– Ce n’est pas une mauvaise idée», fit Huck.
Tom sortit son couteau. À peine avait-il creusé quelques centimètres que la lame heurta un morceau de bois.
«Huck! Tu as entendu?»
Huck se mit à creuser à son tour. Les deux compères eurent tôt fait de découvrir et de déplacer les quelques planches qui formaient comme une trappe. Cette trappe, elle-même, dissimulait une excavation naturelle sous le rocher. Tom s’y faufila, tendit sa chandelle aussi loin qu’il put, mais sans apercevoir l’extrémité de la faille. Il voulut aller plus avant, passa sous le rocher; l’étroit sentier descendait par degrés. Tom en suivit les contours, tantôt à droite, tantôt à gauche, Huck sur ses talons. Soudain, après un tournant très court, Tom s’exclama:
«Mon Dieu, Huck, regarde-moi ça!»
C’était bien le coffre au trésor, niché dans un joli creux de roche. À côté, on pouvait voir un baril de poudre complètement vide, deux fusils dans leur étui de cuir, deux ou trois paires de mocassins, une ceinture et divers objets endommagés par l’humidité.
«Enfin, il est à nous! s’écria Huck en se précipitant vers le coffre et en enfouissant les mains dans les dollars ternis. Nous sommes riches, mon vieux Tom!
– Huck, j’étais sûr que nous mettrions la main dessus. C’est presque trop beau pour être vrai, hein? Dis donc, ne nous attardons pas ici. Essayons de soulever le coffre.»
Le coffre pesait bien vingt-cinq kilos. Tom réussit à le soulever, mais il fut incapable de le déplacer.
«Je m’en doutais, dit-il. J’ai bien vu que c’était lourd à la façon dont Joe et son complice l’ont emporté quand ils ont quitté la maison hantée. Je crois que j’ai eu raison d’emmener des sacs.»
L’argent fut transféré dans les sacs et déposé au pied du rocher marqué d’une croix.
«Maintenant, allons chercher les fusils et les autres affaires, suggéra Huck.
– Non, mon vieux. Nous en aurons besoin quand nous serons des brigands. Laissons-les où ils sont, puisque c’est là que nous ferons aussi nos orgies. C’est un joli coin pour faire des orgies!
– Qu’est-ce que c’est, des orgies?
– Je ne sais pas, mais les brigands font toujours des orgies, et nous en ferons. Allez, viens, nous sommes restés ici assez longtemps. Il est tard, je crois. Et puis, je meurs de faim. Nous mangerons un morceau et nous fumerons une pipe dans la barque.»
Après avoir émergé des buissons de sumac et jeté un regard prudent alentour, ils trouvèrent le champ libre et regagnèrent la barque où ils se restaurèrent. Ils repartirent au coucher du soleil. Tom longea la côte pendant le long crépuscule, tout en devisant gaiement avec Huck. Ils accostèrent à la nuit tombée.
«Maintenant, dit Tom, nous irons cacher le magot dans le bûcher de la veuve. Demain matin, je monterai te retrouver. Nous compterons les dollars, nous les partagerons et nous dénicherons une cachette dans les bois où ils seront en sûreté. Pour le moment, reste ici à surveiller notre trésor. Moi, je vais filer et «emprunter» la charrette à bras de Benny Taylor. Je serai de retour dans une minute.»
En effet, Tom ne fut pas long. Il revint avec la charrette, y chargea les deux sacs, les dissimula sous de vieux chiffons et se mit en route en remorquant sa précieuse cargaison.
Comme ils passaient devant la ferme, le Gallois parut sur le pas de sa porte et interpella les deux compères.
«Hé! qui va là?
– Huck et Tom Sawyer.
– Ah! tant mieux. Venez avec moi, les enfants. Tout le monde vous attend. Allons, plus vite! Je vais vous aider à tirer votre voiture. Tiens, tiens, mais ce n’est pas aussi léger que ça en a l’air, ce qu’il y a dedans. Qu’est-ce que c’est? Des briques? De la ferraille?
– De la ferraille, dit Tom.
– Je m’en doutais. Les gars du village se donnent plus de mal à trouver des bouts de fer qu’ils vendront dix sous, qu’ils ne s’en donneraient à travailler et à gagner le double. Mais quoi, la nature humaine est ainsi faite. Allons, plus vite que ça!»
Les garçons auraient bien voulu savoir pourquoi le Gallois était si pressé.
«Vous verrez quand vous serez chez la veuve Douglas, leur déclara le vieil homme.
– Monsieur Jones, risqua Huck, un peu inquiet. Nous n’avons rien fait de mal?»
Le Gallois éclata de rire.
«Je ne sais pas, mon petit Huck. Je ne peux pas te dire. En tout cas, la veuve Douglas et toi vous êtes bons amis, n’est-ce pas?
– Oui, elle a été très gentille pour moi.
– Alors, ce n’est pas la peine d’avoir peur, pas vrai?»
Huck n’avait pas encore répondu mentalement à cette question que Tom et lui étaient introduits dans le salon de M meDouglas par M. Jones.
La pièce était brillamment éclairée et toutes les notabilités du village se trouvaient réunies. Il y avait là les Thatcher, les Harper, les Rogers, tante Polly, Sid, Mary, le pasteur, le directeur du journal local. Tous s’étaient mis sur leur trente et un. La veuve accueillit les deux garçons aussi aimablement qu’on peut accueillir deux individus couverts de terre glaise et de taches de suif. Tante Polly rougit de honte à la vue de son neveu et fronça les sourcils à son intention. Néanmoins, personne ne fut aussi gêné que les deux explorateurs eux-mêmes.
«Tom n’était pas encore rentré chez lui, déclara M. Jones, et j’avais renoncé à vous les ramener, quand je suis tombé par hasard sur Huck et sur lui. Ils passaient devant chez moi et je les ai obligés à se dépêcher.
– Vous avez joliment bien fait, fit la veuve. Venez avec moi, mes enfants.»
Elle les emmena dans une chambre à coucher et leur dit: «Maintenant, lavez-vous et habillez-vous proprement. Voilà deux complets, des chemises, des chaussettes, tout ce qu’il faut. C’est à Huck… Non, non, Huck. Pas de remerciements. C’est un cadeau que nous te faisons, M. Jones et moi. Oui, c’est à Huck, mais vous êtes à peu près de la même taille. Habillez-vous. Nous vous attendrons. Vous descendrez quand vous serez devenus élégants.»
Sur ce, M meDouglas se retira.
«Dis donc, Tom, fit Huck. La fenêtre n’est pas bien haute. Si on trouve une corde, on file. Tu es d’accord?
– Chut! Pourquoi veux-tu te sauver?
– Moi, tu sais, je n’ai pas l’habitude du beau monde. Je ne veux pas descendre, il n’y a rien à faire.
– Oh! ne te frappe pas. Ce n’est rien du tout. Moi, je n’y pense même pas. Descends et je m’occuperai de toi.»
Sid apparut.
«Tom, dit-il. Tante t’a attendu tout l’après-midi. Mary a préparé tes habits du dimanche. Tout le monde était encore aux cent coups. Mais, ajouta-t-il, qu’est-ce que je vois là? Ce sont bien des taches de suif et de glaise que vous avez sur vos vêtements tous les deux?
– Mon cher, répondit Tom, tu es prié de te mêler de ce qui te regarde. En attendant, je voudrais bien savoir à quoi rime tout ce tralala.
– Tu sais bien que la veuve aime beaucoup recevoir. Cette fois-ci, elle donne une réception en l’honneur du Gallois et de ses fils. Mais je peux t’en dire davantage si tu y tiens.
– De quoi s’agit-il?
– Voilà. Le vieux Jones veut réserver une surprise aux invités de la veuve. Il a confié son secret à tante Polly, et moi j’ai tout entendu. Mais je crois la mèche un peu éventée à l’heure qu’il est et que pas mal de gens savent déjà à quoi s’en tenir, à commencer par la veuve Douglas elle-même. Elle fera celle qui ne sait rien, évidemment, mais le petit effet du père Jones sera raté. Tu sais que le vieux cherchait Huck partout parce que sans lui sa grande surprise aurait manqué de sel.
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