Arthur Clarke - Les sables de Mars

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Au prix d’efforts fantastiques, les hommes sont parvenus à s’implanter sur Mars ! Un voile de mystère recouvre cette tentative et le monde ignore encore ce qui se passe sur cette planète froide et stérile.
Martin Gibson est le premier reporter autorisé à s’embarquer sur « L’Ares », qui effectue son voyage d’essai vers la colonie sidérale. Dès le décollage, la réalité dément toutes ses prévisions ; loin d’être fastidieuse comme il se l’imaginait, cette croisière ne tarde pas à lui ouvrir les yeux sur mille problèmes insoupçonnés du public. Mais les étonnements de Gibson se multiplient à son arrivée sur Mars. S’il y découvre une étrange colonie en pleine activité, il sent aussi que l’amabilité dont on l’entoure est factice. Il fait figure d’intrus, d’indésirable. Pourquoi ?
Persuadé qu’on se ligue contre lui pour dissimuler un important secret, Gibson se met en tête d’élucider cette énigme. Il n’y parviendrait pas si, au hasard d’une exploration,une singulière trouvaille ne lui valait une soudaine célébrité parmi les colons.
A mesure qu’il pénètre plus avant dans les secrets de la cité martienne, il est gagné par l’enthousiasme. Oubliant ses devoirs de reporter pour participer à l’extraordinaire bataille que les pionniers livrent contre la sauvagerie glacée de la planète, il n’informe pas la Terre de ce qu’il apprend.
Martin Gibson est lui-même conquis par ce monde désolé mais riche de promesses, au point que le retour sur sa planète natale ne lui semble plus souhaitable,
Quels sont donc les sortilèges qui enchaînent Gibson à la première cité extra-terrestre ? Pourquoi est-il devenu un autre homme ?
La réponse à ces deux questions est enfouie dans les sables rouges des déserts de Mars.

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Chapitre XII

Quand Gibson s’éveilla, l’aube était levée depuis longtemps. Le soleil était invisible derrière les falaises, mais ses rayons reflétés par les flancs écarlates qui dominaient l’appareil inondaient la cabine d’une lumière étrange, presque lugubre. Martin s’étira, engourdi. Ces sièges n’étaient pas conçus pour le sommeil ; il avait passé une mauvaise nuit.

Il chercha des yeux ses compagnons, nota l’absence de Hilton et du pilote. Jimmy étant encore en plein sommeil, ils avaient dû se réveiller les premiers et partir en reconnaissance. Martin ressentit une vague contrariété d’avoir été tenu à l’écart, mais il se dit qu’il aurait été plus contrarié encore si l’on avait interrompu son sommeil.

Un court message de Hilton était fixé, bien en vue, sur la paroi et disait simplement : Sommes sortis à 6 h 30 ; serons absents environ une heure. Aurons faim en rentrant. Fred.

L’allusion pouvait difficilement être ignorée. D’ailleurs, Gibson se sentait lui-même en appétit. Il fureta dans la réserve contenant le ravitaillement de secours en se demandant combien de temps elle les ferait tenir. Ses tentatives de préparer une boisson chaude dans la petite cafetière à pression éveillèrent Jimmy, qui parut un peu honteux quand il réalisa qu’il était le dernier à reprendre conscience.

— Bien dormi ? demanda le romancier en cherchant les tasses.

— Désastreux, répondit le jeune garçon en passant les mains dans ses cheveux. On dirait que je ne me suis pas reposé depuis une semaine. Où sont les autres ?

Un bruit dans le sas satisfit aussitôt sa curiosité : un instant plus tard, Hilton fit son apparition, suivi du pilote. Tous deux se défirent de leur masque et de leur équipement chauffant ( la température était encore proche de zéro à l’extérieur ), puis ils s’approchèrent avec avidité des parts de chocolat et de viande concentrée que Gibson avait réparties avec une équité impeccable.

— Alors, s’enquit anxieusement le romancier, quel est le verdict ?

— Je peux vous dire tout de suite que nous avons une drôle de chance d’être encore vivants, prononça Hilton entre deux bouchées.

— Je ne l’ignore pas …

— Vous ignorez pas mal de choses, car vous n’avez justement pas vu l’endroit où nous nous sommes posés. Nous avons longé parallèlement cette falaise pendant près d’un kilomètre avant de nous arrêter. Si nous avions dévié d’un degré sur tribord, ça y était, nous rentrions dedans ! En touchant le sol, l’appareil s’en est approché un petit peu, mais pas assez pour encourir le moindre dégât.

« Nous sommes dans une grande vallée qui va d’est en ouest. On dirait une faille géologique plutôt qu’un ancien lit de rivière. La falaise qui est en face de nous a une bonne centaine de mètres de hauteur et elle est pratiquement verticale. Si nous voulons que Phobos nous découvre, il suffira de marcher un peu vers le nord jusqu’au moment où la muraille n’obstruera plus la vue. En fait, je crois que ce serait la meilleure solution ; autrement dit, il faudrait pousser l’appareil sur une zone dégagée. Alors, nous pourrons utiliser la radio, nous aurons de plus grandes chances d’être repérés par les télescopes ou par les recherches aériennes.

— Combien pèse l’engin ? fit Gibson, sceptique.

— Environ trente tonnes à pleine charge, mais il y a un tas d’objets que nous pouvons évacuer, évidemment.

— Non, c’est impossible ! s’écria le pilote. Cela entraînerait une baisse de pression, et nous ne pouvons pas nous permettre de gaspiller de l’air.

— Fichtre ! Voilà un point que j’avais oublié … N’importe, le sol est assez lisse et le train de roues est intact.

Le romancier émit un bruissement qui était le reflet sonore d’un doute extrême. Même en tenant compte du fait que la pesanteur ne dépassait pas le tiers de celle de la Terre, déplacer l’avion n’allait pas être une tâche facile.

Pendant les quelques minutes qui suivirent, son attention fut occupée par le café qu’il essayait de verser.

Sa pression relâchée, la cafetière laissa échapper sa vapeur, et bientôt la cabine en fut saturée au point qu’on put croire que chacun allait absorber son petit déjeuner sous forme d’inhalation. Préparer des boissons chaudes sur Mars n’était jamais une sinécure, car l’eau soumise à une pression normale bouillait aux alentours de soixante degrés ; celui qui oubliait cette notion élémentaire allait au-devant d’un désastre.

Les rescapés terminèrent en silence leur frugal mais nourrissant repas, l’esprit absorbé par l’élaboration de plans susceptibles d’assurer leur salut. Ils ne se tourmentaient pas outre mesure, sachant que d’actives recherches devaient être en cours et que leur découverte n’était qu’une question de temps. Mais ce temps pouvait être réduit à quelques heures s’ils arrivaient à transmettre un signal quelconque à Phobos.

Après le déjeuner, ils essayèrent de déplacer l’appareil. Tirant et poussant, ils parvinrent à le bouger de cinq bons mètres au prix d’un gros effort, mais les chenilles s’enfoncèrent dans le sol mou et ils furent impuissants à sortir la machine de sa fâcheuse position. À bout de souffle, les quatre compagnons renoncèrent et ils regagnèrent la cabine pour concevoir une autre solution.

— Si nous pouvions étendre quelque chose de blanc sur une grande surface ? suggéra Gibson.

Cette excellente idée se réduisit à rien après qu’une fouille intensive de l’habitacle eut donné lieu, en tout et pour tout, à la découverte de six mouchoirs et de quelques chiffons souillés. On dut admettre que, même dans les conditions les plus favorables, leur étalage ne serait pas visible du satellite.

— Il n’y a plus qu’une ressource, dit Hilton. Il va falloir arracher les projecteurs d’atterrissage, les traîner au bout d’un câble jusqu’à ce qu’ils soient dégagés de la falaise et les diriger ensuite vers Phobos. J’aurais bien voulu l’éviter, car l’aile va certainement subir des dégâts et il est dommage de disloquer une bonne machine.

À voir l’expression amère du pilote, il était clair qu’il partageait pleinement ce point de vue. Jimmy eut soudain une intuition.

— Pourquoi ne construirait-on pas un héliographe ? dit-il. Si nous agitions un miroir vers Phobos, ceux de là-bas devraient logiquement en percevoir l’éclat …

— À six mille kilomètres ? releva Gibson d’un ton incrédule.

— Pourquoi pas ? Ils disposent de télescopes grossissant plus de mille fois. Ne pourriez-vous pas distinguer la lueur d’un miroir brandi au soleil à six kilomètres d’ici ?

— Je suis sûr qu’il y a quelque chose d’erroné dans ton calcul, bien que je ne sache pas quoi, dit le romancier. Ce n’est jamais aussi simple que ça, mais je suis d’accord sur le fond. Bon, maintenant, qui possède une glace ?

Après un quart d’heure de recherches, le projet dut être abandonné car il n’y avait rien qui ressemblât à un miroir à bord de l’appareil.

On pourrait découper un morceau de l’aile et le polir, proposa Hilton d’un air pensif. Ça ferait presque aussi bien l’affaire.

C’est un alliage de magnésium qu’on aura du mal à rendre brillant, objecta le pilote, décidé à défendre son avion jusqu’au bout.

Gibson bondit sur ses pieds. Sans mot dire, il se dirigea vers le fond de la cabine et commença à fureter parmi ses bagages, présentant obstinément le bas de son dos à ses compagnons, dont la curiosité s’éveillait. Il trouva bientôt ce qu’il désirait et fit volte-face.

— Voici la solution ! annonça-t-il triomphalement.

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