Stuart Neville - Collusion

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Une collusion. Ils étaient de mèche. C’est ce qu’on racontait partout. La police, les Anglais et les Loyalistes s’entendaient par-derrière…
Jack Lennon, policier d’Ulster catholique et, à ce titre, ostracisé par sa communauté et par les protestants loyalistes, cherche à retrouver Ellen, sa fille de six ans que son ex-femme a cachée pour la protéger. Sa hiérarchie lui ordonne de laisser tomber, mais Jack n’obéit pas. Confronté à l’enchevêtrement des haines héritées de la guerre civile, Jack en vient à faire alliance avec Gerry Fegan, le tueur des
, qui est lui-même devenu la cible d’une irréductible vengeance.
Sur leur route, ils vont croiser un vieux truand malade et son glaçant homme de main.
Collusion Stuart Neville est originaire d’Armagh, en Irlande du Nord. Après des études de musique, il s’est consacré au design multimedia et à l’écriture. « Neville pourrait bien avoir le talent de rivaliser avec son héros Ellroy… » Daily Mail « Ce n’est pas possible d’être aussi doué que ce sacré Stuart Neville. Collusion est un roman magnifique. » Ken Bruen « Un thriller cérébral mais bourré d’action, aux personnages fouillés, qui donne à voir de l’intérieur le paysage fluctuant de la vie politique en Irlande du Nord. » Publishers Weekly

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Il se dirigea vers le parking de Dublin Road. Dans son esprit défilaient des images : une frêle vieille dame, un avocat effrayé, et une petite fille qui ne savait pas comment il s’appelait.

Pour la troisième fois en vingt minutes, Lennon rappela à sa mère qui il était. Pour la troisième fois, elle hocha la tête en paraissant vaguement le reconnaître. Après avoir tripoté sa robe de chambre quelques instants, elle fixa à nouveau le mur en face de son lit.

Chaque visite se déroulait ainsi. Une suite de phrases sans affect, trouées par des moments d’absence. Pourtant Lennon venait malgré tout, peut-être pas aussi souvent qu’il l’aurait dû, mais suffisamment pour qu’on le remarque. Il ne reprochait pas à sa mère le temps qu’elle lui prenait. Simplement, il détestait la voir dans cet état, même si elle l’avait déshérité des années auparavant. Il avait dû attendre que son esprit batte la campagne avant de pouvoir la revoir, et cela aussi lui faisait horreur. Ne subsistait plus que l’ombre de la femme qui riait comme une gamine quand elle dansait avec son frère et lui aux mariages et aux communions.

« Les jours raccourcissent, dit-elle en regardant par la fenêtre à demi obscurcie. Pour un peu, on se croirait à Noël. Ça se passe chez qui, cette année ?

— Chez Bronagh, répondit Lennon. Comme toujours. »

Bronagh. L’aînée des trois sœurs. C’était elle, tant d’années auparavant, qui avait ordonné à Lennon de partir et de ne plus jamais revenir.

La veille de la mise en terre de Liam, Phelim Quinn, membre du conseil municipal d’Armagh, vint rendre visite à la mère de Lennon. Il la prit à part, présenta ses condoléances et lui rappela que parler à la police n’arrangerait rien. De toute façon, les flics n’apporteraient sûrement aucun soutien à la famille. Liam avait payé pour ses erreurs. Dans l’intérêt de tous, il valait mieux se remettre au plus vite et tourner la page. La mère de Lennon lui ordonna de sortir d’une voix à peine audible. Lennon rattrapa Quinn alors qu’il avait presque atteint le portail de leur petit jardin.

« Liam n’était pas une balance, lâcha-t-il. Il me l’a dit. »

Quinn s’arrêta et se tourna vers lui. « À moi aussi, il me l’a raconté. Ça n’est pas vrai pour autant. »

La gorge de Lennon se serra, des larmes lui brûlaient les yeux. « Si ! Il m’a expliqué que quelqu’un se couvrait et lui faisait porter le chapeau. »

Quinn s’approcha tout près de lui. Son haleine sentait le whisky. « Fais attention à ce que tu dis, fiston. Ta famille a assez de peine comme ça. N’en rajoute pas. »

Lennon fut pris d’une subite envie de pleurer. Il se retint. Pas question de craquer devant ce salaud. « Vous vous êtes trompé de personne, répondit-il. Ne l’oubliez pas. »

Ravalant les larmes brûlantes qui se pressaient derrière ses yeux, il retourna dans la maison où sa mère et ses trois sœurs se serraient les unes contre les autres. À partir de ce jour-là, il ne pleura plus jamais.

Le lendemain de l’enterrement de Liam, deux policiers en uniforme se présentèrent à la porte. Bronagh les maintint sur le perron pendant dix minutes, jusqu’à ce que sa mère intervienne et les laisse entrer. Lennon observait la scène depuis le seuil du salon en les écoutant poser des questions banales, d’une voix désabusée. Ils savaient tous deux qu’ils perdaient leur temps, on le voyait à leurs visages, à leurs attitudes. Leur visite n’était rien de plus qu’une formalité, une case à cocher. Ensuite, l’affaire serait classée avec une centaine d’autres qui ne seraient jamais élucidées parce que les habitants du quartier refusaient de coopérer.

Lennon intercepta les policiers dans le couloir.

« Phelim Quinn, dit-il.

— Oui, et après ? rétorqua le sergent.

— C’est lui le coupable. Ou alors, il sait qui c’est. »

Le sergent se mit à rire. « Moi aussi, je le sais. Tout comme mon collègue ici, l’agent McCoy. Et tout le monde dans cette rue. Il suffirait que quelqu’un fasse une déposition, l’enquête serait quasiment bouclée. Mais en attendant, c’est comme si on cherchait le père Noël. »

Il posa une main sur l’épaule de Lennon. « Écoute, mon garçon. J’aimerais vraiment coffrer les salopards qui ont tué ton frère. Je t’assure. Mais ça n’arrivera jamais, tu le sais aussi bien que moi. Bon sang, s’il y avait la moindre chance de leur mettre la main dessus, ils enverraient des inspecteurs, pas des sous-fifres comme nous. On tape les rapports, on remplit les formulaires, ça s’arrête là. Le mieux que tu puisses faire, c’est d’éviter les ennuis et de t’occuper de ta mère. »

Plantant là le jeune Lennon, les policiers repartirent et fermèrent la porte derrière eux.

Durant les semaines suivantes, la maison sembla comme prise dans la glace. Chacun s’enfermait dans son chagrin, sa colère et sa peur, sans trouver le moyen de les exprimer. La nuit, allongé seul dans la chambre qu’il avait partagée avec son frère, Lennon réfléchissait aux conséquences de sa décision. En remplissant son dossier d’inscription, il avait donné son adresse d’étudiant à Belfast. Il était de retour à Queen’s pour commencer son master de psychologie lorsqu’il fut convoqué à son premier examen. Le soulagement qu’il éprouvait à l’idée de quitter sa famille dévastée était terni par la crainte. Il s’embarquait dans six mois d’entretiens et d’épreuves physiques, travaillant aussi à temps partiel à l’accueil de l’unité psychiatrique de Windsor House, tout ça sans mettre personne dans la confidence, pas même ses meilleurs amis de l’université.

Il revenait de moins en moins à la maison le week-end, malgré la Seat Ibiza d’occasion héritée de son frère qui lui facilitait les trajets de Belfast au village. Le lit inoccupé de sa chambre, tel un sanctuaire érigé à la mémoire de Liam, l’empêchait de fermer l’œil. Un jour, il demanda à sa mère s’il pouvait l’enlever. Elle le gifla à la volée et il ne reposa plus la question. Bronagh prenait peu à peu le contrôle de la maison, organisant les repas, attribuant diverses tâches domestiques à ses sœurs cadettes, tandis que sa mère passait ses journées à regarder dans le vague.

Un Noël passa, ce fut une torture. Ils mangeaient toujours en silence. En mars arriva la dernière épreuve : les contrôles de sécurité. Convaincu d’être éliminé à cause de son frère, Lennon commença à souhaiter une lettre de refus. Pourtant, dans un coin de son esprit, une petite voix effrayée et pleine d’espoir à la fois lui disait que peut-être — après tout, peut-être — son frère n’avait pas été impliqué suffisamment, ni assez longtemps, pour que l’on rattache son nom à un crime quelconque. Peut-être aussi montrait-il qu’il prenait ses distances par rapport à sa famille en donnant son adresse à Belfast. Enfin, il reçut le document qui lui signifiait la date de son admission au Centre d’entraînement de la Police de Garnerville. Gardant les yeux fixés sur les mots imprimés pendant un temps interminable, il sut qu’il se présenterait et que son ancienne vie touchait à sa fin.

Il retourna chez lui une dernière fois, but une bière au pub avec d’anciens amis d’école, rédigea des courriers pour sa mère, arpenta le village de long en large. Après la messe du dimanche, il annonça la nouvelle à ses sœurs et à sa mère en mangeant le rôti préparé par Bronagh. Claire et Noreen ne firent aucun commentaire. Elles ramassèrent leurs assiettes, les déposèrent dans l’évier et sortirent de la pièce. Bronagh resta assise sans bouger.

Sa mère regardait la nappe, tremblant de tous ses membres. « Tu seras tué, dit-elle. Comme Liam. Tu seras tué. Je ne peux pas perdre deux fils. N’y va pas. Tu n’es pas obligé. Tu as le droit de changer d’avis. Reste à l’université, termine ton master, trouve un bon travail. Ne fais pas ça.

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