Harriet Vanger avait vu son frère et ça l'avait choquée. Elle avait rejoint l'île et avait essayé de parler avec Henrik Vanger, mais elle avait disparu avant que l'entretien ait pu avoir lieu. Qu'est-ce que tu avais l'intention de raconter ? Uppsala ? Mais Lena Andersson, Uppsala, n'était pas sur ta liste. Tu n'étais pas au courant.
L'histoire ne collait toujours pas pour Mikael. Harriet avait disparu vers 15 heures. Preuves à l'appui, Martin s'était trouvé de l'autre côté du pont à cette heure-là. On le voyait sur des photographies du parvis de l'église. Il était impossible qu'il ait pu faire du mal à Harriet Vanger sur l'île. Un morceau du puzzle manquait toujours. Un complice, alors ? Anita Vanger ?
LES ARCHIVES PERMETTAIENT à Lisbeth de constater que la position de Gottfried Vanger au sein du groupe avait changé au fil des ans. Il était né en 1927. A vingt ans, il avait rencontré Isabella et n'avait pas tardé à la mettre enceinte. Martin Vanger était né en 1948, et il n'y avait dès lors plus d'hésitation à avoir : il fallait que les deux jeunes se marient.
Gottfried en avait vingt-deux quand Henrik Vanger l'avait fait entrer au siège du groupe Vanger. Il était manifestement doué et on commençait à le considérer comme un futur dauphin. Il s'était assuré une place dans la direction vers vingt-cinq ans, en tant que directeur adjoint de la section du développement d'entreprises. Une étoile montante.
A un moment donné, vers le milieu des années 1950, sa carrière s'était arrêtée. Il buvait. Le mariage avec Isabella tournait au vinaigre. Les enfants, Harriet et Martin, en pâtissaient. Henrik a mis le holà. La carrière de Gottfried avait atteint son point culminant. En 1956, un autre poste de directeur adjoint au développement fut créé. Deux directeurs adjoints — un qui faisait le boulot pendant que Gottfried buvait et restait absent de longues périodes.
Mais Gottfried était toujours un Vanger, charmant de surcroît et beau parleur. A partir de 1957, sa tâche semblait être de parcourir le pays pour inaugurer des usines, résoudre des conflits locaux et montrer à tous que la direction du groupe se sentait concernée. Nous vous envoyons un de nos fils pour écouter vos doléances. Nous vous prenons au sérieux.
Elle trouva le deuxième lien vers 18 h 30. Gottfried Vanger avait participé à des négociations à Karlstad où le groupe Vanger avait racheté un commerce de bois. Le lendemain, on avait retrouvé la fermière Magda Lovisa Sjöberg assassinée.
Elle découvrit le troisième lien quinze minutes plus tard seulement. Uddevalla 1962. Le jour même où Lea Persson disparaissait, le journal local avait interviewé Gottfried Vanger au sujet d'une extension possible du port.
Trois heures plus tard, Lisbeth Salander avait constaté que Gottfried Vanger avait été présent sur les lieux pour au moins cinq des huit meurtres, les jours précédant ou suivant l'événement. Elle n'avait aucune information sur les meurtres de 1949 et 1954. Elle examina une photo de lui sur une coupure de presse. Un homme mince aux cheveux cendrés ; il avait quelque chose de Clark Gable dans Autant en emporte le vent.
En 1949, Gottfried avait vingt-deux ans. Le premier meurtre avait lieu en terrain connu. Hedestad. Rebecka Jacobsson, employée de bureau du groupe Vanger. Où est-ce que vous vous êtes rencontrés ? Qu'est-ce que tu lui as promis ?
Lorsque Bodil Lindgren voulut fermer et rentrer chez elle à 19 heures, Lisbeth Salander lui répondit sèchement qu'elle n'avait pas fini. Qu'elle rentre et lui laisse une clé, et elle fermerait en partant. La responsable des archives était maintenant tellement irritée qu'une jeune femme se permette de la commander qu'elle appela Dirch Frode pour demander des instructions. Frode décida au pied levé que Lisbeth pourrait rester toute la nuit si elle l'estimait nécessaire. Mme Lindgren aurait-elle la gentillesse d'avertir le gardien dans son bureau, pour qu'il puisse la faire sortir quand elle voudrait partir ?
Lisbeth Salander se mordit la lèvre inférieure. Le problème était évidemment que Gottfried Vanger s'était noyé un soir de soûlerie en 1965, alors que le dernier meurtre avait été commis à Uppsala en février 1966. Elle se demanda si elle s'était trompée en inscrivant la lycéenne de dix-sept ans, Lena Andersson, sur la liste. Non. Ce n'était pas exactement la même signature, mais c'était la même parodie biblique. Il y avait forcément un lien.
21 HEURES, LA NUIT VENAIT. L'air était plus frais et une petite bruine avait commencé à tomber. Mikael était assis à la table de la cuisine et tambourinait des doigts quand la Volvo de Martin Vanger traversa le pont et disparut en direction du promontoire. Cela poussa en quelque sorte les choses à leur extrême.
Mikael ne savait pas quoi faire. Tout son corps brûlait de poser des questions — de confronter. Une attitude certes peu raisonnable s'il soupçonnait Martin Vanger d'être un tueur fou qui avait assassiné sa sœur et une fille à Uppsala, et qui de plus avait essayé de tuer Mikael. Mais Martin Vanger fonctionnait aussi comme un aimant. Et il ne savait pas que Mikael savait, et Mikael pouvait très bien passer chez lui avec le prétexte... eh bien, de rendre la clé de la cabane de Gottfried ? Mikael verrouilla la porte et se dirigea vers le promontoire.
La maison de Harald Vanger était comme d'habitude plongée dans une obscurité totale. C'était éteint chez Henrik Vanger à part dans une chambre donnant sur la cour. Anna était allée se coucher. La maison d'Isabella était éteinte. Cécilia n'était pas chez elle. Il y avait de la lumière à l'étage de la maison d'Alexander Vanger, tandis que les deux maisons habitées par des gens qui n'étaient pas membres de la famille Vanger étaient éteintes. Il n'aperçut pas âme qui vive.
Hésitant, il s'arrêta devant la maison de Martin Vanger, sortit le portable et composa le numéro de Lisbeth Salander. Toujours pas de réponse. Il coupa son portable pour éviter qu'il ne sonne.
Des lampes étaient allumées au rez-de-chaussée. Mikael traversa la pelouse et s'arrêta à quelques mètres de la fenêtre de la cuisine, mais il ne vit aucun mouvement. Il fit le tour de la maison et s'arrêta à chaque fenêtre, mais il ne voyait pas Martin Vanger. En revanche, il découvrit que la porte pratiquée dans le portail du garage était entrouverte. Ne va pas faire l'imbécile, maintenant. Mais il ne put résister à la tentation d'y jeter un rapide coup d'œil.
La première chose qu'il vit, sur un établi de menuisier, était une boîte ouverte de munitions pour fusil de chasse. Ensuite il vit deux bidons d'essence par terre sous l'établi. Tu prépares une autre visite nocturne, Martin ?
— Entre, Mikael. Je t'ai vu venir sur la route.
Le cœur de Mikael s'arrêta. Il tourna lentement la tête et vit Martin Vanger dans la pénombre d'une porte qui menait à l'intérieur de la maison.
— C'était plus fort que toi, il fallait que tu viennes ici, c'est ça ?
La voix était calme, presque amicale.
— Salut Martin, répondit Mikael.
— Entre, répéta Martin Vanger. Par ici.
Il fit un pas en avant sur le côté et tendit la main gauche en un geste d'invitation. Il leva la main droite et Mikael vit un reflet de métal dépoli.
— Pour ton information, c'est un Glock. Ne fais pas de bêtises. A cette distance je ne risque pas de te louper.
Mikael s'approcha lentement. Quand il fut tout près de Martin Vanger, il s'arrêta et le regarda dans les yeux.
— Il fallait que je vienne. J'ai un tas de questions à te poser.
— Je comprends. Par la porte, là.
Mikael entra lentement dans la maison. Le passage menait au vestibule vers la cuisine mais, avant d'y arriver, Martin Vanger l'arrêta en posant une main légère sur son épaule.
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