Robert Sawyer - Mutations

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    Le jour où il se découvre atteint d'une maladie incurable, Pierre Tardivel décide de devenir chercheur en génétique. Après de brillantes études, il travaille sur le génome humain aux côtés du Dr Klimus, un génial lauréat du Nobel.
Il rencontre là son épouse, Molly, professeur de psychologie dotée de pouvoirs télépathiques. Pour ne pas transmettre la maladie de Pierre à leur enfant, ils décident de procréer par insémination artificielle. Mais la petite fille qui naît a d'étranges caractéristiques génétiques…
Double enquête, double course contre la montre : celle d'un couple pour sauver son enfant victime de manipulations expérimentales, celle de Pierre, qui lutte contre le mal…

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— Il n’y a rien à faire, jusqu’à ce que nous ayons des preuves suffisantes. Ce n’est pas le genre d’affaire que l’on résout du jour au lendemain, de toute manière. Si Klimus est bien Marchenko, ça fait un demi-siècle qu’il se cache. Ouvrez grands vos yeux et vos oreilles, et informez-moi de tout ce que vous découvrirez.

25

Sept mois plus tard

— Merci de m’avoir laissé venir, dit Pierre en s’agrippant fermement au bord d’une table pour empêcher sa main de trembler.

Il avait toujours l’impression que sa place n’était pas ici, mais il ne pouvait nier la vérité. Les premiers symptômes de la maladie de Huntington étaient en train de se manifester très nettement. La réunion du groupe d’entraide se tenait dans une classe d’un lycée de San Francisco, dans le quartier de Richmond, à mi-chemin entre le Presidio et le Golden Gate Park.

La tête de Carl Berringer ne cessait de se balancer d’avant en arrière, et il mit un certain temps à répondre. Mais quand il le fit, ses mots furent chaleureux.

— Nous sommes très heureux de vous avoir parmi nous. Comment avez-vous trouvé la conférencière ?

Berringer avait environ quarante-cinq ans, les cheveux blancs, le teint pâle et les yeux bleus. La conférence portait sur la manière de traiter les enfants et les adolescents atteints de la maladie de Huntington.

— Elle a été très bien, déclara Pierre.

Mais il n’avait pas écouté un seul mot et avait passé tout son temps à observer les membres de l’assistance. La plupart étaient à un stade beaucoup plus avancé que lui de la maladie. Après tout, à part son père, Henry Spade, Pierre n’avait jamais vu de près des gens atteints de la chorée. Il voyait la souffrance sur leurs visages déformés par les tics, leur impossibilité de s’exprimer clairement, la torture qu’une chose aussi simple que le fait de déglutir représentait pour eux. Il ne put s’empêcher de penser que, pour beaucoup, la mort aurait été un sort préférable. C’était une pensée horrible, il le savait, mais…

… Mais puisqu’il n’est point de grâce divine, je quitte ces lieux.

L’état de Pierre s’aggravait progressivement. Il avait cassé des dizaines de flacons et de multiples éprouvettes et autres récipients de verre dans son labo. Mais seul son entourage immédiat se doutait de ce qui se passait. Ses mains avaient tendance à danser toutes seules, il commençait à avoir des tics faciaux et son élocution n’était pas toujours très claire.

— Vous travaillez au LBL, je crois, lui dit Carl, dont la tête ne cessait de bouger.

— C’est exact, répondit Pierre. En fait, c’est le LBNL, à présent. Ils ont ajouté « National » au nom du labo il y a un peu moins d’un an.

— Quelqu’un de chez vous est venu donner une conférence ici il y a deux ans. Un grand type chauve. Je ne me rappelle pas son nom, mais je sais qu’il a eu le prix Nobel.

— Vous parlez de Burian Klimus ? demanda Pierre en haussant les sourcils.

— C’est ça. Burian Klimus. On a eu de la chance qu’il vienne. Tout ce que la Huntington Society peut offrir aux conférenciers, c’est une tasse de café en guise de remerciement. Mais il venait d’être nommé à Lawrence Berkeley, et l’université l’envoyait d’office faire des conférences.

Les mains de Carl avaient commencé à remuer, comme s’il faisait des exercices d’assouplissement des doigts. Pierre s’efforça de ne pas regarder.

— Quoi qu’il en soit, conclut Carl, je suis très heureux que vous voyez venu. J’espère que nous vous verrons souvent. Nous avons besoin de tous les soutiens que nous pouvons trouver.

Pierre hocha la tête. Il n’était pas certain d’être plus heureux maintenant qu’il s’était finalement résigné à venir ici. Cela lui rappelait trop ce que l’avenir lui réservait. Il regarda autour de lui. Molly, avec son ventre désormais énorme, était assise dans un coin et buvait de l’eau minérale en compagnie d’une femme d’un certain âge qui faisait, de toute évidence, partie du personnel. Elle lui expliquait sans doute à quoi elle devait s’attendre dans les mois à venir.

Les cas les plus avancés n’étaient même pas là. Ils étaient probablement cloués au lit, chez eux ou dans un hôpital. Pierre compta dix-huit personnes dans la salle. Sept, de toute évidence, étaient atteints de la chorée. Sept autres étaient là, apparemment, pour s’occuper d’eux. Les quatre restants avaient un statut difficile à déterminer. Ils étaient peut-être dans les tout premiers stades de la maladie, ou ils devaient représenter des patients trop mal en point pour venir en personne à la réunion.

— Vous n’avez pas plus de gens que ça, habituellement ? demanda-t-il à Berringer, dont la tête oscillait de plus belle et dont le bras droit, maintenant, était agité d’un mouvement de piston régulier.

— En ce moment, non. Nous avons perdu cinq membres l’année dernière.

Pierre baissa les yeux vers le sol carrelé. La chorée de Huntington était une maladie fatale. C’était la seule réalité inébranlable dans tout ça.

— Désolé, dit-il.

— Pour certains, nous nous y attendions depuis quelque temps, reprit Berringer. Sally Banas, par exemple. Elle a tenu beaucoup plus longtemps que nous ne l’aurions cru.

Les mouvements de sa tête empêchaient Pierre de se concentrer sur ce qu’il disait. Il s’en irrita malgré lui.

— Un autre s’est suicidé, continua Berringer. Il était jeune. Il n’a assisté qu’à deux ou trois réunions. On venait de diagnostiquer la maladie chez lui. (Il secoua la tête.) Vous comprenez.

Pierre hocha la tête. Il ne comprenait que trop bien.

— Mais les trois autres… (Berringer avait agrippé son bras droit avec sa main gauche pour l’empêcher de trembler…) Nous vivons dans un monde complètement fou, Pierre. Je ne sais pas comment c’est chez vous au Canada, mais ici…

— Que s’est-il passé ?

— C’étaient de nouveaux membres, qui n’avaient presque pas de symptômes. Ils auraient pu vivre normalement pendant des années. L’un d’eux, Peter Mansbridge, a été assassiné d’un coup de feu. Les deux autres ont été poignardés. À six mois d’intervalle. Des agressions dont le seul mobile était le vol, semble-t-il.

— Mon Dieu ! murmura Pierre.

Qu’était-il venu faire dans ce pays ? Il s’était fait agresser. Joan Dawson avait été tuée. Partout où il se tournait, il n’entendait parler que de violence.

Berringer voulut secouer la tête, mais le geste fut noyé dans ses mouvements désordonnés.

— Je ne demande pas qu’on ait pitié de moi, dit-il lentement, mais on pourrait croire que les gens, en nous voyant bouger comme nous le faisons, nous laisseraient en paix au lieu de nous tuer pour nous voler quelques dollars.

26

Le jour tant attendu arriva enfin. Pierre conduisit Molly à l’hôpital Alta Bates, dans Colby Street. Dans le coffre de la Toyota, il avait rangé depuis quinze jours la valise de Molly et un Caméscope, cadeau inattendu de Burian Klimus, qui avait insisté pour que Pierre et Molly filment la naissance de l’enfant, chose qui, disait-il, était très à la mode en ce moment.

Alta Bates offrait des salles d’accouchement somptueuses, qui ressemblaient plus à des suites d’hôtel qu’à des installations hospitalières. Pierre était obligé d’admettre qu’il manquait quelque chose aux établissements de soins nationalisés du Canada, et c’était une petite touche de luxe. Ici, par contre… Disons qu’il se félicitait que ce soit la mutuelle universitaire de Molly qui prenne toutes les dépenses en charge.

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