— Et Bjurman ? demanda Bublanski. Je veux bien que quelqu'un ait pu avoir une raison de réduire Dag Svensson au silence. Mais qui peut bien avoir une raison d'éliminer le tuteur de Lisbeth Salander ?
— Je ne sais pas. Tous les morceaux du puzzle ne sont pas encore en place, mais quelque part il y a un lien entre Bjurman et Zala. C'est la seule chose plausible. Qu'est-ce que vous diriez de commencer à suivre un autre raisonnement ? Si Lisbeth Salander n'est pas coupable, cela veut dire que quelqu'un d'autre a commis les meurtres. Je crois que ces crimes ont quelque chose à voir avec le commerce du sexe. Et Salander préférerait mourir plutôt qu'être mêlée à une telle chose. Je vous l'ai dit, elle est d'une moralité inébranlable.
— Dans ce cas, quel est son rôle ?
— Je ne sais pas. Témoin ? Adversaire ? Elle a peut-être surgi à Enskede pour avertir Dag et Mia que leur vie était en danger. N'oubliez pas que c'est une enquêteuse exceptionnelle.
BUBLANSKI LANÇA LA MACHINE. Il appela la police de Södertälje et donna l'itinéraire que lui avait fourni Paolo Roberto, et leur demanda de trouver un entrepôt désaffecté au sudest du lac Yngern. Ensuite il appela l'inspecteur Jerker Holmberg — celui-ci habitait à Flemingsberg et se trouvait donc le plus près de Södertälje — et lui demanda de rejoindre la police de Södertälje plus vite que l'éclair pour les assister dans l'examen des lieux.
Jerker Holmberg rappela une heure plus tard. Il venait d'arriver sur les lieux. La police de Södertälje n'avait eu aucun problème à localiser l'entrepôt en question. Il venait de brûler entièrement, avec deux remises sur le même terrain, et les pompiers étaient en train d'éteindre ce qui en restait. L'incendie criminel ne faisait aucun doute — on avait trouvé deux bidons d'essence dans les décombres.
Bublanski ressentit une frustration proche de la rage.
Qu'est-ce que c'était que ce foutoir ? Qui était ce géant blond ? Qui était réellement Lisbeth Salander ? Et pourquoi est-ce que c'était si impossible de la retrouver ?
La situation ne s'améliora aucunement quand le procureur Richard Ekström vint se mêler à la réunion de 9 heures. Bublanski fit un compte rendu du développement dramatique de la nuit. Il proposa qu'on donne une autre priorité aux investigations, depuis qu'un certain nombre d'événements mystérieux étaient venus embrouiller le scénario sur lequel l'enquête s'était basée pour travailler.
Le récit de Paolo Roberto renforça sérieusement l'histoire de l'agression de Lisbeth Salander dans Lundagatan. Du coup, l'hypothèse que les meurtres soient un acte de folie commis par une femme seule et malade mentale perdit de sa force. Cela ne signifiait pas que Lisbeth Salander était déchargée des soupçons qui pesaient sur elle — pour cela il faudrait d'abord trouver une explication plausible à ses empreintes digitales sur l'arme du crime — mais ça signifiait que l'enquête devait maintenant sérieusement se concentrer sur la possibilité d'un autre coupable. Dans ce cas, il n'y avait actuellement qu'une hypothèse — la théorie de Mikael Blomkvist selon laquelle les meurtres étaient liés aux révélations imminentes de Dag Svensson sur le commerce du sexe. Bublanski identifia trois points primordiaux.
La tâche la plus importante pour l'instant consistait en l'identification de l'homme blond et grand et de son complice avec la queue de cheval qui avaient enlevé et martyrisé Miriam Wu. L'homme blond de grande taille avait un aspect physique si particulier qu'il devrait être relativement facile à retrouver.
Curt Bolinder fit la remarque pertinente que Lisbeth Salander aussi avait un aspect physique particulier et qu'après bientôt trois semaines de recherches, la police ignorait encore totalement où elle se trouvait.
La deuxième tâche signifiait que la direction des investigations devait maintenant détacher un groupe qui se concentrerait activement sur la prétendue liste de michetons qui se trouvait dans l'ordinateur de Dag Svensson. Cela comportait un problème de logistique. Le groupe d'investigation était certes en possession de l'ordinateur de Millenium que Dag Svensson avait utilisé et des sauvegardes sur disques ZI P de son portable disparu, mais ceux-ci contenaient les recherches accumulées de plusieurs années, littéralement des milliers de pages qu'il faudrait un temps fou pour cataloguer et comprendre. Le groupe avait besoin d'un renfort et Bublanski désigna séance tenante Sonja Modig pour diriger les opérations.
La troisième tâche consistait à zoomer sur une personne inconnue du nom de Zala. Pour ce faire, le groupe d'investigation demanderait l'aide du Groupe spécial d'enquête sur la criminalité organisée, qui leur avait signalé être déjà tombé sur ce nom à plusieurs reprises. Il confia cette tâche à Hans Faste.
Pour finir, Curt Bolinder devait coordonner la poursuite des recherches de Lisbeth Salander.
Le compte rendu de Bublanski ne dura que six minutes, mais déclencha une dispute d'une heure. Hans Faste était intraitable dans sa résistance envers Bublanski et ne chercha nullement à cacher son attitude. Cela étonna beaucoup Bublanski qui certes n'avait jamais aimé Faste mais l'avait quand même considéré comme un policier compétent.
Hans Faste était d'avis que l'enquête devait se concentrer sur Lisbeth Salander, peu importaient toutes les informations secondaires. Selon lui, le faisceau d'indices contre Salander était si net qu'il serait actuellement absurde de se mettre à expérimenter des coupables alternatifs.
— Je veux dire, tout ça c'est du blabla. Nous avons un cas psychiatrique qui n'a fait que se confirmer d'année en année. Tu crois vraiment que tous les rapports de l'HP et du médecin légiste sont des plaisanteries ? Elle est associée au lieu du crime. On a des preuves qu'elle fait le trottoir et elle a une grosse somme d'argent non déclarée sur son compte en banque.
— J'en suis conscient.
— Elle participe à une sorte de culte lesbien du sexe. Et je mets ma main au feu que cette autre gouine, Cilla Norén, en sait plus qu'elle ne veut le dire.
Bublanski éleva la voix.
— Faste. Arrête ça. Tu es complètement obsédé par la perspective homo. Ce n'est pas professionnel.
Il regretta immédiatement de s'être prononcé devant tout le groupe plutôt que de parler en tête-à-tête avec Faste. Le procureur Ekström interrompit les disputes. Il semblait indécis quant à la marche à suivre. Pour finir, il déclara la ligne de Bublanski valable ; lui passer dessus équivaudrait à écarter Bublanski de son poste de chef des investigations.
— On fait comme Bublanski a décidé.
Bublanski jeta un regard sur Steve Bohman et Niklas Eriksson de Milton Security.
— J'ai cru comprendre qu'on ne disposera de vous que pendant trois jours de plus, et il faut qu'on profite de la situation. Bohman, tu assisteras Curt Bolinder dans la chasse à Lisbeth Salander. Eriksson, tu continueras avec Modig.
Ekström réfléchit un instant et leva la main quand tout le monde était sur le point de partir.
— Autre chose. Cette histoire de Paolo Roberto, on la garde pour nous. Les médias vont devenir hystériques si une autre célébrité fait son entrée dans l'enquête. Donc, pas un mot là-dessus en dehors de cette pièce.
SONJA MODIG CUEILLIT BUBLANSKI tout de suite après la réunion.
— J'ai perdu patience avec Faste. Ce n'était pas très professionnel de ma part, dit Bublanski.
— Je sais comment ça fait, sourit-elle. J'ai commencé avec l'ordinateur de Svensson dès lundi.
— Je sais. Tu en es où ?
— Il avait une douzaine de versions de son manuscrit, des quantités énormes de documents de recherche, et j'ai du mal à déterminer ce qui est important et ce qui n'a aucun intérêt. Il faudra des jours et des jours rien que pour ouvrir et parcourir tous les dossiers.
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