– Huck, je vais te dire une chose: cet argent n’a jamais été au numéro 2!
– Quoi! Aurais-tu donc retrouvé la trace du trésor, Tom?
– Huck, le coffre est dans la grotte.»
Les yeux de Huck brillèrent.
«Tu en es sûr?
– Oui, absolument.
– Tom, c’est vrai? Tu n’es pas en train de te payer ma tête?
– Non, Huck. Je te le jure sur tout ce que j’ai de plus cher. Veux-tu aller à la grotte avec moi et m’aider à en sortir le coffre?
– Tu penses! J’y vais tout de suite. À une condition pourtant. C’est que tu me promettes que nous ne nous perdrons pas.
– Mais non, tu verras. Ce sera simple comme bonjour.
– Sapristi! Mais qu’est-ce qui te fait dire que l’argent…
– Huck, attends que nous soyons là-bas. Si nous ne trouvons pas le coffre, je te jure que je te donne mon tambour et tout ce que je possède. Je le jure!
– Entendu… J’accepte. Quand y vas-tu?
– Maintenant, si le cœur t’en dit. Te sens-tu assez fort?
– Est-ce que c’est loin à l’intérieur de la grotte? Je me suis levé il y a trois jours et j’ai encore des jambes de coton. Je ne pourrais pas faire plus d’un kilomètre ou deux.
– Il y a une dizaine de kilomètres en passant par où tout le monde passe. Mais moi, je connais un fameux raccourci. Je suis même le seul à le connaître. Tu verras. Je t’emmènerai et te ramènerai en bateau. Tu n’auras pratiquement rien à faire.
– Alors, partons tout de suite, Tom.
– Si tu veux. Il nous faut du pain, un peu de viande, nos pipes, un ou deux petits sacs, deux ou trois pelotes de ficelle à cerf-volant et une boîte de ces nouvelles allumettes qu’on vend chez l’épicier.»
Un peu après midi, les deux garçons «empruntèrent» la barque d’un brave villageois absent et se mirent en route. Lorsqu’ils furent à quelques kilomètres au-delà du «creux de la grotte», Tom dit à Huck:
«Tu vois la falaise en face. Il n’y a ni maison, ni bois, ni buisson, rien. Ça se ressemble pendant des kilomètres et des kilomètres. Mais regarde là-bas, cette tache blanche. Il y a eu là un éboulement de terrain. Ça me sert de point de repère. Nous allons aborder.»
C’est ce qu’ils firent.
«Maintenant, mon petit Huck, fit Tom, cherche-moi ce trou par lequel je suis sorti avec Becky. On va voir si tu y arrives.»
Au bout de quelques minutes, Huck s’avoua vaincu. Tom écarta fièrement une touffe de broussailles et découvrit une petite excavation.
«Nous y voilà! s’écria-t-il. Regarde-moi ça, Huck! C’est ce qu’il y a de plus beau dans le pays. Toute ma vie, j’ai rêvé d’être brigand, mais je savais que pour le devenir il me fallait dénicher un endroit comme celui-là. Nous l’avons maintenant et nous ne le dirons à personne, à moins que nous ne prenions Joe Harper et Ben Rogers avec nous. Bien entendu, il va falloir former une bande, sans quoi ça ne ressemblerait à rien. La bande de Tom Sawyer… Hein, avoue que ça sonne bien! Avoue que ça a de l’allure, non?
– Si, tout à fait. Et qui allons-nous dévaliser?
– Oh! presque tout le monde. Tous ceux qui tomberont dans nos embuscades. C’est encore ce qu’il y a de mieux.
– Et nous les tuerons?
– Non. Nous les garderons dans la grotte jusqu’à ce qu’ils paient une rançon.
– Qu’est-ce que c’est que ça, une rançon?
– C’est de l’argent. Tu obliges les gens à demander à leurs amis tout ce qu’ils peuvent donner et, au bout d’un an, s’ils n’ont pas réuni une somme suffisante, tu les tues. En général, c’est comme cela que ça se passe. Seulement, on ne tue pas les femmes. On s’arrange pour les faire taire. C’est tout. Elles sont toujours belles et riches et elles ont une peur bleue des voleurs. On leur prend leur montre et leurs bijoux, mais toujours après avoir enlevé son chapeau et en leur parlant poliment. Il n’y a pas plus poli que les voleurs. Tu verras ça dans n’importe quel livre. Alors, elles tombent amoureuses de toi et, après deux ou trois semaines dans la grotte, elles s’arrêtent de pleurer et ne veulent plus te quitter. Si tu les chasses, elles reviennent. Je t’assure que c’est comme ça dans tous les livres.
– Dis donc, Tom, mais c’est épatant cette vie-là. Je crois que ça vaut encore mieux que d’être pirate.
– Oui, ça vaut mieux dans un sens parce qu’on n’est pas loin de chez soi et qu’on peut aller au cirque.»
Sur ce, les deux camarades, ayant débarqué tout ce qu’il leur fallait, pénétrèrent dans le trou. Tom ouvrait la marche. Ils fixèrent solidement leur ficelle et, après avoir longé le couloir, arrivèrent au petit ruisseau. Tom ne put réprimer un frisson. Il montra à Huck les restes de sa dernière chandelle et lui expliqua comment Becky et lui avaient vu expirer la flamme. Oppressés par le silence et l’obscurité du lieu, les deux garçons reprirent leur marche sans mot dire et ne s’arrêtèrent qu’à l’endroit où Tom avait aperçu Joe l’Indien. À la lueur de leurs chandelles, ils constatèrent qu’ils étaient au bord d’une sorte de faille, profonde de dix mètres à peine.
«Huck, fit Tom à voix basse, je vais te montrer quelque chose. Tu vois là-bas? Là, juste sur le gros rocher. C’est dessiné avec la fumée.
– Tom, mais c’est une croix!
– Et maintenant, où est ton numéro 2? Sous la croix, hein? C’est exactement là que j’ai vu Joe brandir sa chandelle.»
Huck contempla un instant l’emblème sacré et finit par dire d’une voix tremblante:
«Tom, allons-nous-en!
– Quoi! Tu veux laisser le trésor?
– Oui, ça m’est égal. Le fantôme de Joe l’Indien rôde sûrement par ici.
– Mais non, Huck, mais non. Il rôde là où Joe est mort. C’est à l’entrée de la grotte, à une dizaine de kilomètres d’ici.
– Non, Tom, le fantôme n’est pas loin. Il doit tourner autour du trésor. Je m’y connais en fantômes, et toi aussi pourtant.»
Tom commença à redouter que son ami n’eût raison, mais soudain, une idée lui traversa l’esprit.
«Écoute, Huck, nous sommes des idiots, toi et moi. Le fantôme de Joe ne peut pas rôder là où il y a une croix.»
L’argument était de poids. Huck en fut tout ébranlé.
«J’avoue que je n’avais pas pensé à cela, Tom. Mais tu as raison. Nous avons finalement de la chance qu’il y ait cette croix. Allons, il faut essayer de descendre et de dénicher le coffre.»
À l’aide de son couteau, Tom se mit en devoir de tailler des marches grossières dans l’argile. Les deux garçons finirent par atteindre le fond de la faille. Quatre galeries s’ouvraient devant eux. Ils en examinèrent trois sans résultat. À l’entrée de la quatrième, tout contre le rocher marqué d’une croix, ils découvrirent un réduit qui leur avait échappé tout d’abord. Sur le sol était étendue une paillasse avec des couvertures. Une vieille paire de bretelles gisait dans un coin ainsi qu’une couenne de bacon et un certain nombre d’os de volaille à demi rongés. Mais nulle trace de coffre! Tom et Huck eurent beau chercher, ils ne trouvèrent rien.
«Dis donc, Huck, fit notre héros, Joe avait dit: «sous la croix». Or, nous ne pouvons pas être plus près de la croix que nous le sommes en ce moment. D’un autre côté, je ne pense pas que le trésor soit enfoui sous le rocher, parce que ça doit être impossible de creuser dans la pierre.»
Ils cherchèrent une fois de plus, puis s’assirent, découragés.
«Hé, Huck, fît Tom au bout d’un moment, il y a des empreintes de pied par ici et des taches de suif. Ça fait presque le tour du rocher mais ça s’arrête brusquement. Il doit bien y avoir une raison à cela. Moi, je parie que le coffre est enterré au pied du rocher. Je vais creuser l’argile. On verra bien.
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