, et il serait trop tard.
Les garçons, à qui tous ces soucis étaient étrangers, se mirent en quête de matériaux nouveaux pour réparer leur bateau dès la sortie de la classe. Bob se joignit à eux, mais s’arrêta chez le docteur en déclarant qu’il souhaitait faire examiner sa jambe. Il raconta tout ce qui s’était passé la veille au soir et exposa son hypothèse. Le détective comprit alors pour la première fois que les pensées de son hôte avaient suivi une voie diamétralement opposée à la sienne. Il attira l’attention du jeune garçon et le mit au courant de ses propres conceptions en appuyant ses dires de toutes les preuves qu’il possédait.
«— Je suis navré de ne pas avoir compris plus tôt ce que vous pensiez. Je me rappelle pourtant vous avoir dit qu’à mon avis le chien n’avait pas été tué par le criminel que nous poursuivons, mais peut-être ai-je oublié de vous mentionner que le trou dans lequel vous êtes tombé était absolument naturel. J’aurais dû vous préciser que la branche qui vous est entrée dans la cheville se trouvait là depuis longtemps, sans doute depuis la chute de l’arbre. C’est pour cela que vous avez négligé les faits et gestes de Charles Teroa. »
— J’en ai l’impression, répliqua Bob qui fit un bref résumé au médecin de la déclaration du Chasseur.
— Le jeune Teroa ? demanda le docteur. Il doit venir me voir demain pour des piqûres. Avez-vous des raisons sérieuses de le suspecter ?
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