— Respire. Tout ira bien.
Julián lui avait souri puis s’était penché pour déposer un baiser sur ses lèvres.
Le lendemain, à 7 h 30 du matin, Ambra était sur le plateau, lancée dans une conversation agréable avec trois charmantes chroniqueuses. Emportée par son enthousiasme pour les prochaines expositions du Guggenheim, elle avait oublié les caméras, le public dans le studio, et les cinq millions de téléspectateurs derrière leurs téléviseurs.
— ¡ Gracias, Ambra ! C’était très intéressant, avait conclu la présentatrice. Ce fut un plaisir de vous recevoir.
Ambra l’avait remerciée d’un signe de tête, pensant que l’émission était terminée.
Puis, avec un sourire entendu, la femme s’était tournée vers la caméra pour dire :
— Ce matin, quelqu’un nous fait l’honneur de sa visite. Recevons cet invité de marque comme il se doit.
Les trois chroniqueuses s’étaient levées en applaudissant. Un homme élégant était arrivé sur le plateau. Le public s’était mis debout et les vivats fusaient.
Ambra avait suivi le mouvement.
Julián ?
Le prince avait fait un signe aux spectateurs et serré la main des trois présentatrices. Puis il s’était approché d’Ambra et avait passé un bras autour d’elle.
— Mon père a toujours été un romantique, avait-il expliqué en fixant la caméra. Quand ma mère est morte, il n’a jamais cessé de l’aimer. J’ai hérité de cette faiblesse et je crois que, lorsqu’un homme trouve l’amour, il ne doit pas passer à côté. Alors…
Puis Julián s’était tourné vers elle.
Ambra était tétanisée.
Non Julián, ne fais pas ça !
Il s’était agenouillé devant la jeune femme.
— Je ne te le demande pas en ma qualité de prince, mais juste comme un homme amoureux…
Il l’avait contemplée avec des yeux brillants. Les caméras s’étaient déplacées pour le filmer en gros plan.
— Je vous aime, Ambra Vidal. Voulez-vous m’épouser ?
Clameur de joie dans la salle. La jeune femme avait senti le regard de millions de téléspectateurs posé sur elle. Le feu lui était monté aux joues, les lumières des projecteurs la brûlaient comme des rayons ardents. Son cœur tambourinant dans sa poitrine, ses pensées se bousculant dans sa tête, elle avait regardé Julián.
Comment peux-tu me faire ça ? s’était-elle dit. Ça va trop vite ! Il y a des choses que je ne t’ai pas confiées… des choses qui peuvent tout changer !
Le temps s’était arrêté. Finalement, une présentatrice était intervenue avec un rire gêné :
— De toute évidence la dulcinée est sous le choc ! Mademoiselle Vidal ? Tout va bien ? Un prince charmant est à vos pieds et vous déclare sa flamme devant le monde entier !
La jeune femme avait cherché une façon élégante de se sortir de ce mauvais pas. Mais, devant le silence de la salle, elle s’était sentie piégée. Le public attendait son happy end.
— J’ai hésité, avait-elle bredouillé, parce que je n’en reviens pas de vivre un tel conte de fées.
Elle avait soupiré, puis souri à Julián.
— Bien sûr que j’accepte de vous épouser, prince Julián.
Dans le studio, le public avait explosé de joie.
Julián s’était levé et avait pris Ambra dans ses bras. Jamais, il ne l’avait serrée si fort.
Dix minutes plus tard, ils s’étaient retrouvés assis à l’arrière de sa limousine.
— Je sais que je t’ai prise de court, Ambra. Je te demande pardon. J’ai voulu être romantique. J’ai des sentiments très profonds pour toi et…
— Julián, moi aussi j’ai des sentiments pour toi, mais tu m’as mise dans une situation impossible. Comment pouvais-je imaginer que tu ferais ta déclaration si tôt ? On se connaît à peine. Il y a tant de choses que tu ignores… des choses sur mon passé.
— Tout ce qui compte, c’est le présent.
— Mais là, ça compte.
Il avait souri, secoué la tête.
— Je t’aime. Ton passé n’a aucune importance. Raconte-moi, et tu verras.
Ah oui ? Elle aurait préféré avoir cette conversation dans d’autres conditions, mais encore une fois il ne lui laissait pas le choix.
— Quand j’étais petite, j’ai eu une grave infection. J’ai failli mourir.
— D’accord. Et… ?
Ambra avait senti le vide s’ouvrir en elle.
— Et le résultat c’est que mon rêve d’avoir des enfants… ne restera qu’un rêve.
— Je ne comprends pas.
— Julián. Je ne peux pas être enceinte. Cette infection m’a rendue stérile. J’ai toujours voulu avoir des enfants, mais je ne peux pas en concevoir. Je suis désolée. Je sais à quel point c’est important pour toi. Mais tu as demandé en mariage une femme qui est incapable de te donner un héritier.
Il avait pâli.
Ambra l’avait dévisagé avec intensité.
Julián, il faut me prendre dans tes bras et me dire que ce n’est pas grave. C’est le moment de répéter que ça n’a pas d’importance. Et que tu m’aimes quand même.
Il avait esquissé un mouvement. Un infime mouvement de recul.
Et Ambra avait su que c’était fini.
Le service informatique de la Guardia Real a ses quartiers au sous-sol du Palais, un ensemble de pièces aveugles, un terrier de béton. Installé volontairement à l’écart des baraquements de la Guardia et de l’armurerie, le PC est un open space qui abrite une dizaine de terminaux, un standard, et un mur d’écrans. Les huit techniciens — tous ayant moins de trente-cinq ans — assurent la confidentialité des communications et le contrôle de tous les systèmes de surveillance.
Ce soir, comme de coutume, la salle était bondée et dans l’air flottait une odeur de nouilles et de pop-corn réchauffés au micro-ondes. Au plafond, les tubes fluorescents bourdonnaient.
Et c’est là que j’ai voulu avoir mon bureau !
Même si la chargée des relations publiques du Palais royal n’appartenait pas à la Guardia, elle avait besoin pour son travail d’une équipe de geeks et d’un accès à des ordinateurs dignes de ce nom. Ce service de la Guardia était l’endroit idéal, plutôt qu’un bureau cosy dans les étages totalement sous-équipé.
Et ce soir, songea Mónica Martín, j’ai besoin de tout le monde sur le pont !
Durant ces derniers mois, sa priorité avait été de gérer la communication du Palais pendant le transfert des responsabilités vers le prince Julián. Ça n’avait pas été une sinécure. De nombreux opposants à la monarchie profitaient de cette passation de pouvoir pour faire entendre leur voix.
Selon la constitution, le roi est le garant de l’unité espagnole et de la pérennité de la nation. Mais l’unité de l’Espagne, depuis longtemps, était une pure vue de l’esprit. En 1931, la Seconde République avait mis fin à la monarchie, puis le putsch de Franco en 1936 avait précipité le pays dans la guerre civile.
Aujourd’hui, même si la nouvelle monarchie était considérée comme une démocratie libérale, beaucoup de gens disaient que le roi était le vestige d’un régime oppressif militaro-religieux, le rappel quotidien que l’Espagne avait encore du chemin à parcourir pour rejoindre les nations modernes.
Ces dernières semaines, la communication de Mónica Martín consistait à présenter le roi comme une figure bien-aimée du peuple qui n’avait qu’un pouvoir symbolique. Ce qui était difficile à faire avaler puisque le souverain était le chef des armées et le chef de l’État.
Et ce, dans un pays où la séparation de l’Église et de l’État est un constant sujet de friction ! songea la jeune femme.
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