— Pour l'instant, répondit-elle.
— Bien. On va faire une petite promenade jusque chez Dirch Frode.
TOUT EN SOURIANT POLIMENT, la femme de maître Frode, qui rencontrait Lisbeth Salander pour la première fois, ouvrit grands les yeux quand elle la vit, et elle leur indiqua le jardin derrière la maison. Frode s'illumina en voyant Lisbeth. Il se leva et salua avec courtoisie.
— Je suis content de te voir, dit-il. J'avais mauvaise conscience de ne pas t'avoir suffisamment exprimé ma gratitude pour le travail extraordinaire que tu as fait pour nous. Aussi bien cet hiver que maintenant.
Lisbeth le dévisagea avec méfiance.
— J'ai été payée pour, dit-elle.
— Il ne s'agit pas de ça. Je t'ai mal jugée quand je t'ai vue la première fois. Je voudrais m'en excuser.
Mikael fut surpris. Dirch Frode était capable de présenter ses excuses à une fille de vingt-cinq ans couverte de piercings et de tatouages pour quelque chose dont il n'avait même pas besoin de s'excuser. L'avocat grimpa soudain de quelques échelons dans l'estime de Mikael. Lisbeth Salander regardait droit devant elle et l'ignorait.
Frode se tourna vers Mikael.
— Qu'est-ce que tu t'es fait au front ?
Ils s'installèrent. Mikael résuma les événements des derniers jours. Quand il raconta que quelqu'un avait tiré sur lui trois coups de fusil, Frode bondit. Son indignation paraissait incontestable.
— Tout ça est de la pure folie. Il fit une pause et darda ses yeux sur Mikael. Je suis désolé, mais il faut que ça s'arrête. Je ne peux pas mettre vos vies en péril. Je dois en parler à Henrik et annuler le contrat.
— Assieds-toi, dit Mikael.
— Tu ne comprends pas...
— Ce que je comprends, c'est que Lisbeth et moi sommes arrivés si près du but que celui qui est derrière tout ça est paniqué et agit de façon irrationnelle. Lisbeth et moi, nous aimerions te poser quelques questions. Premièrement : combien y a-t-il de clés pour la chapelle funéraire de la famille Vanger et qui en possède une ?
Frode réfléchit un instant.
— A vrai dire, je n'en sais rien. Je dirais que plusieurs membres de la famille ont accès à la chapelle. Je sais que Henrik a une clé et qu'Isabella s'y rend parfois, mais je ne sais pas si elle a sa propre clé ou si elle emprunte celle de Henrik.
— Bon. Tu sièges toujours au CA du groupe Vanger. Existe-t-il des archives de l'entreprise ? Une bibliothèque ou quelque chose comme ça, où ils auraient conservé des coupures de presse et des informations sur le groupe d'année en année ?
— Oui. Au siège de la société à Hedestad.
— Nous devons y avoir accès. Existe-t-il aussi de vieux bulletins du comité d'entreprise et ce genre de matériau ?
— Je suis obligé de répondre encore une fois que je ne sais pas. Je n'ai pas mis les pieds aux archives depuis au moins trente ans. Mais je vais te mettre en contact avec une certaine Bodil Lindgren, elle est responsable de l'archivage de tous les papiers du groupe.
— Est-ce que tu peux l'appeler et t'arranger pour que Lisbeth puisse se rendre aux archives dès cet après-midi ? Elle veut lire toutes les vieilles coupures de presse qui concernent le groupe Vanger. Je dis bien tout. A elle de juger à mesure de ce qui peut avoir un intérêt.
— Ça doit pouvoir se faire. Autre chose ?
— Oui, Greger Vanger avait un Hasselblad à la main le jour de l'accident sur le pont. Cela signifie que lui aussi a pu prendre des clichés. Où se sont retrouvées ces photos après sa mort ?
— Va savoir, mais le plus naturel serait que sa veuve les ait gardées.
— Pourrais-tu...
— J'appelle Alexander et je lui pose la question.
— ET TU VEUX QUE JE CHERCHE QUOI ? demanda Lisbeth Salander quand ils quittèrent Frode et passèrent le pont pour revenir sur l'île.
— Des coupures de presse et des publications style bulletin du comité d'entreprise. Je veux que tu lises tout ce que tu peux trouver en relation avec les dates où les meurtres ont été commis dans les années 1950 et 1960. Note tout ce qui te fait réagir ou que tu trouves un tant soit peu bizarre. Je crois qu'il vaut mieux que ce soit toi qui te charges de cette manip. Tu as meilleure mémoire que moi, à ce que j'ai cru comprendre.
Elle lui flanqua un coup de poing très professionnel dans les côtes. Cinq minutes plus tard, sa petite cylindrée crépitait sur le pont.
MIKAEL SERRA LA MAIN d'Alexander Vanger. Celui-ci avait été en déplacement la plus grande partie du temps que Mikael avait passé à Hedeby et Mikael n'avait fait que le croiser rapidement. Il avait vingt ans quand Harriet a disparu.
— Dirch Frode m'a dit que vous vouliez regarder de vieilles photos.
— Votre père possédait un Hasselblad.
— C'est exact. Il existe toujours, mais personne ne s'en sert.
— Vous savez que je fais des recherches sur ce qui est arrivé à Harriet, à la demande de Henrik.
— C'est ce que j'ai cru comprendre. Il en est que cela ne réjouit pas vraiment.
— Fort possible. Vous n'êtes évidemment pas obligé de me montrer quoi que ce soit.
— Bof. Qu'est-ce que vous voulez voir ?
— Si votre père a pris des photos le jour de la disparition de Harriet.
Ils montèrent au grenier. Il fallut quelques minutes à Alexander pour localiser un carton rempli d'un tas de photos en vrac.
— Vous n'avez qu'à emporter toute la boîte, dit-il. S'il y en a, elles se trouvent forcément là-dedans.
MIKAEL PASSA UNE HEURE à trier les photos du carton que Greger Vanger avait laissé à sa mort. Pour illustrer la chronique familiale, le carton contenait quelques véritables bijoux, parmi lesquels un grand nombre de photos de Greger Vanger en compagnie du grand leader nazi suédois des années 1940, Sven Olof Lindholm. Mikael les mit de côté.
Il trouva plusieurs enveloppes contenant des photos que Greger Vanger avait manifestement prises lui-même et qui montraient différentes personnes et réunions de famille, ainsi que des photos de vacances typiques, pêche en torrent de montagne et un voyage en Italie avec la famille. Ils avaient entre autres visité la tour de Pise.
Il finit par trouver quatre photos de l'accident du camion-citerne. En dépit de son appareil d'excellente qualité, Greger était un piètre photographe. Soit les photos zoomaient sur le camion, soit elles montraient les gens de dos. Il ne trouva qu'une seule photo où l'on voyait Cécilia Vanger de trois quarts.
Mikael scanna les photos, tout en sachant qu'elles n'apporteraient rien de nouveau. Il remit tout dans le carton et mangea un sandwich en réfléchissant. Vers 15 heures, il alla voir Anna Nygren.
— Je voudrais savoir si Henrik a d'autres albums de photos que ceux qui font partie de ses recherches sur Harriet.
— Oui, Henrik s'est toujours intéressé à la photo, depuis qu'il était tout jeune, à ce que j'ai compris. Il a plein d'albums dans son cabinet de travail.
— Vous pourriez me les montrer ?
Anna Nygren hésita. C'était une chose de donner la clé de la chapelle funéraire — là, c'était Dieu qui régnait — et une autre de laisser Mikael entrer dans le cabinet de travail de Henrik Vanger. Parce que là, c'était le domaine du supérieur de Dieu. Mikael proposa à Anna d'appeler Dirch Frode si elle se sentait hésitante. Elle accepta finalement à contrecœur de laisser entrer Mikael. Un mètre linéaire de rayonnages tout en bas au ras du sol contenait uniquement des classeurs remplis de photographies. Mikael s'assit au bureau de Henrik et ouvrit le premier album.
Henrik Vanger avait conservé toutes sortes de photos de famille. Beaucoup dataient manifestement d'avant lui. Certaines des photos les plus anciennes remontaient aux années 1870 et montraient des hommes sévères et des femmes guindées. Il y avait des photos des parents de Henrik et d'autres membres de sa famille. Une photo montrait le père de Henrik fêtant la Saint-Jean avec des amis à Sandhamn en 1906. Une autre photo de Sandhamn montrait Fredrik Vanger et sa femme Ulrika en compagnie du peintre Anders Zorn et de l'écrivain Albert Engström autour d'une table avec des bouteilles débouchées. Il trouva un Henrik Vanger adolescent en costume sur une bicyclette. Il trouva le capitaine Oskar Granath qui, alors que la guerre battait son plein, avait transporté Henrik et sa bien-aimée Edith Löbach en sûreté à Karlskrona.
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