— Vaut mieux. Ça sert à pécho les voleurs.
— Où sont-ils ? Je veux dire : où est la bagnole ?
— Sur la D2202, dans la vallée du Var.
Anaïs se pencha :
— C’est où exactement ?
Il actionna une molette intégrée à la console et zooma encore :
— Ici, au-dessus de Nice.
— La bagnole bouge ?
— Ouais. Ils parviennent à la hauteur du pont Durandy.
Elle réfléchit. Étaient-ils sur la trace de Janusz ? Avaient-ils repéré sa planque ? Pourquoi auraient-ils réussi là où des dizaines d’escouades de flics avaient échoué ? Peut-être rentraient-ils au contraire vers une base quelconque…
Elle fouilla dans sa poche et posa son iPhone sur la console. Elle attrapa un bloc de service et griffonna ses coordonnées :
— Appelle ce numéro et envoie-moi le programme qui permet de suivre, en temps réel, les déplacements de la bagnole.
— J’ai pas le droit. C’est un logiciel protégé.
— T’as bien compris qu’on était sortis du droit chemin, toi et moi ? Alors, tu composes ce numéro et tu m’envoies, via Internet, le programme, capisci ?
Il joua du clavier. Le bruit des touches ressemblait aux claquettes d’une danse macabre.
Le mobile d’Anaïs vibra. Elle décrocha. Le mail était arrivé. En document joint, le programme du traceur.
Elle tendit son portable au type — elle était nulle en technique :
— Installe le logiciel et fous-le-moi à l’écran.
Quelques secondes plus tard, la carte de l’arrière-pays niçois s’affichait. Le signal symbolisant le 4 × 4 se déplaçait en clignotant. Sans pouvoir expliquer sa conviction, Anaïs était certaine qu’elle devait faire vite.
— Je vous ai aussi chargé un programme GPS, commenta le geek. Si vous vous paumez, vous pouvez associer les deux logiciels. Ils vous remettront sur la bonne route.
Elle le remercia d’un signe de tête. Sortant sa bouteille de collyre, il se rinça les deux yeux en un seul mouvement.
— Tu connais la conclusion, non ?
— J’vous ai jamais vue, sourit-il. J’ai jamais entendu parler du Q7.
— T’es un bon p’tit gars, lui fit-elle en lui envoyant un clin d’œil.
Elle se dirigea vers la porte puis pivota une dernière fois. Elle fit le geste de masturber un pénis imaginaire.
— Et fais gaffe aux cals !
L’étudiant rougit sans répondre.
Tout en courant vers sa voiture, elle fit ses comptes. Elle était bonne pour traverser encore une fois la France d’ouest en est. Elle pouvait couvrir les six cents bornes qui la séparaient de Nice en moins de cinq heures. Ensuite, il lui faudrait trouver son chemin dans l’arrière-pays. Et même avec un GPS, elle n’était pas sûre de son coup.
Elle prit la direction de l’autoroute. Le vrai problème était ailleurs. Elle n’avait dormi que quelques heures la veille, pas dormi du tout la nuit précédente et trois heures seulement celle d’avant. Elle tenait à peine debout — et c’était uniquement sur les nerfs.
Elle composa le numéro de Zakraoui. Le plus dangereux et le plus séduisant membre de son groupe. Le Maghrébin répondit à la deuxième sonnerie.
— Zak ? Anaïs.
— Comment ça va, ma belle ? (Il était le seul à se permettre ce ton familier.) Toujours en vacances ? On m’a parlé de ta virée à Nice !
— Il faut que tu m’aides. Je cherche un plan.
— Un plan… Un plan ?
Anaïs ne répondit pas. Réponse positive.
Il prit sa voix de velours :
— Précise ta pensée.
— Du speed.
Zakraoui, ou la brigade locale des Stups. Il connaissait, à l’échelle de la région Aquitaine et de ses alentours, les meilleures filières en matière de drogues. Ses connaissances étaient répertoriées par types de défonces, de fiabilité, de dangerosité. Du sûr. Pour une raison simple : il était lui-même un ancien junk. Il clamait qu’il était clean. On faisait semblant de le croire.
Le flic lui expliqua où elle pourrait se procurer les meilleures amphétamines dans sa zone. Elle s’arrêta sur le bas-côté et prit carrément des notes — Grand Mirail, quartier de la Reynerie, cité des Tournelles… Les noms allumaient vaguement des souvenirs. Des histoires de violences urbaines, de bagnoles brûlées…
— Tu veux que je passe quelques coups de fil ? demanda Zak.
— Ça ira. Où sont tes mecs ?
— Par-ci, par-là. La cité des Tournelles est une barre en forme de « Y ». Si tu roules au pas, à cette heure-ci, et que tu réussis à pas trop avoir l’air d’une keuf, les petits oiseaux viendront à toi.
Elle balança son carnet sur le siège passager, passa une vitesse, coinça son mobile contre son oreille et accéléra :
— À la boîte, c’est comment ?
— Ta tête est pas encore mise à prix mais ça va venir.
Elle raccrocha, l’image du flic en mémoire. Son petit chapeau, son sourire tunisien. Outre ses ennuis de drogue, l’IGS le gardait sur le feu pour un autre dossier : on le soupçonnait de polygamie. Avec Jaffar, recherché par le juge aux affaires familiales parce qu’il refusait de payer la pension alimentaire de sa femme et Le Coz qui vivait aux crochets d’une baronne sur le retour, cela faisait une sacrée brochette de don juans. Les seuls hommes de ma vie , se dit-elle.
Une heure plus tard — elle s’était perdue plusieurs fois sous la pluie —, elle était en pleine négociation avec une kaïra minuscule en survêtement vert fluo, la gueule enfouie sous sa capuche — il ressemblait à un lutin.
— D’abord la thune.
Anaïs s’était arrêtée à un DAB. Elle donna ses 100 euros. Le fric disparut, la main s’ouvrit sur 10 comprimés.
— Fais gaffe à toi. C’est pas pour les bâtards. T’en prends qu’un à chaque fois.
Elle fourra huit comprimés dans sa poche et en garda deux dans sa paume.
— T’as quelque chose pour les faire passer ?
Le nain sortit une canette de Coca Light.
— Garanti sans coke, ricana-t-il.
Elle avala les deux amphètes avec une gorgée. Quand elle lui rendit le Coke, le gars avait déjà reculé dans la nuit.
— Cadeau de la maison. Salut.
Anaïs démarra sous la pluie. Elle sentait déjà, ou croyait sentir, la dopamine qui se libérait au fond de son cerveau. Elle passa une nouvelle vitesse et reprit la direction de l’A61. À la première station-service, elle fit le plein. Elle paya et se rendit compte, en lorgnant vers les rayons de sandwiches et de biscuits, qu’elle n’avait pas faim. La drogue avait aussi un effet coupe-faim. Tant mieux. Elle resterait tous sens en alerte, aiguisés comme des couteaux.
Elle repartit en trombe et observa le programme du traceur sur son iPhone. Les salopards avaient quitté la D2202 en direction d’un bled du nom de Carros. Où allaient-ils ? Avaient-ils retrouvé Janusz ?
Elle passa la cinquième et s’aperçut qu’elle avait dépassé les 200 kilomètre-heure. Pour l’instant, sa petite Smart était sa meilleure alliée.
La nuit ne faisait que commencer.
— Combien il y a ? demanda Narcisse en regardant l’enveloppe Kraft dans sa main.
— 45 000 euros.
Il lança un regard sidéré à Corto.
— Je te l’ai dit. Tu as fait un carton à Paris. La plupart de tes tableaux se sont vendus aux alentours de 4 000 euros. Tu en avais peint une trentaine. La galerie a pris sa part, à peu près 50 %. Nous avons ponctionné 15 % sur ce qui te revenait, pour nos frais généraux. Il te reste cette somme. Tu es un peintre à la mode ! Si tu voulais, tu pourrais redevenir Narcisse et gagner confortablement ta vie.
Il entrouvrit l’enveloppe. Les billets brillaient à l’intérieur comme s’ils étaient en satin.
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