« Alors… » « Comment… »
« Toi d’abord », dit Hodges en riant.
Sans le regarder (c’est quelque chose qu’elle ne peut encore faire que par à-coups, même quand elle est absorbée par un problème), elle se lance :
« Cette conversation qu’il a eue avec Tina au sujet d’un trésor enterré — or, doublons, pierres précieuses. Je crois que c’est important. Je ne pense pas qu’il ait volé cet argent. Je pense qu’il l’a trouvé .
— Ça doit être ça. Les gosses de treize ans qui cambriolent des banques sont rares, si désespérés soient-ils. Mais où un gamin peut-il dénicher ce genre de butin ?
— Aucune idée. J’imagine que je peux lancer une recherche internet sur une période donnée et récupérer une liste de vols d’argent liquide. On peut être sûrs que le vol date d’avant 2010, si Pete a trouvé l’argent en février de cette année-là. Vingt-deux mille dollars, c’est un assez gros pactole pour que les journaux en aient parlé, mais comment établir un protocole de recherche ? Selon quels critères ? Jusqu’où remonter ? Cinq ans ? Dix ? Je parie qu’en remontant seulement jusqu’à 2005, la moisson d’infos serait déjà énorme. Parce que je pense devoir chercher sur les trois États contigus. Tu ne crois pas ?
— Même si tu cherchais sur tout le Midwest, tu ferais qu’une prise partielle. »
Hodges pense à Oliver Madden, qui a peut-être bien dupé des centaines de gens et des dizaines d’organisations au cours de sa carrière. C’était un expert en création de faux comptes bancaires mais Hodges parierait que ce bon vieux Oliv ne faisait aucune confiance aux banques pour ce qui était de son propre argent. Non, il lui fallait être certain d’avoir un bon matelas de côté.
« Pourquoi partielle ?
— Tu penses à des banques, des bureaux de change, des organismes de crédit rapide. Peut-être même des caisses de paris sur les courses de lévriers et les matchs des Groundhogs. Mais c’était peut-être pas de l’argent public. Le ou les voleurs ont pu mettre la main sur les enjeux d’une grosse partie de poker ou arnaquer un dealer de meth d’Edgemont Avenue, au Paradis des Pedzouilles. Pour ce qu’on en sait, le fric peut venir d’un cambriolage de maison particulière à Atlanta, San Diego ou n’importe où entre les deux. Ce genre de vol d’argent liquide peut même ne jamais avoir été signalé.
— Surtout si c’est de l’argent jamais déclaré au fisc pour commencer, renchérit Holly. D’accord d’accord d’accord. Alors qu’est-ce qu’il nous reste ?
— Parler à Peter Saubers, et franchement, j’ai hâte. Je pensais avoir tout vu, mais j’ai jamais vu un truc comme ça.
— Tu pourrais lui parler dès ce soir. Il ne part que demain. J’ai pris le numéro de portable de Tina. Je pourrais l’appeler et lui demander celui de son frère.
— Non, laissons-lui son week-end. Il est peut-être déjà parti, de toute façon. Ça lui laissera le temps de se calmer, et de réfléchir. Et laissons le sien à Tina. Lundi après-midi suffira.
— Et ce carnet noir qu’elle a vu ? Le Moleskine ? Tu as une idée là-dessus ?
— Probablement rien à voir avec l’argent. Ça pourrait être son journal sur ses 50 Nuances de fantasmes sur la fille assise derrière lui en étude. »
Holly émet un pfff pour signifier ce qu’elle pense de ça et se met à faire les cent pas. « Tu sais ce qui m’intrigue ? Le décalage.
— Le décalage ?
— L’argent a cessé d’arriver en septembre, avec un mot disant qu’il regrette qu’il y en ait plus. Mais pour autant qu’on sache, Peter n’a commencé à devenir bizarre qu’en avril ou mai de cette année. Pendant sept mois, il va bien, et puis il se laisse pousser la moustache et commence à manifester des symptômes d’anxiété. Que s’est-il passé ? Des idées là-dessus ? »
Oui, une possibilité se détache pour Hodges.
« Il a décidé qu’il voulait davantage d’argent, peut-être pour que sa sœur puisse aller à la même école que Barbara. Il s’est dit qu’il connaissait un moyen, mais quelque chose a mal tourné.
— Oui ! C’est ce que je pense aussi ! » Elle croise les bras sur sa poitrine et prend ses coudes dans ses mains en un geste d’autoréconfort que Hodge lui a souvent vu faire. « Je regrette quand même que Tina ait pas vu ce qu’il y avait dans ce carnet. Ce carnet Moleskine.
— Tu as une intuition là, ou tu suis un enchaînement logique qui m’échappe ?
— J’aimerais savoir pourquoi il ne voulait pas qu’elle le voie et l’a caché aussi précipitamment, c’est tout. » Ayant habilement esquivé sa question, Holly se dirige vers la porte. « Je vais programmer une recherche internet sur les cambriolages intervenus entre 2001 et 2009. Je sais que ça fait long, mais il faut bien commencer par quelque chose. Tu vas faire quoi ?
— Rentrer chez moi. Réfléchir à tout ça. Demain j’ai des voitures à saisir et un fuyard en conditionnelle à serrer, un certain Dejohn Frasier qu’est sûrement planqué chez sa belle-mère ou son ex-femme. Et puis je vais regarder les Indians, et peut-être bien aller me faire une toile aussi. »
Holly allume une cigarette.
« Je peux aller au ciné avec toi ?
— Si tu veux.
— Je peux choisir ?
— Seulement si tu promets de pas me traîner voir une nullité romantique avec Jennifer Aniston.
— Jennifer Aniston est une excellente actrice et une comédienne très sous-estimée. Sais-tu qu’elle a joué dans le premier Leprechaun en 1993 ?
— Holly, tu es une mine d’informations, mais tu esquives le problème, là. Promets-moi : pas de comédie romantique, ou j’y vais tout seul.
— Je suis sûre qu’on peut trouver un terrain d’entente, dit Holly sans vraiment croiser son regard. Tu crois que ça va aller pour le frère de Tina ? Tu penses pas qu’il pourrait réellement essayer de se suicider, si ?
— Non, pas si j’en crois son comportement. Il s’est mis en quatre pour sa famille. Des gars comme ça, capables d’empathie, ont pas de tendances suicidaires en général. Mais Holly, ça te semble pas bizarre que la petite ait pigé que Peter était l’expéditeur de l’argent, et que leurs parents n’y aient vu que du feu ? »
La lumière s’éteint dans les yeux de Holly et, l’espace d’un instant, elle ressemble beaucoup à la Holly d’avant, celle qui a passé la majeure partie de son adolescence dans sa chambre, le genre de jeunes reclus névrosés que les Japonais appellent des hikikomori .
« Les parents peuvent être très bêtes », dit-elle, et elle sort.
Ouais, pense Hodges, les tiens l’étaient certainement, on est d’accord là-dessus.
Il s’approche de la fenêtre, croise ses mains derrière son dos et regarde fixement le bas de Marlborough Street où, à l’approche de l’heure de pointe de l’après-midi, la circulation est en train de s’intensifier. Il se demande si Holly a envisagé l’autre source d’angoisse possible du garçon : que les blaireaux qui ont planqué l’argent soient revenus, et l’aient trouvé envolé.
Et que, d’une façon ou d’une autre, ils aient découvert qui l’a pris.
Statewide Motorcycle & Small Engine Repair [9] Réparation de motos et petits moteurs à l’échelle de l’État.
n’est ni à l’échelle de l’État ni à celle de la ville : c’est une erreur de zonage délabrée, en tôle ondulée rouillée, située dans le South Side, à un jet de pierre du stade de Ligue Mineure où jouent les Groundhogs. Il y a une rangée de motos à vendre en façade, alignées sous des fanions en plastique ondulant mollement sous une longueur de câble pendouillante. La plupart des motos paraissent plutôt sommaires à Morris. Un gros type en gilet de cuir, assis par terre contre le mur, est en train de tamponner sa peau écorchée par le bitume avec une poignée de Kleenex. Il lève les yeux vers Morris et ne dit rien. Morris ne dit rien non plus. Il a dû se taper la route à pied depuis Edgemont Avenue, quasiment deux bornes sous le soleil brûlant du matin, parce que les bus ne viennent jusqu’ici que les jours de match.
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