— Alexander Zalachenko. Tu te souviens de lui ?
— Ben oui. Ce n'est pas quelqu'un qu'on oublie facilement.
— Qu'est-ce qu 'il est devenu ensuite ?
Théoriquement, ça ne regardait pas Bjurman. Il y avait même lieu de faire gaffe à Bjurman rien que parce qu'il posait la question... s'il n'y avait pas eu le fait que Bjurman était le tuteur de Lisbeth Salander. Il avait dit qu'il avait besoin du vieux rapport. Et je le lui ai donné.
Il avait commis une erreur monumentale. Il avait supposé que Bjurman était déjà au courant — le contraire était tout bonnement impensable. Et Bjurman avait présenté les choses comme une simple tentative de prendre un raccourci dans la lenteur bureaucratique où tout était estampillé top secret et pouvait prendre des mois. Surtout dans une affaire concernant Zalachenko.
Je lui ai donné le rapport, toujours estampillé top secret. Mais Bjurman avait une raison juste et compréhensible et il n'était pas homme à balancer. Un connard, d'accord, mais qui avait toujours tenu sa langue. Qu'est-ce que ça pouvait bien faire... tant d'années après ?
Bjurman l'avait embobiné. Il lui avait donné l'impression qu'il s'agissait de formalités et de bureaucratie. Plus il y pensait, plus il était convaincu que Bjurman avait placé ses mots avec une parfaite exactitude et une extrême prudence.
Qu'est-ce qu'il recherchait ? Et pourquoi Salander l'avait-elle tué ?
MIKAEL BLOMKVIST SE RENDIT à Lundagatan encore quatre fois dans la journée du samedi dans l'espoir de tomber sur Miriam Wu, mais elle brillait par son absence.
Il passa une grande partie de la journée dans le Bar-Café de Hornsgatan avec son iBook et lut de nouveau le courrier électronique de Dag Svensson à l'adresse millenium.se ainsi que le contenu du dossier qu'il avait nommé [ZALA]. Les dernières semaines avant les meurtres, Dag Svensson avait consacré de plus en plus de temps à faire des recherches sur Zala.
Mikael aurait sacrement aimé pouvoir appeler Dag Svensson et lui demander pourquoi le fichier [Irina P.] se trouvait dans le dossier sur Zala. La seule conclusion plausible que Mikael pouvait trouver était que Dag avait soupçonné Zala du meurtre d'Irina.
Vers 17 heures, Bublanski l'avait soudain appelé pour lui donner le numéro de téléphone de Miriam Wu. Mikael ne comprenait pas ce qui avait poussé le flic à changer d'avis, mais dès qu'il eut le numéro, il appela à peu près une fois toutes les demi-heures. Ce ne fut que vers 23 heures que, ayant branché son téléphone portable, elle répondit. La conversation fut brève.
— Bonsoir Miriam. Je m'appelle Mikael Blomkvist.
— Et t'es qui, toi, qui vas encore m'emmerder ?
— Je suis journaliste, je travaille pour une revue qui s'appelle Millenium.
Miriam Wu exprima ses sentiments avec beaucoup de vigueur.
— Ah oui. Ce Blomkvist-là. Eh ben, va te faire foutre, journaleux de mes deux !
Puis elle interrompit la conversation avant que Mikael ait eu une chance de placer un mot pour expliquer ce qu'il voulait. Intérieurement, il maudit Tony Scala et essaya de la rappeler. Elle ne répondit pas. En désespoir de cause, il envoya un SMS à son portable.
Je t'en prie. C'est important.
Elle n'avait pas répondu.
Tard dans la nuit du samedi au dimanche, Mikael arrêta son ordinateur, se déshabilla et se glissa dans le lit. Il se sentait frustré, il aurait aimé qu'Erika Berger soit avec lui.
IV TERMINATOR MODE 24 mars au 8 avril
La racine d'une équation est un nombre qui, remplaçant l’inconnue, fait de l’équation une identité. On dit que la racine satisfait à l’équation.
Pour résoudre une équation, on doit en déterminer toutes les racines. Quand une équation est satisfaite par toutes les valeurs imaginables des inconnues, on parle d'identité.
(a + b) 2= a 2 + 2ab + b 2
21
JEUDI SAINT 24 MARS — LUNDI 4 AVRIL
LISBETH SALANDER PASSA la première semaine de sa cavale loin de tous les événements dramatiques. Elle restait tranquillement dans son appartement dans Fiskaregatan à Mosebacke. Son portable était coupé et la carte SIM enlevée. Elle n'avait plus l'intention d'utiliser ce téléphone-là. Elle suivait avec des yeux de plus en plus écarquillés les titres des éditions Web des journaux et les émissions des journaux télévisés.
Elle découvrit, très irritée, sa photo d'identité lancée sur Internet et bientôt mise en icône sur tous les sujets d'actualité à la télé. Elle avait l'air d'une folle là-dessus.
Après des années d'effort pour devenir anonyme, elle avait été transformée en la personne la plus connue et la plus publique du royaume. Avec une douce surprise, elle se rendit compte que la recherche à l'échelle nationale d'une fille de petite taille soupçonnée d'un triple meurtre était l'un des événements les plus sensationnels de l'année, à peu près du même niveau que les abus sexuels et financiers et le crime perpétré par le gourou de la secte de Knutby. Elle suivit les commentaires et les explications dans les médias, les sourcils pensivement levés, fascinée de voir que des actes frappés du sceau du secret concernant ses difficultés mentales semblaient accessibles à tous dans toutes les rédactions. Un titre réveilla de vieux souvenirs enterrés.
INTERPELLÉE POUR VIOLENCES A GAMLA STAN
Un reporter juridique à TT avait dépassé ses concurrents en mettant la main sur une copie de l'enquête médico-légale qui avait été faite après que Lisbeth avait été arrêtée pour avoir balancé son pied dans la gueule d'un passager à la station de métro Gamla Stan.
Lisbeth se souvenait très bien de l'incident dans le métro. Elle était sur le chemin du retour dans sa famille d'accueil temporaire à Hägersten. A Râdmansgatan, un homme qu'elle ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam et qui semblait parfaitement sobre était monté dans la rame et l'avait immédiatement mise dans son collimateur. Elle avait appris plus tard qu'il s'appelait Karl Evert Blomgren, qu'il avait cinquante-deux ans et que c'était un ancien joueur de bandy domicilié à Gâvle. Alors que le wagon était à moitié vide, il s'était assis à côté d'elle et avait commencé à la harceler. Il avait posé la main sur son genou et essayé d'engager une conversation du style : « Je te file 200 balles si tu viens chez moi. » Comme elle l'ignorait et ne répondait pas, il s'était fait plus pressant et l'avait traitée de salope. Qu'elle ne réponde pas et qu'elle change de siège à Centralen ne l'avait pas refroidi.
Le métro arrivait à Gamla Stan, quand il l'avait entourée de ses bras par-derrière et avait glissé les mains sous son pull, tout en lui chuchotant à l'oreille qu'elle était une pute. Lisbeth Salander n'aimait pas être qualifiée de pute par de parfaits inconnus dans le métro. Elle avait répondu par un coup de coude dans l'œil, puis elle s'était arc-boutée des deux mains sur un poteau et lui avait planté un talon sur la racine du nez. Le gars avait abondamment saigné.
Elle aurait eu la possibilité de s'échapper du wagon quand le train s'arrêta à quai, mais comme elle était habillée en punk avec des cheveux teints en bleu, un ami de l'ordre s'était jeté sur elle et l'avait bloquée à terre jusqu'à l'arrivée de la police.
Elle maudit son sexe et sa petite taille. Si elle avait été un garçon, personne n'aurait osé se jeter sur elle.
Elle ne chercha jamais à expliquer pourquoi elle avait balancé son pied dans la gueule de Karl Evert Blomgren. Elle estimait inutile d'essayer d'expliquer quoi que ce soit à une autorité en uniforme. Par principe, elle refusait même de répondre aux questions des psychologues quand ils se mettaient en tête d'évaluer son état mental. Heureusement, d'autres passagers avaient suivi le déroulement des événements, dont une femme intraitable de Härnösand qui se révéla être une députée centriste. La femme apporta immédiatement son témoignage, disant que Blomgren avait accosté Salander avant qu'elle l'attaque. Plus tard, il s'avéra que Blomgren avait déjà deux condamnations pour attentat à la pudeur et le procureur décida d'abandonner les poursuites. Cela ne signifia cependant pas que l'enquête sociale sur elle fut interrompue. Celle-ci eut pour résultat peu de temps après que le tribunal de première instance décida de déclarer Lisbeth Salander incapable. Là-dessus, elle s'était retrouvée sous la tutelle de Holger Palmgren pour commencer et ensuite de Nils Bjurman.
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