— On va procéder à un curetage. Je vais d’abord vous anesthésier…
Il faillit émettre une objection mais y renonça. Au point où il en était. Dix minutes plus tard, il avait un côté de la bouche totalement endormi. Peut-être était-ce le but escompté en fin de compte : le faire taire d’une manière ou d’une autre.
Il se redressa et Zoé Fromenger rangea ses instruments.
— Je vous écoute, dit-elle comme si c’était elle qui allait le questionner.
— Mes questions concernent principalement la présence de la voiture de votre mari, une DS4 rouge à toit blanc, sur le parking d’un centre commercial dans la nuit de mardi à mercredi vers 3 heures du matin, commença-t-il avec une élocution rendue approximative par l’anesthésie.
Il l’interrogea du regard.
— Gaspard m’a parlé de ça, répondit-elle, les dents serrées. Il doit y avoir une erreur. Il s’agit forcément d’une autre DS4…
— Vous confirmez que votre mari était bien à la maison cette nuit-là ?
— Catégoriquement. Pourquoi vous avez besoin de savoir ça ?
Il plongea une main dans une poche de son blouson, en ressortit le même cliché qu’il avait montré à Gaspard Fromenger : l’agrandissement de la plaque d’immatriculation. Il la vit pâlir.
— Je ne comprends pas… Il doit y avoir une erreur…
Il laissa passer un silence.
— Madame Fromenger, est-ce que vous avez utilisé la voiture de votre mari dans la nuit de mardi à mercredi pendant qu’il dormait ? demanda-t-il soudain.
Zoé Fromenger cligna nerveusement des paupières.
— Non !
— Et une autre nuit ?…
Pas de réponse.
— Je vais avoir besoin de votre téléphone, décida-t-il.
— Pour quoi faire ?
— Voir s’il n’a pas activé quelques bornes dans ou autour de Toulouse cette nuit-là ou une autre nuit…
— Vous avez le droit de faire ça ?
— J’ai non seulement le droit mais toutes les autorisations requises.
Elle regarda vers le sol.
— J’ai utilisé sa voiture… mais pas cette nuit-là… une autre nuit… La mienne est au garage…
Elle cherchait ses mots.
— C’était une urgence…
— Quel genre d’urgence ?
Elle leva les yeux vers lui. Servaz y lut un mélange de culpabilité, de défi et de tristesse.
— J’ai une relation avec un autre homme… Il voulait me voir tout de suite. Il avait quelque chose d’important à me dire, mais pas au téléphone…
— Quand est-ce que ça s’est passé ?
— Dans la nuit de mercredi à jeudi.
— Son nom ?
Elle le transperça du regard.
— Vous savez bien de qui il s’agit puisque vous êtes ici…
— Erik Lang ?
Elle hocha la tête.
— Vous n’avez pas eu peur que votre mari découvre que vous étiez sortie ?
— Mon mari a le sommeil très lourd, capitaine, il a un métier épuisant. Et il a l’habitude de mes insomnies. Et puis, Erik a insisté… C’était vraiment urgent, selon lui.
— Que voulait-il ?
Elle hésita.
— Madame Fromenger, vous connaissez les termes obstruction à la justice ?
— Me dire qu’on devait arrêter de se voir pendant quelque temps… Et ne plus se parler au téléphone. Il voulait me le dire en personne. Avant de couper tout contact…
Il lui jeta un regard acéré.
— Il y a longtemps que ça dure, Erik Lang et vous ?
— Deux ans.
— Vous l’avez rencontré comment ?
— C’était un de mes patients…
— Votre mari n’est pas au courant ?
— Non !
Il se pencha vers elle.
— Madame Fromenger, est-ce que votre mari est quelqu’un de violent ?
Zoé Fromenger blêmit. Il surprit à nouveau de la tristesse dans ses yeux. Servaz souleva la manche de sa blouse. Il y avait un bleu sur son poignet.
— C’est lui qui vous a fait ça ?
— Ce n’est pas ce que vous croyez. On s’est disputés hier soir à cause de cette histoire de voiture. Il voulait savoir si c’était moi qui étais au volant. Il m’a attrapée par le poignet et je me suis libérée un peu trop violemment.
Bien sûr , pensa-t-il.
— Rémy Mandel, ça vous dit quelque chose ?
— Qui ça ?
Il répéta le nom.
— Non.
— Un des fans d’Erik Lang, il ne vous en a jamais parlé ?
— Non. Pourquoi l’aurait-il fait ?
— Ce qui nous ramène à ma première question, dit-il. La présence de la voiture de votre mari sur le parking d’un centre commercial la nuit de mardi à mercredi vers 3 heures du matin. Vous n’avez aucune explication ?
Elle n’en avait pas.
À l’heure du déjeuner, il avait tellement mal à hauteur du sternum qu’il se mit à envisager le pire. Une angine de poitrine. Un problème cardiaque… Il avait produit un effort très violent la veille… et s’il était sur le point de faire un infarctus ? Ses artères coronaires s’étaient-elles durcies et rétrécies avec l’âge sans qu’il y prenne garde ? Il allait avoir cinquante ans… La douleur broyait sa cage thoracique dans un étau et cette sensation de serrement commençait à l’oppresser et à l’angoisser au plus haut point. Chaque respiration, chaque mouvement lui arrachait une grimace et il évitait soigneusement de respirer trop fort, mais, de temps en temps, comme pour savoir jusqu’où cela pouvait aller, il prenait une inspiration aussi profonde que possible et alors la douleur explosait dans sa poitrine et lui coupait le souffle.
Il chercha sur Internet les symptômes de l’infarctus et lut : pression dans la poitrine, douleur irradiant vers le bras gauche (et plus rarement le bras droit), suées, souffle court, vertiges . Il les avait pratiquement tous… D’ailleurs, il lui suffisait d’y penser pour éprouver une sorte de vertige et se mettre à transpirer.
Il appela son médecin traitant mais tomba sur un standard où on lui expliqua qu’il ne serait pas reçu avant deux semaines. Il fit valoir qu’il s’agissait d’une urgence et la personne au bout du fil — après lui avoir posé quelques questions sur un ton ouvertement sceptique — ramena ce délai à vingt-quatre heures.
— Prenez des antalgiques en attendant, lui dit-elle. C’est sûrement une côte fêlée si vous vous êtes cogné hier.
— Laissez tomber.
On pouvait crever dans ce pays. Meilleur système de santé au monde, tu parles . On ne cessait de rogner sur tout, même sur les dépenses de santé. Il fila aux urgences. Trois heures d’attente dans un couloir au milieu de brancards, de patients abattus et de proches à cran. Un vrai foutoir et des soignants débordés, stressés, découragés qui tentaient de faire face avec les moyens du bord. Il joignit Charlène, lui demanda de passer prendre Gustav à la sortie de l’école. Fut enfin interrogé par un jeune interne et une infirmière. En d’autres circonstances, il aurait décampé depuis longtemps, mais la douleur ne le laissait pas en paix une minute.
— Radio, décréta l’interne après qu’il eut exposé son cas. Une nouvelle heure d’attente au cours de laquelle il envisagea les pires scénarios imaginables — y compris qu’il allait s’écrouler foudroyé en plein hôpital — et il revenait avec ses radiographies sous le bras. Il était 17 h 30.
— Vous avez deux côtes cassées, conclut l’interne en les examinant. Rassurez-vous, ça n’est pas grave en soi, car il n’y a pas eu de déplacement. C’est plutôt une bonne nouvelle. Mais chacun de vos mouvements met à contribution les nerfs intercostaux qui, comme leur nom l’indique, sont situés dans les espaces entre les côtes et innervent toute la paroi thoracique. Je vais vous rédiger une ordonnance avec un antalgique pour diminuer la douleur et un myorelaxant pour détendre les muscles qui font pression sur les nerfs. Mais sur ce genre de douleur, croyez-moi, leur efficacité est très limitée. Le seul traitement, c’est le repos. Je vais vous prescrire aussi un arrêt de travail.
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