* * *
Août 1992
— Où est-ce que je te ramène ? demanda Jeremiah à Miranda.
— Je n’ai nulle part où aller, lui répondit-elle. Est-ce que tu pourrais m’héberger quelques jours ?
Jeremiah conduisit Miranda chez lui et l’installa dans sa chambre d’amis. Elle n’avait pas dormi dans un vrai lit depuis des semaines. Le lendemain, ils parlèrent longuement.
— Miranda, lui dit Jeremiah, tu n’as que 17 ans. Je dois te ramener chez tes parents.
— Je t’en supplie, laisse-moi rester un peu. Je me ferai toute petite, je te le promets.
Jeremiah finit par accepter. Il lui concéda deux jours qui se prolongèrent indéfiniment. Il permit à Miranda de l’accompagner dans le club qu’il tenait, mais il refusa qu’on lui serve de l’alcool. Puis, comme elle demandait à pouvoir travailler pour lui, il l’engagea au Club comme hôtesse d’accueil. Miranda aurait préféré être dans la salle, assurer le service, mais Jeremiah ne voulait pas : « Tu n’as légalement pas le droit de servir de l’alcool, Miranda. » Cet homme la fascinait. Un soir, elle essaya de l’embrasser mais il l’interrompit dans mon élan. Il lui dit : « Miranda, tu as 17 ans. Je pourrais avoir des ennuis. »
Puis, étrangement, il se mit à l’appeler Mylla. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle aimait bien qu’il lui ait donné un petit nom. Elle avait l’impression d’un lien plus privilégié avec lui. Puis il lui demanda de lui rendre des services. Elle devait apporter des paquets à des gens qu’elle ne connaissait pas, aller dans des restaurants pour qu’on me donne d’épaisses enveloppes qu’elle devait rapporter à Jeremiah. Un jour, elle comprit ce que Jeremiah faisait vraiment : elle transportait pour lui de la drogue, de l’argent, et Dieu sait quoi. Elle alla aussitôt le trouver, inquiète :
— Je pensais que tu étais un type bien, Jeremiah.
— Je suis un type bien !
— Les gens disent que tu fais du trafic de drogue. J’ai ouvert l’un des paquets…
— Tu n’aurais pas dû, Mylla.
— Je ne m’appelle pas Mylla !
Sur le moment, il lui fit croire qu’elle n’aurait plus à faire ça. Mais le lendemain déjà, il la sonnait comme un chien. « Mylla ! Mylla, va apporter ce paquet à Untel ! » Elle eut peur. Elle décida de s’enfuir. Elle prit le paquet, ainsi qu’il le lui demandait, mais elle ne se rendit pas à la destination indiquée. Elle jeta le paquet dans une poubelle, puis elle prit le train. Elle voulait retourner chez ses parents, à New York. Elle voulait retrouver la douceur d’un foyer. Avec l’argent qui lui restait, elle termina son trajet en taxi. Et lorsque le taxi la déposa devant la maison de ses parents, elle sentit un profond bonheur l’envahir. Il était minuit. C’était une belle nuit d’automne. La rue était paisible, déserte et endormie. Soudain elle le vit. Assis sur les marches du porche de la maison. Jeremiah. Il la fusilla du regard. Elle voulut crier, s’enfuir, mais Costico, l’homme de main de Jeremiah, apparut derrière elle. Jeremiah fit signe à Miranda de se taire. Ils l’emmenèrent en voiture jusqu’au Ridge’s Club. Pour la première fois, ils la conduisirent dans la pièce qu’ils appelaient le bureau . Jeremiah voulait savoir où était le paquet. Miranda pleurait. Elle lui avoua aussitôt l’avoir jeté. Elle était désolée, elle promit de ne plus jamais recommencer. Jeremiah lui répétait : « Tu ne me quittes pas, Mylla, tu comprends ? Tu m’appartiens ! » Elle pleurait, elle se mit à genoux, terrifiée et confuse. Jeremiah finit par lui dire : « Je vais te punir mais je ne vais pas t’amocher. » Miranda d’abord ne comprit pas. Puis Jeremiah l’attrapa par les cheveux et la traîna jusqu’à une bassine d’eau. Il lui plongea la tête à l’intérieur, pendant de longues secondes. Elle crut mourir. Quand il eut terminé, alors qu’elle gisait au sol, pleurant et tremblant, Costico lui lança au visage des photos de famille de ses parents. « Si tu désobéis, lui dit-il, si tu fais quoi que ce soit de stupide, je les tuerai tous. »
* * *
Miranda interrompit un instant son récit.
— Je suis vraiment désolée de vous faire revivre tout ça, lui dit doucement Anna en posant sa main sur les siennes. Que s’est-il passé ensuite ?
— Ça a été le début d’une nouvelle vie, au service de Jeremiah. Il m’a installée dans une chambre d’un motel dégueulasse, au bord de la route 16. Un endroit essentiellement occupé par des putes.
* * *
Septembre 1992
— Voilà ta nouvelle maison, dit Jeremiah à Miranda en entrant dans la chambre du motel. Tu seras mieux ici, tu pourras aller et venir à ta guise.
Miranda s’assit sur le lit.
— J’ai envie de rentrer chez moi, Jeremiah.
— Tu n’es pas bien ici ?
Il avait parlé d’une voix douce. C’était toute la perversité de Jeremiah : un jour il maltraitait Miranda, le lendemain il l’emmenait faire des achats et se montrait gentil comme il l’avait été aux premiers jours.
— J’aimerais partir, répéta Miranda.
— Tu peux t’en aller si tu veux. La porte est grande ouverte. Mais je n’aimerais pas qu’il arrive quelque chose à tes parents.
À ces mots Jeremiah s’en alla. Miranda regarda longuement la porte de la chambre. Il lui suffisait de la franchir et d’aller prendre le bus pour rentrer à New York. Pourtant c’était impossible. Elle se sentait totalement prisonnière de Jeremiah.
Ce dernier la força à reprendre la livraison de ses paquets. Puis il resserra son emprise sur elle en l’impliquant dans son processus de recrutement des larbins . Il la convoqua un jour dans son bureau . Elle y pénétra en tremblant, pensant qu’elle aurait droit à la bassine. Mais Jeremiah semblait de bonne humeur :
— J’ai besoin d’une nouvelle directrice des ressources humaines, lui dit-il. La dernière vient de faire une overdose.
Miranda sentait son cœur battre la chamade. Qu’est-ce que Jeremiah lui voulait ? Celui-ci poursuivit :
— On va coincer des pervers qui veulent se taper une fille mineure. Et la fille mineure, ce sera toi. Ne t’inquiète pas, personne ne te fera rien.
Le plan était simple : Miranda devrait faire le tapin sur le parking du motel et lorsqu’un client se présenterait elle le conduirait dans sa chambre. Elle lui demanderait de se déshabiller, elle-même en ferait autant, avant d’avouer à l’homme qu’elle était mineure. Celui-ci dirait certainement que cela ne lui poserait pas de problème, au contraire, et à cet instant Costico sortirait d’une cachette et s’occuperait du reste.
Et il en fut ainsi. Miranda accepta non seulement parce qu’elle n’avait pas le choix, mais parce que Jeremiah lui promit qu’aussitôt qu’elle aurait permis de prendre au piège trois larbins elle serait libre de s’en aller.
Sa part du contrat remplie, Miranda alla trouver Jeremiah et exigea qu’il la laisse partir. Elle termina dans son bureau , la tête dans la bassine. « Tu es une criminelle, Mylla, lui dit-il tandis qu’elle essayait de reprendre sa respiration. Tu coinces des types et tu les fais chanter ! Ils t’ont tous vue et ils connaissent même ton vrai nom. Tu ne vas nulle part, Mylla, tu restes avec moi. »
La vie de Miranda devint un enfer. Quand elle n’était pas en train d’assurer des livraisons de paquets, elle servait d’appât sur le parking du motel et tous les soirs elle était à l’accueil du Ridge’s Club où les clients l’appréciaient particulièrement.
* * *
— Combien de gars avez-vous coincé comme ça ? demanda Anna.
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