« — Au début, nous l’avions mis sur la liste des personnes suspectes pour la simple raison qu’il devait quitter l’île, répondit le Chasseur par la bouche de Bob. Nous voulions l’examiner avant son départ. Par la suite, nous avons appris qu’il avait dormi au moins une fois dans un bateau amarré aux récifs, ce qui aurait pu fournir une occasion exceptionnelle à notre fugitif de le choisir comme hôte. En outre, il était également là le jour où Bob est tombé dans le puits de l’appontement, mais cela ne le concerne pas directement. »
— Dans ce cas, répondit le docteur en souriant, nous nous trouvons en face d’une liste particulièrement longue des personnes suspectes au premier degré et tout de suite après nous pourrons ranger toute la population de l’île dans les possibles. Dites-moi, Bob, ne s’est-il rien passé hier soir qui pût donner une indication quelconque au sujet de l’un de vos amis ?
— Un simple fait, répondit le jeune garçon. Lorsque Malmstrom a retiré le crâne de Tip d’un buisson très épais, il s’est fait de sérieuses écorchures qui ont saigné abondamment : je pense donc que nous n’avons plus à nous inquiéter à son sujet. »
Seever fronça légèrement les sourcils, puis adressa une question directement au Chasseur :
« Pouvez-vous me dire si ce criminel que vous poursuivez possède une conscience lui permettant, par exemple, de laisser saigner une blessure dans l’unique intention de faire croire aux autres, comme Bob vient de le faire, qu’il n’est pas dans tel ou tel garçon ?
« — Son intelligence est très limitée, répliqua le Chasseur. De plus la cicatrisation des blessures légères est devenue une telle habitude chez nous, qu’il y a de fortes chances pour qu’il l’ait faite sans même y penser. Malgré tout, s’il possédait de sérieuses raisons de croire que l’on soupçonnait son hôte, il n’hésiterait pas à demeurer absolument passif, sans s’inquiéter de la gravité de la blessure. La conclusion de Bob ne repose sur aucune preuve sérieuse, néanmoins nous pourrons admettre qu’elle est valable en faveur de Malmstrom. »
— C’était exactement ce que je pensais après votre premier récit, répondit le docteur. Pour l’instant, nous nous trouvons dans la nécessité d’examiner immédiatement le jeune Teroa. Il serait particulièrement intéressant de savoir, Chasseur, quelles réactions peut donner le vaccin de la fièvre jaune sur des créatures de votre espèce.
« — Je vous éclairerais bien volontiers sur ce point si j’étais certain qu’une telle injection ne fasse aucun mal à Bob. Toutefois je puis vous assurer que notre fugitif pourrait dans un tel cas se retirer simplement du membre dans lequel vous injectez le vaccin afin d’attendre tranquillement que les effets soient atténués. Je pense, cependant, que les chances d’une action profonde sur nous sont très réduites. Il serait bien préférable que je puisse l’examiner moi-même. Dès que nous aurons découvert notre fugitif, nous pourrons toujours trouver un moyen de l’empêcher de nuire. »
— J’ai l’impression que, dès que vous l’aurez repéré, il faudra que vous ayez la possibilité d’agir rapidement. Tout ce que je puis vous offrir dans ce domaine, et qui soit sans danger pour son hôte, se résume à quelques antibiotiques et à des vaccins. Nous ne pouvons quand même pas les essayer tous à la fois sur Bob. Nous aurions dû y penser beaucoup plus tôt afin d’avoir le temps de faire des essais. »
Le docteur se plongea dans ses pensées pendant quelques instants, puis déclara :
« Nous pourrions peut-être commencer dès maintenant à faire des essais en employant une substance à la fois ? J’en connais qui sont absolument inoffensives. Vous pourriez nous dire alors quelles sont les réactions qui se développent chez vous. Nous ferions le nécessaire alors pour que vous puissiez quitter très rapidement le corps de Bob jusqu’à ce qu’il ait éliminé les substances que vous ne pourriez supporter. Nous remettrions l’examen de Teroa jusqu’au moment où nous aurions trouvé un élément nous permettant d’être fixés à coup sûr. Si, par hasard, nous n’en découvrions aucun, la situation ne serait pas pire qu’elle ne l’est actuellement.
— Vous avez dit vous-même qu’il faudrait plusieurs jours et Teroa doit quitter l’île dans quarante-huit heures, dit Bob.
— Ce n’est pas certain. Je serais navré d’en arriver là, car je sais à quel point le jeune homme a envie de quitter les lieux, mais je peux toujours le mettre en observation en le priant de revenir me voir un peu plus tard. Ce qui remettrait son départ au prochain passage du navire. Nous aurions ainsi dix jours devant nous et en essayant deux produits par jour, nous aurions malgré tout une chance sérieuse de découvrir quelque chose. Nous commencerions par les antibiotiques, car les vaccins sont des produits très étudiés dont on connaît à peu près les réactions.
« — Tout à fait d’accord, si Bob est de cet avis, répondit le Chasseur. Quel dommage que nous n’ayons pas songé plus tôt à vous prendre avec nous, docteur. Pourrions-nous commencer tout de suite les essais ? »
— Et comment ! » répliqua Bob en s’asseyant sur un tabouret pendant que le docteur enfilait une blouse blanche.
« Je me demande si cela vaut la peine que tu enlèves ta chaussure pour que j’examine ton pied, dit le docteur à Bob en lui frottant le bras à l’alcool. D’après ce que j’ai pu apprendre sur celui que vous recherchez, il peut s’en aller s’il s’y trouve obligé. Tu es prêt ? »
Bob fit un signe de tête et le docteur enfonça l’aiguille de la seringue hypodermique dans son bras. Puis il appuya. Le jeune garçon fixait un mur blanc, très inquiet d’apprendre les réactions du Chasseur.
« — Je ne trouve qu’une autre espèce de molécules de protéine, annonça finalement le Chasseur. Demandez donc au docteur si je dois faire disparaître le liquide qu’il vient de vous injecter ou si je le laisse se répandre dans votre corps. »
Bob transmit le message.
« — Autant que je puisse savoir, répondit le médecin, cela n’a pas d’importance, mais je préférerais que le Chasseur laisse le vaccin se répandre librement et qu’il me dise les effets produits sur ton organisme. Nous croyons actuellement qu’il est sans danger, mais personne n’en est sûr. Mieux vaut limiter les expériences à une seule injection aujourd’hui. Tu peux aller rejoindre tes amis, Bob, mais fais bien attention. Teroa n’est pas le seul suspect. »
En montant à bicyclette la douleur de sa jambe se rappela à lui. Et il songea brusquement que le médecin n’avait même pas pensé à regarder sa blessure. Il souhaitait pouvoir l’oublier aussi complètement. Le trajet ne lui prit pas beaucoup de temps et il remarqua qu’un tas déjà important de morceaux de bois divers était amassé près de l’endroit où les garçons avaient abandonné leurs bicyclettes. Il posa la sienne à côté des autres et se mit à la recherche de ses camarades.
Les quatre garçons avaient délaissé un moment la recherche du matériel de réparation. Pour l’instant ils étaient tous à côté de la paroi de béton que Bob avait vu couler. Le ciment était sec à présent et l’on préparait le coffrage pour les murs de côté. Les garçons, penchés sur le haut du mur, regardaient l’intérieur du futur réservoir. Bob se joignit à eux et vit qu’ils avaient les yeux fixés sur quelques hommes qui semblaient se livrer à une occupation étrange. Tous portaient des masques, mais l’on reconnaissait quand même celui qui les dirigeait : c’était le père de Malmstrom. Il semblait s’occuper d’un compresseur relié par un tube flexible à un tonneau contenant du liquide et, de l’autre côté de la machine, un second tuyau se terminait par un embout aplati. L’un des hommes répandait le liquide sur le ciment pendant que derrière lui d’autres s’avançaient, une lampe à souder à la main. Les garçons avaient une vague idée de ce qui se passait sous leurs yeux. La plupart des bactéries employées dans les reservoirs donnaient naissance à des produits extrêmement corrosifs, soit au cours du processus de transformation, soit comme déchet. La vitrification appliquée sur les parois était destinée à protéger le béton de ces substances très actives. L’opération consistait à étendre un produit chimique à base de fluor que l’on avait découvert quelques années auparavant comme un isotope de l’uranium. Étendu sur les murs, le produit donnait un vernis vitrifié par polymérisation dès qu’on le soumettait à une très haute température. Les vapeurs qui se dégageaient alors étaient toxiques, ce qui expliquait le port des masques. Perchés à une dizaine de mètres de là les garçons respiraient de temps à autre des relents de fumée nauséabonde. Le Chasseur lui-même ne sentait pas le danger, mais heureusement quelqu’un d’autre s’en occupa.
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