« Je suppose que vous avez envie de retourner à l’endroit où vous m’avez trouvé afin de vous remettre à la recherche de votre petit copain. Tout d’abord, êtes-vous sûr qu’il a pu prendre pied sur la plage ?
— Je ne le saurai que si je retrouve ses traces. Vous avez parlé d’île. J’espérais qu’il n’y en avait qu’une à cet endroit. Combien y en a-t-il donc ?
— Je n’en sais rien, mais l’archipel est très fourni. La plus proche de celle où habitent mes parents est située au nord-est à cinquante kilomètres. Elle est également habitée. »
Le Chasseur réfléchit un moment. À l’instant où il avait perdu le contrôle de son appareil, sa ligne de vol était exactement la même que celle du fugitif qu’il poursuivait. Et autant qu’il pouvait s’en souvenir ils avaient piqué ensemble vers le sol et, malgré la vrille amorcée, l’autre n’avait pu s’éloigner beaucoup. Leurs points de chute ne pouvaient guère être distants que de trois à cinq kilomètres, expliqua-t-il à Bob.
« S’il a pu gagner le rivage, il y a de fortes chances pour que ce soit sur mon île, et s’il s’y trouve encore les recherches se limiteront à cent soixante personnes. Êtes-vous certain qu’il a pu se glisser dans un corps humain ou faudra-t-il examiner tous les êtres vivants ? Cependant, je présume qu’il s’est tourné d’abord vers un être humain.
— Autant que je puisse le savoir, vous représentez l’espèce la plus intelligente sur cette Terre et mon peuple s’est aperçu depuis longtemps qu’une créature très évoluée est un hôte de choix.
— Il nous faudra donc chercher parmi tous les gens que nous rencontrerons. C’est un peu comme si nous avions à découvrir une aiguille dans une botte de foin. »
Le Chasseur avait déjà lu cette expression quelque part et en comprit parfaitement le sens.
« C’est à peu près cela, reprit le Chasseur, sauf que l’aiguille elle-même est camouflée en brindille de foin. »
Il fut interrompu à cet instant par l’arrivée du camarade de chambre de Bob et ils n’eurent plus l’occasion ce jour-là de reprendre leur conversation. Au cours de l’après-midi, Bob vit le docteur pour son bras et, comme le Chasseur ne possédait aucun pouvoir guérisseur miraculeux, le médecin estima que la cicatrisation était normale.
« Aucun signe d’infection n’est visible, dit le médecin, malgré votre petite plaisanterie. Avec quoi avez-vous donc essayé de vous soigner ?
— Je n’y ai pas touché, répondit le jeune garçon. Cela s’est passé pendant que je venais à l’infirmerie et j’ai cru que c’était une simple égratignure jusqu’au moment où l’infirmière a voulu la nettoyer à l’alcool. » Il vit nettement que le docteur ne le croyait pas, mais estimait inutile de poursuivre plus avant la discussion.
Rien n’avait été précisé avec le Chasseur sur la question de garder secrète sa présence, mais le jeune garçon estima que si cette histoire se répandait, en admettant même qu’on la crût réelle, leurs chances de succès pouvaient s’en trouver sérieusement diminuées. Aussi laissa-t-il le docteur lui faire un petit speech sur les microbes et il s’en alla dès qu’il le put.
Peu après le dîner il trouva enfin une occasion pour demander au Chasseur :
« Quelles sont vos intentions au sujet du retour dans l’île ou nous nous sommes rencontrés ? Normalement je ne dois y revenir qu’à la mi-juin, dans plus de six mois. Votre fugitif aurait donc largement le temps de se mettre à l’abri ou de disparaître. Avez-vous envie d’attendre qu’il se soit bien caché ou avez-vous songé à un prétexte qui nous permettrait d’y aller plus tôt ? »
Le Chasseur avait une réponse toute prête, qui devait le renseigner davantage sur la personnalité réelle de son hôte qu’il connaissait encore mal. Il répondit, toujours par le même procédé :
« Tous mes mouvements dépendent entièrement des vôtres, vous quitter serait perdre le fruit des efforts développés depuis plus de cinq mois. Évidemment, je connais votre langue, ce qui pourrait m’être d’un précieux secours, mais je suis persuadé que la recherche d’une nouvelle association avec un de vos semblables serait un travail de longue haleine. Vous êtes le seul être humain sur l’aide duquel je puisse compter. Il est exact qu’il vaut mieux que je retourne dans l’île le plus tôt possible. Je sais très bien que vous n’êtes pas libre de faire tout ce que vous voulez, mais si vous pouviez trouver un moyen de m’emmener là-bas ce serait certainement préférable. Vous pouvez juger mieux que moi de la réalisation de nos projets. Tout ce que je puis faire c’est vous renseigner sur les actes et la nature de celui que je poursuis. »
Bob ne répondit pas tout de suite. Plus il y songeait, plus il trouvait la situation passionnante. Évidemment, il serait obligé de manquer plusieurs mois de classe, mais on pouvait toujours s’arranger pour rattraper le temps perdu. Si le Chasseur avait dit vrai, la recherche du fugitif devait passer avant tout et Robert ne voyait pas pour quelles raisons son nouveau compagnon le tromperait.
Disparaître purement et simplement n’était même pas à envisager. Il fallait découvrir un prétexte valable afin de pouvoir quitter l’école.
Seule la maladie ou un accident lui permettraient de parvenir à ses fins.
Très ému par tous ces événements, il essaya de se distraire par une partie de ping-pong, mais le problème l’occupait à un point tel que le jeu se transforma très rapidement en une défaite lamentable. Il se fit battre à plate couture alors qu’il était considéré comme un très bon joueur de l’école.
Lorsqu’il retourna dans sa chambre, son camarade s’y trouvait déjà, ce qui excluait toute conversation jusqu’à l’extinction des feux. Et même après, Bob ne voulait pas courir le risque de voir son voisin de lit se réveiller en pleine nuit pour découvrir qu’il parlait tout seul. En outre, il ne pourrait pas voir très nettement les réponses du Chasseur dans le noir.
Le lendemain, un lundi, les classes se déroulèrent comme d’habitude et il ne put être seul qu’après le déjeuner. Il prit quelques livres sous le bras et se mit désespérément à la recherche d’une salle de classe vide. Et là, parlant à mi-voix afin de ne pas attirer l’attention des gens qui pouvaient passer dans le couloir, il donna libre cours à toutes les idées qu’il avait emmagasinées depuis la veille. Il commença pourtant par un autre sujet.
« Il me faut absolument trouver un autre moyen pour vous parler, déclara-t-il. Vous pouvez toujours me parler si je ne suis pas occupé à regarder autre chose, mais il m’est impossible de vous dire le moindre mot si je ne suis pas seul, à moins de passer pour un fou. J’ai eu une idée hier soir et n’ai pas trouvé depuis l’occasion de vous la communiquer.
— Le problème de la conversation n’est pas difficile à résoudre, répondit le Chasseur. Vous n’aurez qu’à parler en un murmure presque inaudible, sans même entrouvrir les lèvres, car je peux interpréter très aisément les mouvements de vos cordes vocales et de votre langue. J’aurais d’ailleurs dû y penser plus tôt, mais je n’avais jusqu’alors accordé aucune attention particulière à la nécessité où nous sommes de conserver le secret. Je vais d’ailleurs commencer dès maintenant. Mais dites-moi bien vite quelle était cette idée qui vous préoccupait tant ?
— Je ne vois pas le moyen de retourner chez moi à moins de feindre une maladie et de me faire accorder un congé de convalescence. Je ne peux pas espérer tromper les médecins, mais vous pouvez certainement faire naître chez moi assez de symptômes pour qu’ils n’y comprennent plus rien. Qu’en pensez-vous ? »
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