«Chut! murmura-t-il. Entends-tu?»
Ils retinrent leur souffle et écoutèrent. Quelque part, dans l’obscurité, on distinguait de temps en temps un cri à peine perceptible. Tom, à son tour, cria de toutes ses forces, prit Becky par la main et l’entraîna à tâtons dans la direction d’où venait cet appel. Il s’arrêta pour écouter encore. Le cri monta, plus rapproché cette fois.
«Ils sont là! Ils arrivent! s’exclama Tom. Viens, Becky. Nous sommes sauvés!»
La joie des captifs était presque trop forte pour eux. Ils auraient voulu courir mais ils n’y voyaient pas et le sol était semé d’embûches. Ils arrivèrent au bord d’une crevasse qui barrait le couloir. Était-elle profonde? Pouvait-on la franchir d’une seule enjambée? À plat ventre, Tom essaya d’atteindre le bord opposé de la faille. Impossible. Becky et lui étaient condamnés à attendre que les sauveteurs vinssent de leur côté. On entendait encore appeler, mais la voix se faisait de moins en moins distincte. Finalement, on n’entendit plus rien. Tom hurlait à pleins poumons. Rien ne lui répondit. Il s’arrêta, épuisé.
Les enfants, découragés, retournèrent auprès de la petite rivière. La fatigue aidant, ils s’endormirent. Quand ils se réveillèrent, la faim se mit à les tenailler cruellement. Ils n’avaient rien à manger. Tom estima que trois jours avaient passé depuis leur disparition.
Bientôt, une idée germa dans le cerveau du jeune garçon: un couloir s’ouvrait non loin de là; il estima qu’il valait encore mieux voir où il menait que de rester inactif. Il sortit une pelote de ficelle de sa poche, l’attacha à une pierre en saillie et, tirant Becky par la main, il avança en déroulant sa corde. Après une vingtaine de mètres, le couloir se terminait brusquement dans le vide. Tom se remit à plat ventre et tâta le terrain autour de lui. Il eut l’impression que l’obstacle qui l’avait arrêté n’était pas infranchissable. Il s’avança avec précaution et contourna une roche. À ce moment, droit en face de lui, au détour d’une autre galerie, apparut une main d’homme brandissant une chandelle. Tom poussa une sorte de rugissement et aussitôt le propriétaire de la main se montra tout entier. C’était Joe l’Indien! Tom en resta littéralement paralysé. Un instant plus tard, le pseudo-«Espagnol» décampait et Tom, soulagé, bénit le Ciel que le bandit n’eût pas reconnu sa voix déformée par l’écho, sinon il n’eût pas manqué de le tuer pour avoir déposé contre lui au tribunal.
Lorsque Tom se fut un peu remis de ses frayeurs, il rejoignit Becky et, sans lui souffler mot de sa découverte par crainte de l’alarmer, lui dit qu’il avait crié à tout hasard. Mais à la longue la faim et l’accablement finirent par l’emporter sur la peur. Après une interminable attente, les enfants s’endormirent. Quand ils se réveillèrent, torturés par une faim atroce, Tom eut l’impression que Becky et lui étaient dans la grotte depuis près d’une semaine et qu’il leur fallait désormais renoncer à tout espoir d’être secourus. Dès lors, peu lui importait d’affronter Joe l’Indien et il proposa à sa compagne d’explorer un autre passage. Becky, épuisée, refusa. Elle avait sombré dans une sorte d’apathie dont rien ne pouvait la tirer. À l’entendre, la mort n’allait pas tarder et elle l’attendrait là où elle était. Elle dit à Tom de partir tout seul faire ses recherches, mais elle le supplia de revenir bavarder avec elle de temps en temps et lui fît promettre d’être auprès d’elle au moment fatal et de lui tenir la main jusqu’à ce que tout soit fini.
Tom l’embrassa, la gorge serrée par l’émotion et lui laissa croire qu’il avait l’espoir de trouver les sauveteurs ou du moins une issue. Alors, rongé par la faim et le pressentiment d’une mort prochaine, il prit sa pelote de ficelle et s’engagea sur les mains et sur les genoux dans un couloir qu’il n’avait pas encore exploré.
La journée du mardi passa. Le village de Saint-Petersburg continuait à être plongé dans l’affliction. On n’avait pas retrouvé les enfants. Malgré les prières publiques, aucune nouvelle réconfortante n’était parvenue de la grotte. La plupart des sauveteurs avaient abandonné leurs recherches et s’étaient remis au travail, persuadés que les enfants étaient perdus à jamais.
M meThatcher était très malade et délirait presque continuellement. Les gens disaient que c’était atroce de l’entendre parler de son enfant, de la voir se dresser sur son séant, guetter le moindre bruit et retomber inerte. Tante Polly se laissait miner par le chagrin et ses cheveux gris étaient devenus tout blancs. Le mardi soir, les villageois allèrent se coucher, tristes et mélancoliques.
Au beau milieu de la nuit, les cloches sonnèrent à toute volée et les rues s’emplirent de gens qui criaient à tue-tête: «Levez-vous! Levez-vous! On les a retrouvés!» Des instruments de musique improvisés ajoutèrent au vacarme et, bientôt, la population entière s’en alla au-devant des enfants assis dans une carriole, tirée par une douzaine d’hommes hurlant de joie. On entoura l’attelage, on lui fit escorte, on le ramena au village où il s’engagea dans la rue principale, au milieu des clameurs et des vociférations.
Saint-Petersburg était illuminé. Personne ne retourna se coucher. Jamais le village n’avait connu pareille nuit. Pendant plus d’une demi-heure, une véritable procession défila chez les Thatcher. Chacun voulait embrasser les rescapés, serrer la main de M meThatcher et dire une phrase gentille que l’émotion empêchait de passer.
Le bonheur de tante Polly était complet et celui de M meThatcher attendait pour l’être que le message envoyé de toute urgence à la grotte eût annoncé l’heureuse nouvelle à son mari.
Tom, allongé sur un sofa, racontait sa merveilleuse odyssée à un auditoire suspendu à ses lèvres et ne se faisait pas faute d’embellir son récit. Pour finir, il expliqua comment il avait quitté Becky afin de tenter une dernière exploration. Il avait suivi un couloir, puis un second et s’était risqué dans un troisième, bien qu’il fût au bout de sa pelote de ficelle. Il allait rebrousser chemin quand il avait aperçu une lueur qui ressemblait fort à la lumière du jour. Abandonnant sa corde, il s’était approché et, passant la tête et les épaules dans un étroit orifice, il avait fini par voir le Grand Mississippi rouler dans la vallée! Si cela s’était passé la nuit, il n’aurait pas aperçu cette lueur et n’aurait pas continué son exploration. Il était aussitôt retourné auprès de Becky qui ne l’avait pas cru, persuadée qu’elle était que la mort allait répondre d’un moment à l’autre à son appel. À force d’insister, il avait réussi à la convaincre, et elle avait failli mourir de joie quand elle avait aperçu un pan de ciel bleu. Tom l’avait aidée à sortir du trou. Dehors, ils s’étaient assis et avaient sangloté de bonheur. Peu de temps après, ils avaient aperçu des hommes dans une barque et les avaient appelés. Les hommes les avaient pris à leur bord, mais s’étaient refusés à croire leur histoire fantastique parce qu’ils se trouvaient à une dizaine de kilomètres de l’endroit où s’ouvrait la grotte. Néanmoins, ils les avaient ramenés chez eux, leur avaient donné à manger, car ils mouraient de faim, et, après leur avoir fait prendre un peu de repos, les avaient reconduits au village, en pleine nuit. Au petit jour, le juge Thatcher et la poignée de sauveteurs qui étaient restés avec lui furent prévenus et hissés hors de la grotte à l’aide de cordes qu’ils avaient eu le soin de dérouler derrière eux.
Tom et Becky devaient s’apercevoir qu’on ne passe pas impunément trois jours et trois nuits comme ceux qu’ils avaient passés. Ils restèrent au lit le mercredi et le jeudi. Tom se leva un peu ce jour-là et sortit le samedi. Becky ne quitta sa chambre que le dimanche, et encore avec la mine de quelqu’un qui relève d’une grave maladie.
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