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Franck Thilliez: L'anneau de Moebius

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Franck Thilliez L'anneau de Moebius
  • Название:
    L'anneau de Moebius
  • Автор:
  • Издательство:
    Éditions Pocket
  • Жанр:
  • Год:
    2010
  • Город:
    Paris
  • Язык:
    Французский
  • ISBN:
    978-2266205047
  • Рейтинг книги:
    4 / 5
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L'anneau de Moebius: краткое содержание, описание и аннотация

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Pour sa première enquête, Victor Marchal aborde son métier de flic par sa face la plus noire : une actrice du porno torturée, une plongée dans le monde des déviants sexuels et des monstres de la nature. Depuis toujours, Stéphane Kismet est hanté par des images prémonitoires, mais cette fois elles obéissent à une terrifiante logique. Dans ses rêves, Stéphane possède une arme, il est recherché par la police, une petite fille est morte… Les trajectoires de Victor et Stéphane vont se rejoindre. L'un n'a encore rien vu, l'autre ignore qu'il sait déjà tout… « Franck Thilliez n'a pas son pareil pour nouer une intrigue policière tout en plongeant ses personnages dans de sordides histoires qui titillent leur côté sombre. Efficace, documenté, complexe, ce nouveau roman apporte son lot de frissons. » ELLE

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Aucune réaction. Stéphane fixait ses mains osseuses, sans bouger. Sylvie devina, derrière les pupilles troubles de son mari, quelque chose de bien plus grave que de la distraction. Une ombre rampante qu’elle avait déjà croisée à maintes reprises, et qui l’effrayait.

Stéphane se mit à raconter :

— Cette nuit, je portais la veste kaki de Paul, bien trop grande pour moi à l’époque. Celle qu’il me prêtait quand on péchait la truite. Cette veste, ça fait plus de vingt ans que je ne l’ai plus vue, mon père l’avait d’ailleurs perdue. Je ne me souvenais plus de sa couleur, ni même de son existence. Et pourtant, j’ai revu l’anneau de métal avec sa pointe de rouille, autour de l’une des poches. L’accroc sur le rabat. La tache d’huile au niveau du col. Tout m’est revenu en tête, d’un coup.

— Et alors ?

— Et alors ? Comment ça se fait ? Comment j’ai pu me souvenir de tels détails alors que je ne me rappelle jamais de mes rêves d’habitude ?

Il tira soudain sa femme par le bras.

— A quoi tu joues ? s’écria Sylvie.

Ils traversèrent le hall, lui devant, elle derrière. La pièce octogonale était ornée de superbes balustres sculptés. C’était le centre névralgique de la maison, son âme.

— Là, exactement là, se dressait une statuette asiatique en céramique. Trente, quarante centimètres, avec son chapeau en feuilles de palmier, sa robe jusqu’aux chevilles. Je la vois encore comme je te vois, comme si elle avait toujours été là. Boom, je l’ai fracassée d’un geste brusque. J’ai une méchante impression de déjà-vu !

— Moi aussi, j’ai une impression de déjà-vu. Celle d’un train au bout du quai, et d’une crétine en tailleur qui l’a manqué d’un souffle. Qu’est-ce que je vais raconter à mes premiers clients pour expliquer mon retard ?

Stéphane la relâcha et considéra le bleu de ses yeux, où dansaient de petits éclats d’or.

— Deux secondes. Je te demande juste deux secondes, d’accord ? J’ai… besoin de… de vérifier quelque chose. Tu te rappelles, tu as rangé le vin quand on a emménagé.

— Le vin ? Oui, pourquoi ?

— Suis-moi. C’est hyper-important.

Elle hésita, l’œil sur sa montre, puis lui emboîta le pas jusqu’aux abords du sous-sol. Ils descendirent sous la lueur d’ampoules poussiéreuses.

— Pas d’électricité dans mon rêve. Je tenais une lampe torche qui ne m’appartenait pas, apparemment. Et il y avait… Oui, huit marches. Comment je pouvais savoir qu’il y en avait huit ?

Sylvie frissonna. Elle détestait s’aventurer dans ce souterrain macabre, transpercé de couloirs et de pièces sinistres où son mari avait installé ses quartiers. Dans cette maison, tout était trop grand, démesuré. Elle aimait tellement Paris, son bruit, ses lumières.

Elle répondit pour que l’écho de sa voix la rassure :

— Ce n’est pas moi qui vais t’expliquer ! On devait partir au Vietnam. Alors ta statuette, il s’agit d’un souvenir de vacances que tu aurais aimé rapporter de là-bas. Et pour les marches, la veste kaki de ton père, relis Freud. Probablement ton inconscient, qui régurgite un tas de détails passés. Mince, il y a une tonne de bouquins à l’étage prouvant que tu t’y connais plus que moi sur Freud et les rêves, non ?

Ils doublèrent la salle où Stéphane entassait ses dummies aux corps démantibulés, aux têtes fracturées, puis celle remplie de paperasse cinématographique. Affiches de films, feuilles de génériques, plans de travail, Mad Movies défraîchis et autres story-boards chiffonnés. Ils passèrent ensuite devant une porte fermée, noircie d’un dessin au fusain écœurant : un bébé, frappé par une maladie lui rongeant les membres. Sylvie détourna rapidement la tête. Plus loin, se nichait le « lieu de travail », dont l’entrée s’ornait d’une pancarte : « Darkland ».

Stéphane bifurqua dans la cave et s’agenouilla devant les bouteilles de vin.

— Tu avais bien rangé le bourgogne 99 au-dessus, et le bordeaux 96 en dessous ?

Elle répliqua sans hésitation :

— Exactement. En fonction des délais de garde. Pourquoi ?

Il s’empara avec précaution du bourgogne, du bordeaux, inversa les bouteilles et considéra l’ensemble, en caressant légèrement son bouc naissant.

— Voilà, elles étaient positionnées de cette façon dans mon cauchemar.

— Quoi, c’est tout ? Le voilà, ton truc hyper-important ?

— Quand j’ai vu ce changement de position, je me suis mis à pleurer, à hurler. Qu’est-ce que cela signifiait ?

— Que tu n’aimes pas qu’on touche à tes bouteilles et, de manière générale, à tes affaires. Que tu es un malade du détail, de la coïncidence, que… tout cela t’obsède dangereusement. Bon, j’y vais !

— Et puis… J’avais trois griffures sur la joue et un œil amoché. On braquait un pistolet sur moi, ici, alors que… j’écrivais plein de trucs sur le mur.

— Quel genre de trucs ?

— Je l’ignore. Il faisait noir. Une lampe torche traînait sur le sol, je n’ai pas pensé à éclairer.

— Vraiment dommage.

Sylvie réajusta son tailleur beige et se frictionna les épaules. Juste devant elle, une toile d’araignée scintillait dans un courant d’air.

— Ce n’est qu’un rêve, Stéphane. Un stupide rêve comme tu en as déjà fait des milliers, sauf qu’avant, tu ne te souvenais jamais. Alors forcément, celui-là te paraît bizarre. C’est comme… comme une première fois.

— Non ! Dans les rêves, les décors autour de soi changent instantanément, on est incapable de se concentrer, de lire, d’écrire, de calculer. Les études le prouvent. Moi, je lisais les étiquettes, j’écrivais, tout était cohérent.

— À condition de considérer que hurler devant des bouteilles de vin puisse être cohérent. Bon, j’y vais. Et n’oublie pas tes cachets.

Stéphane se redressa.

— Je n’en prendrai plus, ça va mieux.

— Ça va mieux ? Tu trouves ? Ça n’a jamais été mieux. Je ne veux pas revivre l’enfer. Pas cette fois.

Stéphane se coiffa d’une reproduction du masque en latex de The Mask, se faufila devant sa femme et se mit à glousser, en imitant Jim Carrey :

— Ce soir, je te promets, on fera l’amour, ma poule ! L’Amoooour, avec plein de ho, de hi, de ha !

Puis il ôta son déguisement.

— J’ai l’air de ne pas aller bien ?

— Vachement, si.

Elle l’écarta du bras.

— Avant, tu m’aurais fait rire, parce que avant, tu ne te forçais pas, c’était naturel, tout le temps. Là, on dirait plutôt un acteur raté qui essaie de rattraper un coup foireux. A ce soir.

Stéphane resta là, plombé, le masque au bout des doigts. Derrière une fenêtre grise de crasse, il aperçut les jambes fuselées de sa femme, devant l’Audi. Alors que la portière claquait, il réalisa qu’il ne les regardait plus. Qu’il ne la regardait plus.

Dans cette semi-obscurité, ce calme de grotte, il balança le faciès vert sur des planches. Il alluma de puissants halogènes, déclencha la ventilation et caressa quelques-unes de ses œuvres funèbres.

— Ça va toi ? Et toi ? Et toi ?

Il parlait à Peperbrain, à Mabouloff, à Hauntedmouth. Ce dernier monstre, mi- humain, mi- bête, à la mâchoire démesurée − cent quatre-vingts dents acérées, une broutille −, avait servi pour le tournage d’un film de série B, Neuronal Attack. Bon nombre de ses moulages agonisaient dans des brouettes. Ainsi finissaient les créatures de cinéma, à l’identique de leurs créateurs : dans des caves anonymes.

Parmi ces mannequins, il y en avait un dont Stéphane prenait particulièrement soin. Une présence charismatique, exactement de sa taille : 1 m79. Pour le fabriquer, il avait moulé son propre visage, seul, des pailles dans les narines pour respirer alors que le latex dégoulinait sur les bandes de plâtre. Le crâne ouvert du monstre laissait apparaître, à la place du cerveau, une autre reproduction réduite de lui-même. Un personnage jamais utilisé en tournage.

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