— Je sais être souple. Je peux m'engager à protéger vos sources. Elles ne m'intéressent pas, d'ailleurs.
— Il ne s'agit pas de vos bonnes intentions ni de la confiance qu'on a en vous. Il s'agit du fait qu'on ne livre jamais une source quelles que soient les circonstances.
— D'accord.
— Puis il y a le fait qu'ici à Millenium, on mène notre propre enquête sur les meurtres, ce qu'il faut donc considérer comme un travail journalistique. Et là, je suis prête à donner des informations à la police quand on aura quelque chose à publier — mais pas avant.
Erika Berger plissa le front et réfléchit. Finalement elle hocha pensivement la tête et poursuivit.
— Il faut aussi que je puisse me regarder dans la glace. Voilà ce qu'on va faire... Vous allez travailler avec notre collaboratrice Malou Eriksson. Elle connaît parfaitement le matériel et elle a la compétence requise pour déterminer où passe la limite. Elle aura pour mission de vous guider dans le livre de Dag Svensson, dont vous avez déjà une copie. Le but sera de faire un inventaire compréhensible des personnes qu'on peut considérer comme des suspects potentiels.
IRENE NESSER IGNORAIT TOUT DU DRAME qui s'était déroulé au cours de la nuit quand elle prit le train de banlieue de Södra Station à Södertälje. Elle portait une veste en cuir noir mi-longue, un pantalon sombre et un pull rouge soigné. Elle avait des lunettes qu'elle remontait sur la tête.
A Södertälje, elle trouva le car pour Strängnäs et acheta un billet pour Stallarholmen. Elle descendit au sud de Stallarholmen peu après 11 heures. Elle se trouvait à un arrêt de car sans habitations en vue. Elle visualisa la carte dans sa tête. Elle avait le lac Mâlaren à quelques kilomètres au nord-est et la campagne était parsemée de maisons de vacances mais aussi de villas habitées tout au long de l'année. La propriété de maître Nils Bjurman était située dans une zone de maisons de vacances à trois kilomètres environ de l'arrêt de car. Elle but une gorgée d'eau de sa bouteille en plastique et se mit en route. Elle arriva quarante-cinq minutes plus tard.
Elle commença par un tour sur le terrain, histoire de se faire une idée du voisinage. A droite, la plus proche maison se trouvait à plus de cent cinquante mètres. Il n'y avait personne. A gauche s'étendait un long fossé. Elle dépassa deux autres maisons avant d'arriver à un petit village de vacances, où elle nota la présence humaine sous forme d'une fenêtre ouverte et du son d'une radio. Mais c'était à trois cents mètres de distance de la maison de Bjurman. Elle pourrait donc travailler relativement en paix.
Elle avait emporté les clés qu'elle avait trouvées dans l'appartement de Bjurman et n'eut aucun problème pour entrer. Sa première mesure fut d'ouvrir un volet à l'arrière de la maison, ce qui lui fournissait une voie de retraite au cas où il y aurait des problèmes côté perron. Le problème qu'elle imaginait était qu'un flic se mette soudain en tête de rendre visite à la maison.
La maison de Bjurman était une construction ancienne et assez petite, comportant une salle de séjour, une chambre et une petite kitchenette avec l'eau courante. Les toilettes étaient des cabinets d'aisances au fond du jardin. Elle passa vingt minutes à fouiller les placards, les penderies et les commodes. Elle ne trouva pas le moindre bout de papier concernant Lisbeth Salander ou Zala.
Finalement elle sortit dans le jardin et examina les cabinets d'aisances et une remise à bois. Il n'y avait rien d'intéressant et pas de documents. Elle avait fait le voyage pour rien.
Elle s'assit sur le perron, but de l'eau et croqua une pomme.
Quand elle passa dans l'entrée pour aller refermer le volet, son regard tomba sur une échelle en alu. Elle revint dans le séjour et examina le plafond lambrissé. La trappe du grenier était pratiquement invisible entre deux poutres. Elle alla chercher l'échelle, ouvrit la trappe et trouva immédiatement cinq classeurs A4.
LE GÉANT BLOND ÉTAIT EMBÊTÉ. Les choses étaient allées de travers et les catastrophes s'étaient succédé.
Sandström avait contacté les frères Ranta. Terrorisé, il avait rapporté que Dag Svensson préparait un reportage pour dévoiler ses histoires de putes et pour dénoncer les frères Ranta. Jusque-là ce n'était pas un gros problème. Que les médias balancent Sandström n'était pas les oignons du géant blond, et les frères Ranta pouvaient se mettre au vert quelque temps. Ils avaient donc traversé la mer Baltique à bord du Baltic Star pour prendre des vacances. Il y avait peu de probabilités pour que ces conneries mènent au tribunal mais si le pire devait arriver, ils savaient faire de la voltige. C'était stipulé dans le contrat.
Par contre, Lisbeth Salander avait réussi à échapper à Magge Lundin. C'était incompréhensible, vu que Salander avait la taille d'une poupée comparée à Lundin et que la mission se limitait à la fourrer dans une voiture et à la transporter à l'entrepôt au sud de Nykvarn.
Ensuite Sandström avait eu une autre visite et, cette fois-ci, Dag Svensson était sur la piste de Zala. Cela renversait totalement la situation. Entre la panique de Bjurman et le fouinage de Dag Svensson, une situation potentiellement dangereuse avait surgi.
Un amateur, c'est un gangster qui n'est pas prêt à assumer les conséquences. Bjurman était un amateur complet. Le géant blond avait déconseillé à Zala d'avoir quoi que ce soit à faire avec Bjurman. Mais, pour Zala, le nom de Lisbeth Salander avait été irrésistible. Il haïssait Salander. C'était totalement irrationnel. Il avait réagi au quart de tour.
C'était un pur hasard si le géant blond s'était trouvé chez Bjurman le soir où Dag Svensson avait appelé. Le même putain de journaliste qui avait déjà créé des problèmes avec Sandström et avec les frères Ranta. Le géant y était allé pour calmer l'avocat ou le menacer au besoin à cause de l'enlèvement raté de Lisbeth Salander, et l'appel de Svensson avait terriblement paniqué Bjurman. Il s'était montré bouché et intraitable. Et brusquement, il avait voulu se retirer.
Pour couronner le tout, Bjurman était allé chercher son revolver de cow-boy pour le menacer. Le géant blond avait dévisagé Bjurman, stupéfait, et lui avait arraché son arme. Il portait déjà des gants et ne risquait pas de laisser d'empreintes. En réalité, il n'avait pas eu le choix une fois que Bjurman s'était mis à flipper.
Bjurman connaissait l'existence de Zala. En cela, il était une charge. Le géant blond ne pouvait pas expliquer pourquoi il avait obligé Bjurman à se déshabiller, à part qu'il voulait signifier clairement à quel point il le détestait. Il avait presque perdu son élan en voyant le tatouage sur son ventre : JE suis UN PORC SADIQUE, UN SALAUD ET UN VIOLEUR.
Pendant un bref instant, il avait presque plaint Bjurman. C'était un parfait connard. Mais le géant blond œuvrait dans une branche où on ne pouvait permettre à de tels sentiments secondaires de venir déranger l'activité pratique. Il l'avait donc emmené dans la chambre, l'avait forcé à se mettre à genoux puis il avait utilisé un oreiller comme silencieux.
Il avait passé cinq minutes à fouiller l'appartement de Bjurman pour trouver un lien avec Zala. La seule chose qu'il avait trouvée était le numéro de son propre téléphone portable. Par précaution, il avait emporté le portable de Bjurman.
Dag Svensson était le problème suivant. Quand on trouverait Bjurman mort, Dag Svensson allait évidemment contacter la police. Il allait pouvoir raconter que Bjurman avait été tué quelques minutes après qu'il lui avait parlé au téléphone au sujet de Zala. Pas besoin d'une imagination débridée pour comprendre que cela allait faire de Zala l'objet de vastes spéculations.
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