— Niklas Eriksson ?
Sonja Modig hésita. Puis elle se retourna et ferma la porte du bureau de Bublanski.
— Je ne veux pas le traîner dans la boue, mais franchement, il n'est pas d'une grande utilité.
Bublanski fronça les sourcils.
— Accouche.
— Je ne sais pas. Il n'est pas un vrai policier comme Bohman l'a été. Il dit un tas de conneries et il affiche à peu près la même attitude envers Miriam Wu que Hans Faste, et la mission ne semble pas l'intéresser outre mesure. Je n'arrive pas à mettre le doigt dessus, mais il a un problème avec Lisbeth Salander, c'est sûr.
— C'est-à-dire ?
— J'ai le sentiment qu'il y a un truc pourri en train de fermenter quelque part.
Bublanski hocha lentement la tête.
— J'en suis désolé. Bohman est OK mais, pour être franc, je n'aime pas qu'il y ait des personnes extérieures sur l'enquête.
Sonja Modig hocha la tête.
— Alors, qu'est-ce qu'on fait ?
— Il va falloir que tu te le farcisses jusqu'à la fin de la semaine. Armanskij a dit qu'ils arrêteront le boulot s'il n'y a pas de résultat. Vas-y, commence à fouiller et dis-toi que tu feras tout toute seule.
LA FOUILLE DE SONJA MODIG fut interrompue quarante-cinq minutes après qu'elle avait commencé, quand elle fut écartée de l'enquête. Elle fut subitement convoquée chez le procureur Ekström, où se trouvait déjà Bublanski. Les deux hommes avaient le visage rouge. Le journaliste free-lance Tony Scala venait de balancer le scoop que Paolo Roberto avait sauvé la gouine sadomaso Miriam Wu d'un kidnappeur. Le texte comportait plusieurs détails qu'aucune personne extérieure à l'enquête n'aurait pu connaître. La formulation insinuait que la police envisageait la possibilité de mettre Roberto en examen pour coups et blessures aggravés.
Ekström avait déjà reçu plusieurs appels de journalistes qui voulaient des précisions sur le rôle du boxeur. Il n'était pas loin de faire une crise quand il accusa Sonja Modig d'être à l'origine des fuites. Modig rejeta immédiatement l'accusation, mais en vain. Ekström tenait à l'écarter de l'enquête. Bublanski était furieux. Sans la moindre hésitation, il prit le parti de Modig.
— Sonja dit que la fuite ne vient pas d'elle. Ça me suffit. C'est de la folie de détacher une enquêteuse expérimentée qui est déjà parfaitement au courant de l'affaire.
Ekström répliqua avec une méfiance ouverte envers Sonja Modig. Pour finir, il s'installa derrière son bureau et s'enferma dans un mutisme buté. Impossible de lui faire changer d'avis.
— Modig. Je ne peux pas prouver que tu es à l'origine des fuites, mais je n'ai aucune confiance en toi dans l'enquête. Tu en es détachée avec effet immédiat. Prends-toi des congés pour le reste de la semaine. Tu seras affectée à d'autres missions lundi.
Modig n'avait pas le choix. Elle hocha la tête et se dirigea vers la porte. Bublanski l'arrêta.
— Sonja. Je le clame haut et fort. Je ne crois pas un instant à cette accusation et tu as toute ma confiance. Mais ce n'est pas moi qui décide. Passe dans mon bureau avant de rentrer chez toi.
Elle acquiesça de la tête. Ekström avait l'air furieux. Le visage de Bublanski avait pris une teinte inquiétante.
SONJA MODIG RETOURNA à son bureau où elle et Niklas Eriksson travaillaient avec l'ordinateur de Dag Svensson. Elle était en colère et sur le point de fondre en larmes. Eriksson la regarda en cachette et nota que quelque chose n'allait pas, mais il ne dit rien et elle l'ignora. Elle s'assit derrière son bureau et regarda droit en face. Un silence pesant s'installa dans la pièce.
Finalement Eriksson s'excusa et dit qu'il devait aller aux toilettes. Il demanda s'il pouvait lui rapporter du café. Elle secoua la tête.
Quand il fut sorti, elle se leva, enfila sa veste, prit son sac et gagna le bureau de Bublanski. Il lui indiqua la chaise des visiteurs.
— Sonja, je ne vais pas lâcher prise dans cette affaire à moins qu'Ekström ne me détache aussi de l'enquête. Je n'accepte pas ce qui se passe et j'ai l'intention d'aller jusqu'au bout. Pour l'instant tu restes dans l'enquête, sur mon ordre. Tu as compris ?
Elle hocha la tête.
— Tu ne vas pas rentrer chez toi pour le reste de la semaine, comme Ekström t'a dit. Je t'ordonne d'aller à la rédaction de Millenium et de discuter une nouvelle fois avec Mikael Blomkvist. Ensuite, tu lui demandes tout simplement de te guider à travers le disque dur de Dag Svensson. Ils en ont une copie à Millenium. On gagnera beaucoup de temps si on dispose de quelqu'un qui connaît déjà le matériel et qui sera en mesure d'éliminer les données sans importance.
Sonja Modig respirait un peu mieux.
— Je n'ai rien dit à Niklas Eriksson.
— Je m'en charge. Il se joindra à Curt Bolinder. Est-ce que tu as vu Hans Faste ?
— Non. Il est parti directement après la réunion de ce matin.
Bublanski soupira.
MIKAEL BLOMKVIST AVAIT QUITTÉ L'HÔPITAL de Söder vers 8 heures pour rentrer chez lui. Il réalisa qu'il était loin d'avoir eu sa dose de sommeil, et qu'il devait absolument être en forme pour l'entretien dans l'après-midi avec Gunnar Björck à Smådalarö. Il se déshabilla et mit le réveil à sonner à 10 h 30, ce qui lui donna deux bonnes heures de sommeil bien mérité. Réveillé, il prit une douche, se rasa et enfila une chemise propre avant de partir. Il venait de passer la place de Gullmarsplan quand Sonja Modig appela sur son portable. Mikael répondit qu'il était pris et ne pouvait absolument pas la voir. Elle expliqua ce qu'elle voulait et il la renvoya à Erika Berger.
Sonja Modig se rendit à la rédaction de Millenium. Elle observa Erika Berger et constata qu'elle aimait bien cette femme volontaire et sûre d'elle, avec ses fossettes et sa courte frange blonde. Erika avait quelque chose d'une Laura Palmer plus âgée. Elle se demanda, un peu hors sujet, si Berger aussi était lesbienne puisque, d'après Hans Faste, toutes les femmes dans cette enquête semblaient avoir ces préférences sexuelles, puis elle se rappela avoir lu quelque part qu'elle était mariée avec l'artiste Lars Beck-man. Erika écouta sa demande d'aide pour parcourir le contenu du disque dur de Dag Svensson. Elle eut l'air embêtée.
— Il y a un problème, dit Erika Berger.
— Dites-moi, dit Sonja Modig.
— Ce n'est pas qu'on ne veuille pas que les meurtres soient résolus ni qu'on ne veuille pas aider la police. D'ailleurs vous avez déjà tout le matériel de l'ordinateur de Dag Svensson. Le problème est un dilemme éthique. Les médias et la police, ce n'est pas un bon mélange.
— Croyez-moi. Je l'ai compris ce matin, sourit Sonja Modig.
— Comment ça ?
— Rien. Seulement une réflexion personnelle.
— D'accord. Pour conserver leur crédibilité, les médias doivent observer une distance bien marquée avec les autorités. Les journalistes qui courent le commissariat et qui collaborent aux enquêtes policières finissent par devenir des larbins de la police.
— J'en ai croisé quelques-uns, dit Modig. Si j'ai tout bien compris, le contraire existe aussi. Des policiers qui déviennent les larbins de certains journaux.
Erika Berger rit.
— C'est vrai. Malheureusement, je dois révéler qu'ici à Millenium nous n'avons tout simplement pas les moyens de pratiquer ce genre de journalisme vénal. Mais maintenant on ne parle pas d'un interrogatoire des collaborateurs de Millenium que vous voudriez faire — nous serions d'accord sans discussion — mais on parle d'une demande formelle que Millenium aide activement l'enquête en mettant à disposition notre matériau journalistique.
Sonja Modig hocha la tête.
— Il y a deux aspects. Premièrement, il s'agit du meurtre d'un des collaborateurs du journal. De ce point de vue, il est évident que nous fournirons toute l'aide que vous voulez. Mais l'autre aspect, c'est qu'il existe des choses que nous ne pouvons pas livrer à la police. Je parle de nos sources.
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