Après un dernier sanglot. M meHarper se retira. Tante Polly embrassa Sid et Mary plus tendrement que de coutume. Sid renifla un peu, et Mary pleura de tout son cœur. Tante Polly s’agenouilla auprès du lit et récita ses prières avec de tels accents que Tom ruissela de pleurs avant qu’elle eût fini.
Tante Polly couchait dans son salon et Tom dut attendre fort longtemps avant de pouvoir sortir de son repaire car elle se retournait sans cesse, poussant de temps à autre des exclamations désolées. Mais elle finit par s’endormir d’un sommeil entrecoupé de soupirs. Une chandelle brûlait sur sa table de nuit. Tom s’approcha et, le cœur gros d’émotion, regarda la vieille dame. Il tira le morceau d’écorce de sa poche et le posa contre le bougeoir, mais il se ravisa, le reprit, se pencha, baisa les lèvres fanées de sa tante, sortit de la pièce et referma la porte sans bruit.
Il regagna d’un pas léger l’embarcadère où le bac était amarré pour la nuit et monta hardiment dans le bateau, sachant qu’il n’y avait là personne d’autre que l’homme de garde, qui se couchait toujours et dormait comme une image. Il détacha le canot à l’arrière, s’y glissa, et à coups de rames prudents, remonta le fleuve. Quand il eut dépassé le village de deux kilomètres environ, il commença la traversée en luttant avec force contre la dérive. Il la mena à bien sans encombre, car il connaissait son affaire. Il fut tenté de s’emparer du canot. Après tout c’était un bateau, et une bonne prise de guerre pour un pirate! Mais il savait qu’on ferait une recherche en règle et que des révélations seraient à craindre. Il mit le pied sur la berge et entra dans le bois. Il s’assit, prit un long repos, tout en se torturant pour rester éveillé. Puis il repartit en ligne droite d’un pas lourd de fatigue. La nuit était presque finie. Il faisait grand jour quand il se retrouva devant le banc de sable de l’île. Il s’accorda à nouveau un instant de repos avant de voir le soleil monter dans le ciel et illuminer le grand fleuve de sa splendeur dorée. Puis il plongea. Un instant plus tard, il se tenait debout, tout ruisselant, au seuil du camp. Il entendit la voix de Joe dire à Huck:
«Non, tu sais, on peut se fier à Tom. Il a dit qu’il reviendrait. Il ne nous abandonnera pas. Ce serait déshonorant pour un pirate et il est trop fier pour faire une chose comme celle-là. Quand il nous a quittés, il avait sûrement un plan en tête, mais je me demande ce que ça pouvait bien être.
– En tout cas, fit Huck, les affaires qu’il a laissées dans ton chapeau nous appartiennent.
– Pas tout à fait encore, Huck. Il a écrit sur son message qu’elles seraient à nous s’il n’était pas revenu pour le petit déjeuner.
– Et me voilà!» s’exclama Tom avec un effet des plus dramatiques.
Un somptueux petit déjeuner composé de jambon et de poisson fut bientôt préparé et, tout en y faisant honneur, Tom narra ses aventures en les embellissant. Avec un peu de vanité et beaucoup de vantardise, nos trois amis se retrouvèrent à la fin du conte transformés en héros.
Ensuite, Tom alla s’étendre à l’ombre et dormit jusqu’à midi tandis que les deux autres pirates pêchaient à la ligne.
Après le déjeuner, les trois camarades s’amusèrent à chercher des œufs de tortue sur le rivage. Armés de bâtons, ils tâtaient le sable et, quand ils découvraient un endroit mou, ils s’agenouillaient et creusaient avec leurs mains. Parfois, ils exhumaient cinquante ou soixante œufs d’un seul coup. C’étaient de petites boules bien rondes et bien blanches, à peine moins grosses qu’une noix. Ce soir-là, ils se régalèrent d’œufs frits et firent de même au petit déjeuner du lendemain, c’est-à-dire celui du vendredi matin. Leur repas terminé, ils s’en allèrent jouer sur la plage formée par le banc de sable. Gambadant et poussant des cris de joie, ils se poursuivirent sans fin, abandonnant leurs vêtements l’un après l’autre jusqu’à se retrouver tout nus. De là, ils passèrent dans l’eau peu profonde du chenal où le courant très fort leur faisait brusquement lâcher pied, ce qui augmentait les rires. Puis ils s’aspergèrent en détournant la tête afin d’éviter les éclaboussures, et finalement s’empoignèrent, luttant tour à tour pour faire toucher terre à l’autre. Tous trois furent bientôt confondus en une seule mêlée, et l’on ne vit plus que des bras et des jambes tout blancs. Ils ressortirent de l’eau, crachant et riant en même temps.
Épuisés, ils coururent alors se jeter sur le sable pour s’y vautrer à loisir, s’en recouvrir, et repartir de plus belle vers l’eau où tout recommença. Il leur apparut soudain que leur peau nue rappelait assez bien les collants des gens du cirque. Ils firent une piste illico, en traçant un cercle sur le sable. Naturellement, il y eut trois clowns, car aucun d’eux ne voulait laisser ce privilège à un autre.
Ensuite, ils sortirent leurs billes et y jouèrent jusqu’à satiété. Joe et Huck prirent un troisième bain. Tom refusa de les suivre: en quittant son pantalon, il avait perdu la peau de serpent à sonnettes qui lui entourait la cheville, et il se demandait comment il avait pu échapper aux crampes sans la protection de ce talisman. Quand il l’eut retrouvée, ses camarades étaient si fatigués qu’ils s’étendirent sur le sable, chacun de son côté, et le laissèrent tout seul.
Mélancolique, notre héros se mit à rêvasser et s’aperçut bientôt qu’il traçait le nom de Becky sur le sable à l’aide de son gros orteil. Il l’effaça, furieux de sa faiblesse. Mais il l’écrivit malgré lui, encore et encore. Il finit par aller rejoindre ses camarades pour échapper à la tentation. Les trois pirates se seraient fait hacher plutôt que d’en convenir, mais leurs yeux se portaient sans cesse vers les maisons.de Saint-Petersburg que l’on distinguait au loin. Joe était si abattu, il avait tellement le mal du pays, que pour un rien il se fut mis à pleurer. Huck n’était pas très gai, lui non plus. Tom broyait du noir, cependant il s’efforçait de n’en rien laisser paraître. Il avait un secret qu’il ne tenait pas à révéler tout de suite, à moins, bien entendu, qu’il n’y eût pas d’autre solution pour dissiper l’atmosphère de plus en plus lourde.
«Je parie qu’il y a déjà des pirates sur cette île, déclara-t-il en feignant un entrain qu’il était loin d’avoir. Nous devrions l’explorer encore. Il y a certainement un trésor caché quelque part. Que diriez-vous, les amis, d’un vieux coffre rempli d’or et d’argent?»
Ses paroles ne soulevèrent qu’un faible enthousiasme. Il fit une ou deux autres tentatives aussi malheureuses. Joe ne cessait de gratter le sable avec un bâton. Il avait l’air lugubre. À la fin, n’y tenant plus, il murmura:
«Dites donc, les amis, si on abandonnait la partie? Moi, je veux rentrer à la maison. On se sent trop seuls ici.
– Mais non, Joe, fît Tom. Tu vas t’y habituer. Songe à tout le poisson qu’on peut pêcher.
– Je me moque pas mal du poisson et de la pêche. Je veux retourner à la maison.
– Mais, Joe, il n’y a pas un endroit pareil pour se baigner.
– Ça aussi, ça m’est égal, j’ai l’impression que ça ne me dit plus rien quand personne ne m’interdit de le faire. Je veux rentrer chez moi.
– Oh! espèce de bébé, va! Je suis sûr que tu veux revoir ta mère.
– Oui, je veux la revoir, et tu voudrais revoir la tienne si tu en avais une. Je ne suis pas plus un bébé que toi.»
Sur ce, le pauvre Joe commença à pleurnicher.
«C’est ça, c’est ça, pleure, mon bébé, ricana Tom. Va retrouver ta mère. On le laisse partir, n’est-ce pas, Huck? Pauvre petit, pauvre mignon, tu veux revoir ta maman? Alors, vas-y. Toi, Huck, tu te plais ici, hein? Eh bien, nous resterons tous les deux.
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