Il dévisagea longuement la jeune femme en s’efforçant de garder son calme.
— Mónica, c’est de l’invention pure et simple. Je vous assure que Valdespino n’est pas un franquiste. Il sert le roi avec fidélité depuis des dizaines d’années. Il est impossible qu’il ait le moindre lien avec un assassin de cette mouvance. Le Palais ne fera pas de commentaire. C’est clair ?
Garza fit demi-tour pour rejoindre le prince et Valdespino.
— Attendez ! s’écria Mónica en le rattrapant par le bras.
Il lança un regard mauvais à la jeune femme, qui retira aussitôt sa main.
— ConspiracyNet.com nous a aussi envoyé un enregistrement. Une conversation téléphonique. À Budapest. C’est tout frais. (Elle battit des paupières derrière ses grosses lunettes.) Et ça ne va pas vous plaire du tout.
Le patron vient d’être assassiné !
À bord du Gulfstream G550, le commandant de bord Josh Siegel sentait ses mains trembler sur le manche à balai tandis qu’il roulait vers la piste d’envol de l’aéroport de Bilbao.
Il ne se sentait pas en état de voler, et son copilote n’était pas en meilleure forme que lui.
Siegel volait pour Edmond Kirsch depuis des années. Et le meurtre en direct l’avait bouleversé. Une heure plus tôt, il était assis dans le salon du terminal à regarder à la télévision la cérémonie au musée Guggenheim.
— Il a vraiment le sens du spectacle ! avait-il dit à son collègue, en voyant la foule qui se pressait devant les portes.
Pendant la présentation, comme les spectateurs dans la salle, Siegel avait attendu, captivé, la révélation finale. Puis, soudain, tout avait viré au cauchemar.
Après ce coup de théâtre sinistre, les deux hommes étaient restés figés de stupeur devant le téléviseur.
Le téléphone de Siegel avait sonné dix minutes plus tard. C’était le secrétaire particulier d’Edmond. Siegel ne l’avait jamais rencontré. Même si cet Anglais lui paraissait parfois un peu bizarre, il s’était habitué à préparer les vols avec lui.
— Si vous n’êtes pas déjà devant la télévision, annonça Winston, je vous conseille d’en trouver une.
— On a vu. C’est terrible.
— Il faut ramener l’avion à Barcelone, annonça Winston, avec un calme surprenant. Préparez le vol. Je vous rappelle sous peu. Mais ne décollez pas avant que je vous aie recontacté.
Siegel ne savait pas si le patron aurait été d’accord mais pour le moment, il était content que quelqu’un prenne les choses en main.
Les deux pilotes s’occupèrent du plan de vol pour Barcelone avec zéro passager. Ils rentraient à vide, comme on disait dans le métier. Il chassa ses sombres pensées, sortit l’avion du hangar et commença la check-list.
Il se passa une demi-heure avant que Winston ne le rappelle.
— Vous êtes prêts ?
— Affirmatif.
— Parfait. Vous décollez plein est, comme d’habitude ?
— Exact.
Winston était si bien informé que c’en devenait agaçant.
— Prévenez la tour de contrôle et demandez-leur l’autorisation de décollage. Ensuite dirigez-vous jusqu’à l’entrée de la piste, mais ne vous engagez pas dessus.
— Vous voulez que je m’arrête sur la voie d’accès ?
— Oui. Juste une minute. Prévenez-moi dès que vous y serez.
Siegel et son copilote échangèrent un coup d’œil étonné.
Je ne suis pas sûr que la tour va apprécier, se dit le commandant de bord.
Toutefois, il fit rouler le jet sur le tarmac jusqu’à l’extrémité ouest de l’aéroport. Il lui restait encore cent mètres à parcourir avant d’entrer en piste, par un virage à cent quatre-vingts degrés à droite.
— Winston ? lança Siegel en scrutant la clôture qui délimitait le périmètre. On arrive à la piste.
— Arrêtez-vous. Je reviens tout de suite.
Mais je ne peux pas rester là indéfiniment ! pesta intérieurement Siegel.
Heureusement, aucun avion n’attendait derrière le Gulfstream. Il ne bloquait pas le trafic. Les seules lumières visibles étaient celles de la tour de contrôle, une faible lueur à l’autre bout du terrain, à près de deux kilomètres de là.
Une minute s’écoula.
— Ici, le contrôle aérien, annonça une voix dans les écouteurs du pilote. EC346, vous êtes autorisé à décoller. Je répète : vous êtes autorisé à décoller.
Siegel ne demandait que ça. Hélas, il attendait le feu vert de l’assistant du boss.
— Merci, tour de contrôle. On reste là une petite minute. Un voyant d’alerte vient de s’allumer. On vérifie ce que c’est.
— Bien reçu ! Prévenez-moi quand vous serez prêt.
— Ici ? s’étonna le pilote du bateau. Mais l’aéroport est plus loin. Je peux vous rapprocher davantage.
— Merci, c’est parfait comme ça, répondit Langdon suivant scrupuleusement les consignes de Winston.
L’homme haussa les épaules et s’approcha d’un petit pont. Un panneau indiquait Puerto Bidea. La berge était couverte de hautes herbes mais accessible. Ambra sautait déjà à terre et gravissait la pente.
— Combien je vous dois ? s’enquit Langdon.
— Rien. Votre majordome a déjà payé. Par carte. Le triple.
Évidemment ! songea Langdon qui n’était pas encore habitué à l’efficacité de l’assistant numérique d’Edmond. C’est comme Siri, en version bodybuildée.
L’intelligence artificielle avait fait de tels progrès que ces machines pouvaient désormais accomplir des tâches complexes, y compris écrire des romans. L’un de ces robots avait failli recevoir un prix littéraire au Japon !
Langdon remercia le pilote et sauta à son tour à terre. Avant de s’éloigner, il se retourna et posa son index sur ses lèvres.
— Discreción, por favor.
— Sí, sí, lui assura l’homme en se cachant les yeux. ¡ No he visto nada !
Langdon escalada à son tour la berge, traversa une voie ferrée et rejoignit Ambra à l’orée d’un village endormi.
— D’après la carte, annonça Winston, vous devriez apercevoir un rond-point.
— Vu, dit Ambra.
— Parfait. Juste en face vous trouverez une rue, la Beilke Bidea. Suivez-la.
Deux minutes plus tard, Langdon et Ambra avaient quitté le village et marchaient sur une route de campagne, flanquée de fermes et de pâtures. Sur leur droite, très loin, derrière une petite colline, le ciel était éclairé.
— Si ce sont les lumières de l’aéroport, s’inquiéta-t-il, nous en sommes très loin.
— Le terminal est à trois kilomètres de votre position, répondit Winston.
Ambra et Langdon échangèrent un regard inquiet. Winston leur avait indiqué que la marche ne durerait que huit minutes.
— D’après les images satellites, continua Winston, vous devriez avoir un champ sur votre droite. Il vous semble praticable ?
Le pré montait en pente douce vers les lumières.
— Oui. Mais trois kilomètres, je pense que…
— Contentez-vous de marcher, professeur.
Même si le ton de Winston était resté aussi poli qu’auparavant, Langdon venait bel et bien de se faire sermonner.
— Bravo ! railla Ambra en s’élançant sur la colline. Maintenant, vous nous l’avez énervé !
*
— EC346, ici la tour de contrôle, s’impatienta une voix dans les écouteurs de Siegel. Soit vous entrez en piste, soit vous retournez aux hangars pour réparer. Où en êtes-vous ?
— On est dessus, mentit Siegel en surveillant la caméra arrière. (Toujours aucun avion.) Encore une minute, et on est prêts.
— Roger ! Tenez-nous au courant.
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