« Nous sommes arrivés hier, nous venons des environs de Saint-Laurent », continua-t-elle, remarquant à quel point sa voix était enrouée, puis se raclant la gorge. « Quand serons-nous examinés pour connaître la dose de rayons reçus ? »
L’homme mit ses poings sur ses hanches. « Ne vous faites aucun souci, madame, la rassura-t-il.
— Mais… ne doit-on pas être examinés ?
— Non, madame. Cette évacuation n’est qu’une mesure de précaution.
— Après l’accident au Japon, en 2011, ils ont montré à la télévision des gens dans les campements… on utilisait ces appareils…
— Nous ne sommes pas au Japon.
— Je veux être examinée ! s’obstina Annette Doreuil. Sa voix avait quelque chose de désagréable et de strident.
— Pour l’instant, nous n’avons ni assez d’appareils ni assez de personnel. Mais, je répète, inutile de vous faire du souci. À Saint-Laurent, il ne s’est rien…
— Mais j’ai peur ! cria-t-elle. Pourquoi avons-nous été évacués ?
— Je vous l’ai déjà dit, répondit l’homme, d’un ton franchement abrupt. Mesures de précaution. » Il retourna à ses conserves.
Annette Doreuil tremblait comme une feuille, son visage était brûlant. Des larmes lui montèrent aux yeux, qu’elle ferma afin de les retenir.
À proximité d’Aix-la-Chapelle
Eberhart et Carsten avaient distribué des vivres à deux autres endroits. Pendant ce temps, Lauren et Piero n’avaient pas bougé du camion. Shannon trouvait que le front de son compagnon d’infortune n’était plus si chaud. Peut-être les médicaments pris à l’hôpital commençaient-ils à faire effet.
Le crépuscule allait bientôt tomber. Ils se trouvaient non loin d’Aix-la-Chapelle, dans un coin dégagé et arboré, avec des champs et des bois, lorsque Carsten freina si brusquement que Shannon fut étranglée par la ceinture de sécurité. Lorsqu’elle recouvra ses esprits, elle réalisa qu’un arbre était couché en travers de la route.
Les portières de la cabine furent arrachées. Des voix d’hommes qui hurlaient. Shannon aperçut les canons de fusils, puis des têtes. Des écharpes remontées haut sur le nez, des bonnets enfoncés bas sur le front.
« Descendez ! » crièrent les assaillants en grimpant. Carsten tenta de passer la marche arrière, mais l’un des hommes lui asséna un violent coup de crosse sur la main, tandis qu’un autre appuya le canon du sien contre sa tempe. Criant de douleur, Carsten lâcha le levier de vitesses et leva les mains. Les hommes l’agrippèrent, pour un peu il serait tombé du poids lourd — il parvint cependant à se retenir pour descendre précipitamment, tandis qu’Eberhart, de l’autre côté, ne connaissait pas meilleur sort. Shannon entendit des coups sourds et des cris. Elle s’enfonça dans le dossier, et, instinctivement, leva les bras à son tour. Voici que les hommes leur hurlaient maintenant au visage, agitant leurs fusils. Shannon défit la ceinture de Manzano et le souleva autant qu’elle put, jusqu’à la portière. Elle prit à l’épaule son sac marin contenant le portable de l’Italien. Un homme acheva de tirer ce dernier sur la banquette, prêt à le flanquer par terre. L’Américaine retint Manzano et s’approcha de l’homme en criant : « Easy ! Easy ! »
Manzano bascula sur ses épaules ; ainsi, il pouvait descendre avec elle, sans risquer de s’écraser sur le bitume. Eberhart et Carsten se contorsionnaient dans le fossé, l’un se tenant la tête, l’autre l’entrejambe.
L’un des agresseurs s’était installé au volant. Deux autres prirent place sur la banquette arrière, et trois encore à côté du chauffeur. Les portières se refermèrent sur eux.
Le véhicule partit en marche arrière pour s’engouffrer dans un chemin vicinal, y faire demi-tour, puis repartir dans la direction opposée.
« Salopards ! » hurla Eberhart en direction du poids lourd qui disparut dans un nuage de poussière.
C’est l’hôpital qui se fout de la charité, se dit Shannon.
Eberhart, qui s’était assis entre-temps, n’arrêtait plus de soupirer.
Shannon ne le plaignait pas. Il avait bien mérité sa raclée. Elle demanda cependant : « Tout va bien ?
— La remorque était vide », gémit-il.
Carsten, à son tour, s’était assis.
« On est encore loin d’Aix-la-Chapelle ? s’enquit Shannon.
— Quatre kilomètres, peut-être », la renseigna Eberhart en lui indiquant la direction à suivre.
Berlin
Michelsen était en train d’étudier les chiffres des réserves de vivres de l’armée encore disponibles lorsqu’on lui chuchota à l’oreille. « Dans la salle de réunion. Tous. Immédiatement. »
Depuis le début du black-out, chaque nouvelle information leur était annoncée publiquement, soit par quelqu’un de la maison, soit par les médias.
Cette fois, c’était différent. Quelqu’un faisait le tour des bureaux, et murmurait à l’oreille de chacun les mêmes mots, comme s’il y avait un secret, ici, en cet endroit protégé, le dernier lieu d’asile, le seul qui offrait aux personnes rassemblées une toute petite lueur, l’espoir de pouvoir encore contrôler la situation. Il n’y avait plus de place assise vacante dans la salle de réunion. Au bout de la longue table étaient installés le chancelier et la moitié de son cabinet. Aucun d’eux ne portait de cravate ni de costume. Personne n’osait parler, jusqu’à ce qu’entre l’homme qui chuchotait et qu’il ferme la porte derrière lui.
« Mesdames et messieurs, commença le ministre de l’Intérieur, l’attaque a atteint un niveau encore supérieur. Ainsi que nous l’ont fait savoir nos spécialistes en IT il y a quelques minutes, nos systèmes de communication ont été piratés. Pour l’instant, nous ne savons pas encore comment ils s’y sont pris ni dans quelle mesure les agresseurs maîtrisent nos systèmes. Mais une chose est incontestable : vos ordinateurs sont infectés. Nous en avons la confirmation par Europol, les Français, les Britanniques, les Polonais et trois autres centres de crises du continent. Les autres ne sont pas en mesure, pour l’heure, d’analyser leurs systèmes. Nous devons partir du principe qu’ils sont, tout du moins partiellement, également infectés. (Afin de couper court à toute polémique, il leva les mains.) Nous ne croyons aucunement que qui que ce soit parmi vous ait quelque chose à voir avec tout ça. Pénétrer ces systèmes demande une préparation aussi longue que pour attaquer les infrastructures énergétiques. »
Il rabaissa ses mains, se racla la gorge et poursuivit : « Les intrus ne se contentent pas d’observer nos communications. Non, ils les manipulent de manière ciblée afin de saboter nos activités, de nous induire en erreur ou de nous empêcher de travailler. Malheureusement, il a fallu plusieurs événements pour nous amener à ces conclusions. Vous devez partir du principe que chacun de vos mails est lu, que chacune de vos conversations téléphoniques et de vos discussions est écoutée. »
Michelsen, qui avait suivi l’exposé dans un état de transe, entendit un chuchotement en provenance d’un autre coin de la salle.
« Oui, aussi les discussions, répéta le ministre de l’Intérieur qui avait manifestement mieux compris. Vos ordinateurs sont équipés de micros et de caméras, qu’on peut activer de l’extérieur avec les logiciels ad hoc . De cette manière, les pirates entendent et voient tout ce qu’enregistrent micros et caméras. Ils ont des yeux et des oreilles dans cette salle, au cœur de notre situation room ! Et, concernant les Français, les Polonais, Europol, le Monitoring and Information Centre de l’Union européenne, concernant l’OTAN, on n’a encore aucune nouvelle. Mais, je ne serais pas étonné si… »
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