Le géant blond se considérait comme quelqu'un de futé, mais il avait un énorme respect pour le don stratégique redoutable de Zala.
Ils collaboraient depuis bientôt douze ans. Cela avait été une décennie fertile, et le géant blond considérait Zala avec respect, presque comme un mentor. Il pouvait rester des heures à écouter Zala expliquer la nature humaine et ses faiblesses, et comment on pouvait en tirer profit.
Mais, brusquement, leurs affaires s'étaient mises à tanguer. Les choses commençaient à aller de travers.
Il s'était rendu directement de chez Bjurman à Enskede et avait garé la Volvo blanche deux pâtés de maisons plus loin. Par chance, la porte du hall n'était pas complètement refermée. Il était monté et avait sonné à la porte marquée S vensson-Bergman.
Il n'avait pas eu le temps de fouiller l'appartement ni d'emporter de papiers. Il avait tiré deux coups de feu — une femme se trouvait aussi dans l'appartement. Puis il avait pris l'ordinateur de Dag Svensson qui trônait sur la table du séjour, avait pivoté sur ses talons, descendu les escaliers et avait rejoint sa voiture et quitté Enskede. Sa seule gaffe avait été de laisser tomber le revolver dans les escaliers en essayant de sortir ses clés de voiture tout en faisant de l'équilibre avec l'ordinateur, tout ça pour gagner du temps. Il s'était arrêté un dixième de seconde, mais le revolver avait dégringolé dans l'escalier de la cave et il avait jugé que ça prendrait trop de temps d'aller le récupérer. Il savait parfaitement que les gens se souvenaient de lui une fois qu'ils l'avaient vu, et le plus important était de disparaître des lieux avant qu'on ne le voie.
Ce revolver perdu lui avait valu des réprimandes de Zala. Mais jamais ils n'avaient été aussi étonnés que lorsque la police avait lancé sa chasse à Lisbeth Salander. L'arme s'était ainsi transformée en un heureux hasard incroyable.
Malheureusement, ça créait aussi un nouveau problème. Salander était le seul maillon faible qui restait. Elle connaissait Bjurman et elle connaissait Zala. Elle savait additionner deux et deux. Quand Zala et lui discutèrent la chose, ils furent d'accord. Ils devaient trouver Salander et l'enterrer quelque part. Ce serait parfait si on ne la retrouvait jamais. Peu à peu, l'enquête sur les meurtres passerait aux archives et se couvrirait de poussière.
Ils avaient misé sur Miriam Wu pour les mener à Salander. Et subitement, les choses avaient de nouveau mal tourné. Paolo Roberto. Entre tous. Surgi de nulle part. Et d'après les journaux, il était de plus un ami de Lisbeth Salander.
Le géant blond en était médusé.
Après Nykvarn, il avait cherché refuge dans la maison de Magge Lundin à Svavelsjö, à seulement quelques centaines de mètres du quartier général du MC Svavelsjö. Ce n'était pas une cachette idéale, mais il n'avait pas eu beaucoup d'alternatives et il lui fallait à tout prix un endroit où se terrer jusqu'à ce que les bleus sur son visage s'estompent et qu'il puisse discrètement quitter la région de Stockholm. Il tripota son nez cassé et tâta la bosse dans la nuque. Elle était moins enflée maintenant.
Il avait bien fait d'y retourner et de mettre le feu à tout le merdier. Il fallait toujours faire le ménage derrière soi. Puis il se figea tout à coup.
Bjurman. Il avait rencontré Bjurman à une occasion, très rapidement, dans sa maison de campagne près de Stallarholmen début février, quand Zala avait accepté le boulot de s'occuper de Salander. Bjurman avait eu un classeur avec des papiers sur Salander qu'il avait feuilletés. Merde, comment avait-il pu louper ça ? Ce classeur pourrait mener à Zala.
Il descendit dans la cuisine et expliqua à Magge Lundin pourquoi celui-ci devait de toute urgence se rendre à Stallarholmen pour allumer un nouveau brasier.
L'INSPECTEUR CRIMINEL BUBLANSKI consacra sa pause déjeuner à essayer de mettre de l'ordre dans cette enquête qu'il sentait en train de déraper. Il passa un long moment avec Curt Bolinder et Steve Bohman pour coordonner la traque à Lisbeth Salander. De nouveaux tuyaux étaient tombés en provenance de Göteborg et de Norrköping, entre autres. Göteborg fut assez rapidement éliminé, mais le tuyau de Norrköping avait un vague potentiel. Ils informèrent leurs collègues et mirent une surveillance discrète sur une adresse où on avait signalé la présence d'une fille rappelant Lisbeth Salander.
Il essaya d'avoir un entretien diplomatique avec Hans Faste, mais ce dernier n'était pas dans la maison et ne répondait pas sur son portable. Après la réunion houleuse du matin, Faste avait disparu, écumant de rage.
Puis Bublanski se heurta au chef des investigations préliminaires, Richard Ekström, en essayant de résoudre le problème Sonja Modig. Il consacra un long moment à avancer les raisons objectives qui lui faisaient juger insensé de l'écarter de l'enquête. Ekström refusa d'écouter et Bublanski décida d'attendre après le week-end pour remettre sur le tapis cette situation idiote. La relation entre le chef des investigations et le chef de l'enquête préliminaire commençait à devenir intenable.
Peu après 15 heures, il sortit dans le couloir et vit Niklas Eriksson quitter le bureau de Sonja Modig où il était toujours en train de passer en revue le contenu du disque dur de Dag Svensson. Ce qui, de l'avis de Bublanski, était désormais absurde puisque Eriksson n'avait plus l'assistance d'un vrai fonctionnaire de police pour l'aider dans sa recherche. Il décida d'associer Niklas Eriksson à Curt Bolinder pour le restant de la semaine.
Mais avant qu'ils aient eu le temps d'échanger un mot, Eriksson disparut aux toilettes tout au fond du couloir. Bublanski se gratta l'oreille et s'approcha du bureau de Sonja Modig pour attendre le retour d'Eriksson. Debout dans l'encadrement de la porte ouverte, il contempla la chaise vide de Sonja Modig.
Puis son regard tomba sur le téléphone portable de Niklas Eriksson, abandonné sur l'étagère derrière sa table de travail.
Bublanski hésita une seconde et jeta un regard vers la porte des toilettes encore fermée. Puis, cédant à l'impulsion, il entra dans la pièce et prit le portable d'Eriksson, puis retourna d'un pas rapide à son propre bureau et referma la porte derrière lui. Il fit défiler la liste des appels.
A 9 h 57, cinq minutes après la fin de la réunion houleuse du matin, Niklas Eriksson avait appelé un numéro commençant par 070. Bublanski prit le téléphone fixe sur son bureau et composa le numéro. Le journaliste Tony Scala lui répondit.
Il raccrocha et regarda le portable d'Eriksson. Puis il se leva, les traits déformés par la rage. Il venait de faire deux pas vers la porte quand le téléphone de son bureau sonna. Il revint et rugit son nom dans le combiné.
— C'est Jerker. Je suis toujours à l'entrepôt de Nykvarn.
— Ah bon.
— L'incendie est éteint. Ça fait deux heures maintenant qu'on examine les lieux. La police de Södertälje a fait venir un chien pour renifler la zone, des fois qu'il y aurait quelqu'un dans les décombres.
— Et?
— Il n'y avait personne. Mais on a fait une pause pour que le chien se repose la truffe un moment. Le maître-chien dit que c'est nécessaire, parce que les odeurs sont vraiment très fortes sur le lieu d'un incendie.
— Viens-en au fait.
— Il est allé faire un tour et il a lâché le chien un peu plus loin. Le clebs a marqué à environ soixante-quinze mètres dans la forêt derrière l'entrepôt. On y a creusé. Il y a dix minutes, on a sorti une jambe humaine avec le pied et une chaussure. Tout indique que c'est une chaussure d'homme. Les morceaux n'étaient pas enterrés très profond.
— Oh merde ! Jerker, il faut que tu...
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