Lennon coucha Ellen sur l’herbe, le visage pâle de la fillette tourné vers le ciel. Au loin, les sirènes hurlaient. Il lui pinça le nez et appliqua sa bouche contre la sienne. Le torse de l’enfant s’emplit tandis qu’il soufflait doucement, puis retomba quand il se redressa. En recommençant la manœuvre, il tenta de se rappeler la prière que sa mère récitait. Cette fois, Ellen toussa, expulsa l’air de ses poumons, puis hoqueta en inspirant et cambra le dos, toussa encore. Ses paupières tremblèrent mais ne s’ouvrirent pas. Pourtant, sa poitrine indiquait qu’elle respirait.
Il s’approcha pour écouter son cœur et l’entendit battre, colla sa joue contre la sienne, se laissa imprégner de sa chaleur. Ses forces l’abandonnèrent et il s’effondra sur l’herbe à ses côtés. Puis, roulant sur le dos, il lui prit la main. Les petits doigts tressaillaient entre les siens. L’incendie faisait rage à l’étage de la maison. Il savait que le chagrin menaçait, sous la surface de sa conscience, maintenu à distance par la fatigue. Ce serait pour plus tard.
La fumée s’élevait en volutes vers le bleu du ciel. Des corbeaux tournoyaient en échangeant leurs inquiétudes. Les sirènes se rapprochaient, mais il ne les entendit jamais arriver.
Il avance, poussé en avant par la douleur. Plus loin est la lumière. Ses poumons menacent d’éclater. La chaleur. Seule, la volonté de vivre.
Et la haine.
Il se traîne, à plat ventre sur le plancher.
La haine.
La haine peut mouvoir un homme.
Beaucoup plus loin que la douleur.
Même quand l’esprit s’est rendu, la haine est capable de propulser le corps.
Vers la lumière.
La lumière est fraîche, claire.
Comme un bassin d’eau pure qui apaise.
Encore un mètre.
Cinquante centimètres.
Un centimètre.
L’air. Mon Dieu, que l’air est frais et pur.
Mais il tombe.
Douleur, douleur, va-t’en, reviens plus tard.
Le Voyageur hurle.
Le Voyageur respire.
Le Voyageur rit.
Le Voyageur se traîne.
Ellen regardait droit devant elle, les mains serrées sur ses genoux. Elle paraissait si petite, assise sur le canapé de Lennon. Il avait payé une fortune pour l’acquérir. Non, il avait emprunté une fortune. À présent, tout cela lui paraissait ridicule. Toutes ces années qu’il avait gaspillées à s’entourer de choses inutiles.
Il prit place en face de la fillette.
« Susan va bientôt arriver », dit-il.
Ellen ne répondit pas.
« Elle amène Lucy. Tu l’aimes bien, Lucy ? »
Ellen contempla ses mains. Elle remua les doigts, comme si elle parlait en langue des signes.
« Je reviens bientôt, reprit Lennon. Dans une heure ou deux. Et après, on pourra regarder un film. C’est quoi déjà, celui que tu aimes ? Avec un poisson… »
Elle croisa à nouveau les mains et fixa un point derrière Lennon. Ses yeux semblaient suivre quelqu’un qui se déplaçait dans la pièce.
Aujourd’hui avait lieu, à huis clos, le dernier volet de l’enquête. Dan Hewitt se présenterait à la barre et confirmerait la version de Lennon. Celui-ci n’avait pas éprouvé la moindre once de culpabilité à le faire chanter. Personne ne saurait jamais que la blessure à la jambe de Hewitt ne résultait pas d’un accident qui s’était produit alors qu’il nettoyait son arme personnelle.
Quelques jours auparavant, Uprichard avait convoqué Lennon. La sanction serait légère, assura l’inspecteur principal, le regard fuyant. Lennon serait probablement rétrogradé d’un échelon, mais on lui permettrait peut-être de conserver son salaire. L’essentiel était d’éviter les remous.
La sonnette de la porte d’entrée retentit. Lennon revint au présent. Il alla ouvrir à Susan, la femme divorcée qui habitait au-dessus avec sa fille, Lucy. Lucy apportait un sac rempli de jouets. De même que les autres fois, elle repartirait délestée de quelques-uns d’entre eux, même si Lennon en avait acheté à Ellen. La petite fille semblait préférer les jouets avec lesquels on avait déjà joué, comme si elle espérait partager un jour les rires qui y demeuraient accrochés.
« Comment va-t-elle ? demanda Susan.
— Mieux, répondit Lennon. Même si elle ne dit toujours rien. Elle a dormi d’une seule traite la nuit dernière. »
Susan sourit. « C’est bien », dit-elle en suivant Lennon qui la conduisait au salon.
Il s’immobilisa sur le seuil. Susan l’imita, tandis que Lucy se faufilait entre eux.
Ellen était debout au milieu de la pièce, les mains levées pour toucher quelque chose, parlant à voix basse dans le vide. Elle laissa retomber ses mains et se tut en s’apercevant qu’elle n’était pas seule.
Lennon s’accroupit devant elle. « À qui parlais-tu, chérie ? »
Ellen sourit. Un bref éclair de malice passa dans ses yeux, puis s’éteignit. « À personne, répondit-elle.
— Lucy est là, annonça Lennon en se relevant. Va lui dire bonjour, tu veux ? »
Ellen se tourna vers son amie. Lucy tendait le sac de jouets, ouvert, telle une offrande.
Lennon se pencha vers la fillette qui se réfugiait contre sa jambe et l’embrassa sur la tête. Elle s’écarta pour aller rejoindre Lucy. Bientôt, toutes deux se mirent à chuchoter.
Lennon regrettait de la laisser, mais il devait partir et la confier aux bons soins de sa voisine.
Elle était sauvée.
C’est la seule chose qui comptait, la raison pour laquelle demain serait un meilleur jour qu’hier, et il s’y accrochait comme à un oreiller qu’on serre contre soi en dormant. En partant, il effleura la main de Susan. Elle répondit à son contact ; ses doigts étaient doux et chauds.
Ellen était sauvée.
Lennon entra dans l’ascenseur, appuya sur le bouton du rez-de-chaussée. Une journée fatigante l’attendait, avec des questions en série, même si on éviterait les vérités les plus délicates. Ce serait un mauvais moment à passer, mais il s’en sortirait. Parce qu’il savait une chose :
Elle était sauvée.
Encore une fois, bien des gens m’ont soutenu jusqu’à la parution de cet ouvrage, et je souhaite exprimer ma gratitude à certains d’entre eux :
Nat Sobel, Judith Weber et tous les membres de Sobel Weber Associates, Inc, le meilleur agent qu’un auteur puisse espérer.
Caspian Dennis, et tous les membres de Abner Stein Ltd, pour leur travail remarquable.
Geoff Mulligan, Briony Everroad, Alison Hennessey, Kate Bland et tous les membres de CCV pour leurs efforts et leur soutien.
Bronwen Hruska, Justin Hargett et Ailen Lujo, chez Soho Press, qui se sont mis en quatre pour moi. Et en mémoire de la regrettée Laura Hruska.
Betsy Dornbusch, qui est une bien meilleure amie que je ne le mérite, ainsi que Carlin, Alex et Gracie, pour m’avoir accueilli chez eux.
Shona Snowden, pour son œil toujours acéré.
Juliet Grames, pour ses sages conseils, et pour m’avoir fait découvrir un visage nouveau de New York, y compris à travers ses hauts lieux du karaoké.
David Torrans et tous ceux de No Alibis, Botanic Avenue, Belfast, qui tiennent la meilleure librairie de cette planète.
James Ellroy, pour m’avoir débarrassé de l’idée qu’il ne fallait pas rencontrer ses héros, ainsi que tous les grands auteurs qu’il m’a été donné de croiser ces deux dernières années, bien trop nombreux pour qu’on les nomme ici.
Craig Ferguson, pour m’avoir lancé aux États-Unis, et pour ses jurons.
Hilary Knight, ma formidable attachée de presse.
Gerard Brennan, Declan Burke, ainsi que tous les bloggers et les critiques en ligne qui m’ont témoigné leur extraordinaire soutien depuis le début. Eux aussi sont trop nombreux pour qu’on les nomme ici, mais chacun s’y retrouvera.
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