Elle se tut et se rendit soudain compte que Mikael la regardait, le visage tendu. Il ouvrit la Bible au début du Lévitique.
— Tu connais le verset 12 aussi ?
Lisbeth se tut.
— Puis il le..., commença Mikael en hochant la tête pour l'inciter à continuer.
— « Puis il le dépècera par quartiers et le prêtre disposera ceux-ci, ainsi que la tête et la graisse, au-dessus du bois placé sur le feu de l'autel. » Sa voix était glaciale.
— Et le suivant ?
Elle se leva tout à coup.
— Lisbeth, tu as une mémoire photographique, s'exclama Mikael stupéfait. C'est pour ça que tu lis les pages de l'enquête en dix secondes.
La réaction fut quasi explosive. Son regard épingla Mikael avec une telle rage qu'il en resta interloqué. Puis les yeux de Lisbeth se remplirent de désespoir, elle se retourna soudain et partit vers la grille de jardin en courant.
— Lisbeth, appela Mikael tout surpris.
Elle disparut sur la route.
MIKAEL RENTRA SON ORDINATEUR dans la maison, activa l'alarme et ferma à clé la porte avant de partir à sa recherche. Il la trouva vingt minutes plus tard sur un ponton dans le port de plaisance, où elle trempait ses pieds dans l'eau tout en fumant une cigarette. Elle l'entendit arriver sur le ponton et il vit ses épaules se raidir un peu. Il s'arrêta à deux mètres d'elle.
— Je ne sais pas ce que j'ai fait de mal, mais je n'avais vraiment pas l'intention de te mettre dans cet état-là.
Elle ne répondit pas.
Il s'avança puis s'assit à côté d'elle et posa doucement la main sur son épaule.
— S'il te plaît, Lisbeth, parle-moi.
Elle tourna la tête et le regarda.
— Il n'y a rien à dire, dit-elle. Je suis un monstre, c'est aussi simple que ça.
— Je serais heureux si j'avais ne serait-ce que la moitié de ta mémoire.
Elle jeta le mégot dans l'eau.
Mikael resta silencieux un long moment. Que dois-je dire ? Tu es une nana tout à fait normale. Qu'est-ce que ça peut faire si tu es un peu différente ? Qu'est-ce que c'est que cette image de toi-même que tu trimballes ?
— Je t'ai sue différente des autres depuis la première seconde où je t'ai vue, dit-il. Et je vais te dire une chose. Ça fait un bail que spontanément j'ai autant aimé quelqu'un dès le premier instant.
Des enfants sortirent d'un cabanon en face dans le port et se jetèrent dans l'eau. Eugen Norman, l'artiste peintre avec qui Mikael n'avait pas encore échangé un seul mot, était assis sur une chaise devant sa maison en train de suçoter une pipe tout en contemplant Mikael et Lisbeth.
— J'ai très envie d'être ton ami, si tu veux de moi comme ami, dit Mikael. Mais c'est à toi de le décider. Je retourne à la maison. Tu n'as qu'à rentrer quand tu en auras envie.
Il se leva et la laissa tranquille. Il n'était qu'à mi-chemin dans la montée quand il entendit ses pas derrière lui. Ils rentrèrent ensemble en silence.
ELLE L'ARRÊTA AU MOMENT où ils arrivaient devant la maison.
— J'étais en train de formuler une pensée... on se disait que tout est une parodie de la Bible. D'accord, c'est un chat qu'il a dépecé, mais j'imagine que c'était pas simple de trouver un taureau. Il suit quand même la trame de base. Je me demande...
Elle leva les yeux vers l'église.
— ...les prêtres offriront le sang. Ils le feront couler sur le pourtour de l'autel qui se trouve à l'entrée de la Tente du Rendez-Vous...
Ils traversèrent le pont et montèrent vers l'église en regardant autour d'eux. Mikael vérifia la porte de l'église, qui était fermée à clé. Ils déambulèrent un petit moment à regarder au hasard les pierres tombales du cimetière et arrivèrent à la chapelle qui se trouvait près de l'eau. Mikael écarquilla les yeux. Ce n'était pas une chapelle, c'était un caveau. Au-dessus de la porte, des mots étaient gravés : Vanger puis une strophe en latin, qu'il ne savait pas déchiffrer.
— Pour reposer jusqu'à la fin des temps, dit Lisbeth Salander. Mikael la regarda. Elle haussa les épaules.
— Je l'ai déjà croisé quelque part, ce vers, dit-elle.
Mikael éclata de rire. Elle se figea et prit d'abord un air furieux, puis elle réalisa qu'il ne se moquait pas d'elle mais de ce que la situation avait de comique, et elle se détendit.
Mikael vérifia la porte. Elle était fermée à clé. Il réfléchit un instant et dit à Lisbeth de s'asseoir là pour l'attendre. Puis il alla frapper à la porte de Henrik, et Anna Nygren vint ouvrir. Il expliqua qu'il voulait regarder de plus près la chapelle mortuaire de la famille Vanger et demanda où Henrik gardait la clé. Anna eut l'air d'hésiter mais céda quand Mikael lui rappela qu'il travaillait directement pour Henrik. Elle alla chercher la clé dans son bureau.
Dès que Mikael et Lisbeth ouvrirent la porte, ils surent qu'ils avaient eu raison. La puanteur de cadavre brûlé et de restes carbonisés flottait, lourde, dans l'air. Mais le tortionnaire de chat n'avait pas fait de feu. Dans un coin, il y avait un chalumeau comme ceux qu'utilisent les skieurs pour farter leurs skis. Lisbeth sortit son appareil photo numérique d'une poche de sa jupe en jean et prit quelques photos. Elle emporta la lampe à souder.
— Ça peut devenir des preuves. Il a peut-être laissé des empreintes digitales, dit-elle.
— Bien sûr, on peut demander à tout les membres de la famille Vanger de nous fournir leurs empreintes digitales, ironisa Mikael. J'aimerais te voir essayer d'obtenir celles d'Isabella.
— Il y a des moyens, répondit Lisbeth.
Par terre, il y avait du sang en abondance, ainsi qu'une paire de cisailles qu'ils supposèrent avoir servi à couper la tête du chat.
Mikael regarda autour de lui. Une tombe principale surélevée était manifestement celle d'Alexandre Vangeersad, et quatre autres au sol abritaient les tout premiers membres de la famille. Ensuite, la famille Vanger avait apparemment opté pour l'incinération. Une trentaine de petites niches dans le mur portaient des noms de membres du clan. Mikael suivit l'histoire familiale dans l'ordre chronologique et se demanda où ils enterraient les membres qui ne trouvaient pas leur place dans la chapelle — ceux qui n'étaient peut-être pas considérés comme suffisamment importants.
— MAINTENANT ON EN EST SÛRS, dit Mikael quand ils retraversèrent le pont. C'est un fou furieux qu'on pourchasse.
— Explique.
Mikael s'arrêta au milieu du pont et s'appuya contre le parapet.
— Si c'était un cinglé ordinaire qui avait essayé de nous faire peur, il aurait tué le chat dans son garage ou dans la forêt. Lui, il est allé dans la chapelle familiale. Ça relève de l'obsession. Tu imagines le risque qu'il a pris. C'est l'été et les gens se promènent tard. Le chemin du cimetière est un raccourci fréquenté par les gens de Hedeby. Même si le type a fermé la porte, le chat n'a pas dû se laisser faire et ça devait sentir le brûlé.
— Le type ?
— Je vois mal Cécilia Vanger se balader avec un chalumeau.
Lisbeth haussa les épaules.
— Je n'ai confiance en aucun de ces barges, y compris le père Frode et ton Henrik. Ces gens sont tous capables de t'entuber. Alors, qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
Il y eut un moment de silence. Puis Mikael posa la question.
— J'ai réussi à trouver pas mal de secrets te concernant. Combien de personnes savent que tu joues au hacker ?
— Personne.
— A part moi, tu veux dire.
— Où tu veux en venir ?
— Je veux savoir si tu es d'accord avec moi. Si tu me fais confiance.
Elle le regarda un long moment. Pour finir elle haussa de nouveau les épaules.
— Je n'y peux rien.
— Est-ce que tu me fais confiance ? insista Mikael.
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