— Saint-Cyr ! lâcha d’Humières en secouant la tête. Je n’arrive pas à y croire !
Servaz était en train de dissoudre une aspirine effervescente dans un verre d’eau. Tout à coup, les brumes dans son cerveau finirent de se dissiper et il revit la scène du moulin dans son intégralité. Il écarquilla ses yeux rouges en les regardant.
— MERDE ! rugit-il. Pendant que j’étais dans le cirage, Saint-Cyr a appelé cette… Lisa à l’Institut… Pour lui dire que la psy n’avait parlé à personne d’autre qu’à moi… qu’il avait la situation bien en main… Juste avant qu’il essaie de me…
La proc pâlit.
— Ça veut dire que cette fille est en danger ! Maillard, vous avez toujours une équipe là-haut qui surveille l’Institut ? Dites à vos hommes d’intervenir, tout de suite !
Cathy d’Humières sortit son téléphone et composa un numéro. Elle le referma au bout de quelques secondes.
— Le Dr Xavier ne répond pas.
— Il faut interroger Lombard, dit Servaz péniblement. Et le mettre en garde à vue. Reste à savoir comment s’y prendre. Il peut être n’importe où : à Paris, à New York, dans un îlot quelconque lui appartenant ou ici — mais je doute qu’on nous le dise spontanément.
— Il est ici, dit Confiant.
Tous les regards se tournèrent vers lui.
— Avant de venir, je me suis rendu au château à sa demande pour l’informer des dernières avancées de l’enquête. Juste avant que votre adjoint n’appelle, dit-il à Servaz. Je n’ai pas eu… hum… le temps d’en parler. Trop de choses se sont passées ensuite…
Servaz se demanda combien de fois depuis le début de l’enquête le jeune juge s’était rendu au château.
— On parlera de ça plus tard, dit d’Humières d’un ton sévère. Toutes les routes de la vallée sont barrées ? Fort bien. Nous allons contacter la direction de la police. Je veux une perquisition au domicile parisien de Lombard au moment même où nous perquisitionnerons le château. Le dispositif doit être parfaitement coordonné. Et discret. Seules les personnes absolument nécessaires seront mises dans la confidence. Il a eu tort de s’en prendre à l’un de mes hommes, ajouta-t-elle en regardant Servaz. Lombard ou pas, il a franchi une limite. Et quiconque la franchit a affaire à moi. (Elle se leva.) Il faut que j’appelle la chancellerie. Nous avons très peu de temps pour mettre le dispositif en place et régler les détails. Ensuite, nous passerons à l’action. Il n’y a pas une minute à perdre.
Une discussion s’engagea instantanément autour de la table. Tout le monde n’était pas de cet avis. Les gradés de la gendarmerie tergiversaient : Lombard, c’était un gros poisson. Il y avait des carrières en jeu, des questions hiérarchiques, des aspects collatéraux…
— Comment Vincent a-t-il su que Lombard n’était pas aux États-Unis ? demanda Servaz.
Ziegler le lui dit. Ils avaient eu de la chance. À la suite d’une dénonciation anonyme, la brigade financière de Paris vérifiait les comptabilités d’un certain nombre de filiales du groupe. Apparemment, un gros scandale se préparait. Quelques jours plus tôt, alors qu’ils examinaient les livres de comptes de Lombard Média, ils étaient tombés sur une nouvelle irrégularité : un virement de 135 000 dollars de Lombard Média vers une société de production de reportages télé et des factures. Après vérification automatique auprès de la société de production, il s’était avéré que ce reportage n’avait jamais été tourné et que les factures étaient bidons. Certes, cette société de production travaillait régulièrement pour Lombard Média mais, en l’occurrence, aucun reportage correspondant à cette somme ne leur avait été commandé. La brigade financière s’était alors demandé à quoi correspondait cette somme et surtout pourquoi on avait cherché à la dissimuler. Un pot-de-vin ? Un détournement de fonds ? Ils avaient obtenu une nouvelle commission rogatoire, cette fois pour la banque qui avait effectué le virement, et demandé qu’on leur communique le vrai bénéficiaire. Malheureusement, les auteurs de cette manipulation avaient pris toutes leurs précautions : la somme avait été virée en quelques heures vers un compte à Londres, de là vers un autre compte aux Bahamas, puis vers un troisième compte dans les Caraïbes… Ensuite, on perdait sa trace. Dans quel but ? 135 000 dollars, c’était à la fois une somme rondelette et une goutte d’eau pour l’empire Lombard. Ils avaient alors convoqué le président exécutif de Lombard Média et l’avaient menacé de l’inculper pour faux en écriture. L’homme avait pris peur et avait fini par lâcher le morceau : ce faux avait été effectué à la demande d’Éric Lombard lui-même, dans l’urgence. Il avait aussi juré qu’il ignorait à quoi cette somme était destinée. Comme Vincent avait demandé à la brigade financière de lui signaler toute irrégularité ayant eu lieu dans une période récente, son contact à la financière lui avait transmis l’information, bien qu’elle n’eût en apparence rien à voir avec la mort d’un cheval.
— Quel rapport, en effet ? demanda l’un des hauts pontes de la gendarmerie.
— Eh bien, dit Ziegler, le lieutenant Espérandieu a pensé à quelque chose. Il a téléphoné à une compagnie aérienne affrétant des jets pour de riches hommes d’affaires et il s’est avéré qu’une telle somme pourrait parfaitement correspondre à un vol transatlantique aller-retour effectué à bord d’un jet privé.
— Éric Lombard a ses propres avions et ses propres pilotes, objecta le gradé. Pourquoi irait-il se servir d’une autre compagnie ?
— Pour que ce vol ne laisse aucune trace, pour qu’il n’apparaisse nulle part dans les comptabilités du groupe, répondit Ziegler. Restait à dissimuler la dépense elle-même.
— D’où le reportage bidon, intervint d’Humières.
— Exactement.
— Intéressant, dit le gradé. Mais ce ne sont que des supputations.
— Pas vraiment. Le lieutenant Espérandieu s’est dit que si Éric Lombard était rentré secrètement des États-Unis la nuit où le cheval est mort, il avait dû atterrir pas trop loin d’ici. Il a donc appelé les différents aérodromes de la zone, en commençant par le plus proche et en s’éloignant progressivement : Tarbes, Pau, Biarritz… Au troisième, bingo : un jet privé d’une compagnie aérienne américaine a bien atterri à Biarritz-Bayonne le soir du mardi 9 décembre. À en croire les informations dont nous disposons, Éric Lombard est entré sur le territoire sous un faux nom et avec de faux papiers. Personne ne l’a vu. L’avion est resté une douzaine d’heures et est reparti au petit matin. Bien assez pour effectuer le trajet Bayonne-Saint-Martin en voiture, se rendre au centre équestre, tuer Freedom, l’accrocher en haut du téléphérique et repartir.
Tout le monde fixait la gendarme intensément à présent.
— Et ce n’est pas fini, dit-elle. L’aéroport de Biarritz a gardé trace de la compagnie aérienne américaine dans son registre des vols de nuit et dans l’imprimé des mouvements de l’aéroport. Vincent Espérandieu a fait alors appel à un de ses contacts à Interpol, lequel a contacté le FBI américain. Ils ont rendu visite au pilote aujourd’hui. Il a formellement reconnu Éric Lombard. Et il est prêt à témoigner.
Ziegler tourna son regard vers Servaz.
— Lombard est peut-être déjà au courant de nos intentions, dit-elle. Il a probablement ses propres contacts au FBI ou au ministère de l’Intérieur.
Servaz leva la main.
— J’ai deux de mes hommes qui montent la garde devant le château depuis le début de la soirée, les prévint-il. Depuis que j’ai commencé à soupçonner ce qui se passait. Si M. le juge a raison, Lombard est toujours là-dedans. Où est Vincent, à propos ?
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