Il avait finalement compris que la moindre altération d’un des organes des sens ou de toute autre fonction de son hôte entraînait des troubles émotifs sérieux. Il se demandait même si la simple révélation de sa présence ne serait pas nuisible à sa tranquillité.
D’autre part, si le Chasseur s’en tenait à des moyens agissant sur une partie seulement du corps humain, le garçon ne comprendrait jamais que l’on cherchait à communiquer avec lui. L’idée même de symbiose entre deux formes de vie très évoluées était totalement inconnue de la race humaine, et le Chasseur en venait finalement à se demander ce qu’il fallait faire dans un tel cas. Il se trouvait ridicule de ne pas avoir compris cela plus tôt.
Mais alors que faire ? Comment pourrait-il entrer en conversation avec Robert Kinnaird ou tout autre être humain, par l’extérieur ? Il ne pouvait pas parler, n’ayant pas d’appareil vocal et même en tâchant de donner à sa forme une réplique des organes permettant à l’homme de parler, il n’était pas sûr d’arriver à un résultat. Il pouvait écrire si le crayon n’était pas trop lourd, mais quelle chance avait-il d’y parvenir ? En voyant une masse gélatineuse de deux kilos traçant des signes sur un papier, quel être humain aurait assez de patience pour attendre les résultats ou même en voudrait croire ses yeux ?
Pourtant, il y avait peut-être un moyen. Pendant le sommeil de Bob il pouvait très bien quitter son corps, composer un message écrit et revenir à son point de départ avant le réveil de son hôte. En effet, personne ne pourrait le voir dans le noir et de plus Robert Kinnaird était certainement de tous les habitants de cette planète, celui qui avait le plus de chances de prendre au sérieux un tel message. Sa révélation n’entraînerait peut-être pas des réactions trop violentes, car Robert Kinnaird avait déjà eu l’occasion de constater les possibilités du Chasseur.
Bien que comportant quelques dangers, l’idée semblait excellente. Cependant, un bon policier ne recule jamais devant les risques, et le Chasseur adopta ce plan. Ce projet bien arrêté dans son esprit, le Chasseur put de nouveau surveiller ce qui se passait autour de lui.
Il pouvait toujours voir à l’extérieur, car le jeune garçon conservait les yeux ouverts. Il devait être éveillé. Le Chasseur se vit donc obligé d’attendre, ce qui mit sa patience à une rude épreuve. Pourquoi donc Bob mettait-il si longtemps à s’endormir ? Le Chasseur était au moins en partie responsable de ce retard. Minuit venait de sonner et le Chasseur avait beaucoup de mal à freiner son impatience, lorsque le rythme de la respiration et du cœur indiqua sans risque d’erreur que le jeune garçon venait de sombrer dans le sommeil. Le moment était venu. Il quitta le corps de Bob comme il y était entré, par les pores de l’épiderme. La manœuvre s’accomplit sans encombre et le détective passa à travers les draps et le matelas pour atteindre le plancher.
Bien que la fenêtre fût ouverte, on ne voyait rien. En effet la nuit était très noire, mais il réussit pourtant à distinguer la silhouette de la table sur laquelle il savait trouver ce qu’il lui faudrait pour écrire. Il se déplaçait en coulant le long du parquet, et, quelques instants plus tard, se retrouva parmi les livres et les papiers encombrant le bureau. Un bloc était posé sur le coin de la table, et tout à côté des crayons s’offraient à lui. Après avoir essayé l’un d’eux, le Chasseur s’aperçut très vite qu’il était trop long et trop lourd pour ses forces. Heureusement, il trouva un remède sur-le-champ. L’un des crayons était un portemine que le Chasseur avait vu fonctionner à plusieurs reprises et il parvint à en retirer la mine. Il se trouva donc en possession d’un fin bâton de graphite, assez tendre pour laisser des traces visibles même sous la faible pression que le Chasseur pouvait y appliquer.
Il se mit aussitôt à l’œuvre et dessina lentement, mais très nettement, ce qu’il voulait marquer. Ne pas voir ce qu’il faisait ne le gênait nullement, car il avait disposé son corps sur toute la feuille et sentait très bien la position de la mine et la trace qu’elle laissait. Il avait longuement réfléchi à ce qu’il voulait dire, mais se demandait si ses phrases seraient assez persuasives :
Bob, ces simples mots ont pour but de m’excuser des ennuis que je vous ai causés hier soir. Je dois vous avouer que je suis responsable de l’action sur vos muscles et de votre voix. Je n’ai ni la place, ni le temps de vous dire qui je suis et où je me trouve, mais je puis toujours vous entendre parler. Si vous désirez que j’essaie de nouveau d’entrer en communication avec vous, dites-le-moi simplement. J’emploierai la méthode qui vous plaira le mieux. Détendez-vous et je peux commander vos muscles à votre place comme je l’ai fait hier soir. Vous pouvez également fixer une surface très claire et je ferai apparaître des images devant vos yeux. Je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour vous donner les preuves de ce que j’avance, je vous demande simplement de m’aider à le faire. Ceci est très important pour chacun de nous. Je vous en prie, laissez-moi essayer de nouveau.
Le Chasseur songea un instant à signer la lettre, mais il ne sut comment. En fait il n’avait pas de nom. « Le Chasseur » n’était qu’un surnom qu’on lui avait donné à cause de sa profession. Dans l’esprit des anciens compagnons de sa race, il était simplement l’ami de Jenver, sous-chef de la police. Il estima que pour l’instant l’emploi de ce titre n’était pas souhaitable. Il laissa donc le message sans signature et se demanda alors où il allait pouvoir le laisser. Il ne voulait pas que le compagnon de chambre de Bob pût le voir avant lui. Mieux valait emmener ce papier jusqu’au lit et le placer sur les couvertures.
Le Chasseur s’attela donc à cette tâche après avoir réussi à détacher la feuille du bloc. En traversant la chambre il eut une idée meilleure et abandonna le papier sur l’une des chaussures de Bob. Puis il regagna sans encombre l’intérieur du corps de son hôte. Le Chasseur n’avait pas besoin de sommeil, car le système circulatoire du jeune garçon était largement suffisant pour subvenir à ses besoins métaboliques.
Pour la première fois, le Chasseur regretta de ne pouvoir s’assoupir, car le sommeil aurait été le meilleur moyen d’occuper les heures d’attente.
Enfin, la sonnerie du réveil retentit dans le couloir. Bien que ce fût dimanche, les élèves n’étaient pas autorisés à rester couchés. Au début les gestes du jeune garçon se firent très lents puis se souvenant brusquement que c’était son tour, Bob bondit pieds nus jusqu’à la fenêtre, la ferma et revint aussi vite sur son lit où il commença à s’habiller. Son voisin de lit préféra rester sous ses couvertures jusqu’à ce que la chambre se fût un peu réchauffée, et tournant le dos à Robert, il ne vit pas la fugitive expression de surprise sur le visage de Kinnaird lorsque celui-ci découvrit la feuille de papier soigneusement roulée dans l’une de ses chaussures.
Il prit la note, la parcourut rapidement et l’enfouit dans l’une de ses poches. Sa première pensée fut de croire que quelqu’un, vraisemblablement son camarade, lui avait fait une blague. Il décida immédiatement de ne pas donner à son auteur la satisfaction de paraître surpris. Toute la matinée, le Chasseur se sentait peu à peu devenir fou devant l’indifférence du jeune garçon, qui pourtant n’avait pas oublié la note. Bob attendait simplement d’être seul afin de pouvoir la lire tranquillement. Dès qu’il le put, il remonta dans sa chambre et se mit en devoir de déchiffrer cette écriture inconnue. Sa première réaction fut semblable à celle du matin, ce ne pouvait être qu’une blague. Et soudain une question se posa à son esprit : qui, diable, pouvait être au courant des troubles ressentis la veille ? L’infirmière le savait, évidemment, mais sans aucun doute, ni elle ni le docteur ne se seraient laissés aller à lui jouer un tel tour, pas plus d’ailleurs qu’ils n’auraient raconté cette histoire à quelqu’un d’autre. Plusieurs explications étaient peut-être possibles, mais la plus simple pour l’instant était de vérifier la véracité de la note. Il regarda dans le couloir, dans son placard et sous le lit, dans la crainte de se laisser attraper par une blague préparée par ses copains. Puis il s’assit sur son lit et, fixant le mur blanc faisant face à la fenêtre il déclara à haute voix :
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