Jenson recula jusqu’à la porte et l’entrouvrit. Il murmura quelques mots puis revint vers Stefan.
— Comment pensez-vous que je vous aie localisés si précisément et si vite ? Comment croyez-vous que je puisse savoir si vous mentez ou non ? Qui me dit lorsque l’Esprit vous parle ?
La porte de la cave s’ouvrit. Debbie apparut. L’assistante du professeur Jenson n’était plus en blouse blanche, mais elle avait toujours son regard bleu à glacer le sang.
Jenson sourit, d’un sourire effrayant.
— Vous n’imaginez pas ce dont elle est capable.
Il s’approcha de Stefan, se plaça exactement face à lui et lui souffla sur le ton de la confidence :
— Je sais que votre mémoire antérieure n’est pas encore réactivée. Je sais que vous êtes capable de programmer les ordinateurs qui peuvent piloter la stimulation cérébrale. Vous l’avez déjà fait.
Debbie s’approcha à son tour.
— Il a peur, déclara-t-elle. Il ne songe qu’à ses amis. Il voudrait être avec eux.
Jenson tendit la main vers Stefan.
— Si vous ne voulez pas faire équipe avec nous, menaça-t-il, j’irai fouiller votre cerveau jusqu’à y trouver ce que je cherche. Si la télépathie ne suffit pas, nous travaillerons au scalpel. Alors maintenant, pour la dernière fois, je vous demande de m’aider, en commençant par me dire où sont cachées les archives concernant les Destrel que vous détenez encore.
Plusieurs fois, Valeria avait appelé, mais personne n’avait répondu. Dans l’obscurité totale, elle sentait une présence, proche, mais trop terrifiée pour s’aventurer dans le noir, elle restait adossée au mur qu’elle avait mis si longtemps à trouver. Elle s’était réveillée sur le sol de terre battue. Combien de temps était-elle restée inconsciente ? Ses cheveux avaient eu le temps de sécher complètement depuis qu’elle avait été agressée dans sa chambre. Elle n’était pas blessée, elle n’avait pas l’impression d’avoir été droguée. L’air était sec. Elle respirait par la bouche. Il lui avait fallu longtemps pour chasser la sensation d’étouffement qui l’avait d’abord oppressée. Peu à peu, elle reprit son souffle. Vêtue de son seul peignoir, elle se sentait encore plus vulnérable. Elle avait d’abord tâté le sol pour essayer de deviner où elle était enfermée. L’écho mat de ses appels laissait penser qu’elle se trouvait dans une pièce assez petite et sûrement pas trop haute, peut-être un sous-sol. À quatre pattes, elle avait exploré les quelques mètres autour d’elle. Elle n’avait découvert qu’une bouteille vide.
Lorsqu’elle avait buté sur le mur, elle s’était assise contre, ramenant ses jambes sur sa poitrine, le menton calé entre ses genoux. Repliée sur elle-même, elle avait désespérément cherché le moindre point de lumière, la plus petite lueur qui aurait pu se glisser par une porte ou un soupirail. Mais elle n’avait rien décelé. Ses pupilles étaient dilatées comme jamais, à l’affût, mais en vain. La sensation était à ce point étrange qu’elle se demanda même si elle n’était pas devenue aveugle. Même dans les plus sombres placards où elle se terrait lorsqu’elle était gamine, elle avait toujours aperçu une clarté. Ici, rien. C’est peut-être ce que l’on ressent quand on perd la vue. Les larmes lui étaient venues. À l’enfer blafard du centre succédait celui, obscur et sec, de ce cachot.
Peu à peu, elle s’était mise à écouter avec la même intensité qu’elle avait cherché à voir. Ses mouvements produisaient un son étouffé. Et puis, à force de tenter de capter le moindre bruit, même lointain, elle avait fini par l’entendre. Quelque part, à une distance indéterminée mais sans doute assez proche, un souffle presque inaudible. Elle avait mis un moment avant d’en être certaine, mais il s’agissait d’une respiration. La panique l’avait peu à peu gagnée. Elle avait murmuré, imploré, mais sans rien entendre en retour. Elle se sentait comme une souris dans le vivarium d’un cobra. Elle était prostrée, terrifiée, redoutant l’attaque soudaine.
Dans cette nuit totale, ses peurs primales resurgissaient, renforcées par les terreurs que Jenson avait fait naître en elle. Qui était tapi dans l’obscurité ? Elle craignait que l’ombre colossale aperçue dans sa chambre juste avant de perdre conscience ne la surprenne de nouveau. Elle devait se concentrer de toutes ses forces pour arrêter d’imaginer des monstres rampants aux dents acérées qui rôdaient près de ses pieds nus.
La respiration dans le noir se fit soudain plus forte. Valeria se recroquevilla encore un peu plus. Tout à coup, ce fut un gémissement qui monta.
— Qui est là ? interrogea de nouveau la jeune femme, la gorge nouée. Mon Dieu… se lamenta-t-elle en refermant son peignoir du mieux qu’elle pouvait.
La respiration n’était plus là.
— Valeria ?
La jeune femme était dans un tel état de nervosité qu’elle ne comprit pas immédiatement d’où venait la voix.
— Valeria, c’est toi ?
— P… Peter ?
— Oui, enfin ce qu’il en reste…
Le jeune homme se renversa sur le flanc et soupira. Il se redressa et se massa les tempes pour essayer d’atténuer l’atroce douleur qui lui tenaillait le cerveau. Il sentit soudain deux bras l’enserrer : Valeria venait de se jeter sur lui. Elle l’étreignit de toutes ses forces.
— Oh Peter, j’ai eu si peur !
Ses mains se promenèrent sur le visage du jeune homme, parcourant son nez, ses paupières. Elle caressa ses cheveux, agrippa son sweat. Ils tombèrent tous les deux à la renverse sur le sol. Peter referma les bras autour de la jeune femme et essaya de la calmer. Elle hoquetait, sanglotait. Lui-même avait du mal à reprendre ses esprits.
— Que s’est-il passé, demanda-t-il. Où sommes-nous ?
— Je n’en sais rien, dit-elle en reprenant son souffle. J’ai été enlevée à l’hôtel et je me suis réveillée ici. C’est bizarre : sans rien voir, j’ai la sensation de connaître cet endroit. Et toi, comment t’es-tu retrouvé ici ?
— Lorsque j’ai appelé Dumferson, je suis tombé sur Jenson. Je courais vous prévenir lorsqu’une brute m’a coincé… Et Stefan ?
— Il ne doit pas être loin.
— Il faut essayer de sortir, décréta le jeune homme.
Avec délicatesse, il se dégagea de l’étreinte de Valeria et se leva. Avançant prudemment, bras en avant, il commença à explorer la pièce. Il traversa une toile d’araignée. À tâtons, il ne tarda pas à rencontrer un mur. Il en parcourut la surface — des briques sans aucun doute. Il découvrit une gaine électrique en métal et la suivit jusqu’à un interrupteur.
— Attention les yeux, annonça-t-il. Je vais essayer d’allumer la lumière.
Au déclic, rien ne se produisit. Poursuivant son investigation, Peter découvrit une porte. Méthodiquement, il parcourut ses contours. Elle était en bois mais certainement renforcée parce qu’elle sonnait le plein. Ni poignée, ni serrure.
— Nous sommes piégés comme des rats, conclut-il.
— Tu crois que Jenson est derrière tout cela ?
— Qui d’autre ?
Peter revint vers la jeune femme. Il aurait apprécié que Gassner soit encore là pour l’aider à sortir de ce mauvais pas.
— Tu n’as pas trop faim ? demanda-t-il.
— Non, juste un peu soif mais ça va.
— Il va falloir tenir.
Peter passa son bras autour de Valeria. Elle s’abandonna, contente de ne pas être seule, heureuse d’être avec lui.
— Tu crois qu’ils ont aussi eu Simon ? interrogea Peter.
— Tout est possible. La petite opération de Jenson était bien montée. On s’est fait cueillir en beauté.
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