- Sans sourciller. Si la collection de la marquise n'avait pas été l'objet d'un recel.
Gueule-brûlée prit un air de joueur de poker :
- Je vous propose un marché dans lequel la mise est plus modeste, mais les chances de gagner sont plus élevées. Cela vous intéresse ?
- Pourquoi pas, dit Malberg en faisant mine de se laisser convaincre.
En réalité, cette offre douteuse ne l'intéressait pas le moins du monde. Il était persuadé que Gueule-brûlée faisait partie de cette faune innombrable d'escrocs professionnels qui peuplent par centaines les faubourgs de Rome.
Mais il fallait le faire patienter. Du moins jusqu'à ce qu'il ait démêlé les liens qui existaient entre lui et la marquise, et peut-être même entre lui et Marlène.
- Avez-vous cent mille dollars en liquide ? s'enquit l'homme.
- Comment cela en liquide ? Je n'ai pas cet argent sur moi.
- Je m'en doutais un peu. Je veux dire : dans quel délai pouvez-vous disposer de cette somme en liquide ? À condition que nous fassions affaire.
- Écoutez, Gueule-brûlée, je ne comprends rien à vos propos. Arrêtons-nous là. Je ne vais pas accepter de me lancer dans une affaire alors que je ne sais même pas de quoi il retourne. Ça frise le ridicule. Expliquez-vous un peu.
Gueule-brûlée se tortillait comme un ver.
L'homme qui avait fait si peur à Malberg, un instant auparavant, paraissait acculé.
- Ce n'est pas si simple à expliquer en deux ou trois phrases, commença-t-il. C'est une affaire dans laquelle le Vatican est impliqué, concernant un objet que la curie serait prête à acquérir pour une somme bien supérieure à celle que je vous demande, moyennant évidemment d'habiles négociations.
- N'importe quoi ! s'emporta Malberg. Vous n'imaginez tout de même pas que je vais croire ce que vous me racontez. Si les circonstances sont telles que vous les décrivez, dites-moi une chose : pourquoi vous ne le faites pas vous-même ?
Gueule-brûlée fit maladroitement disparaître son revolver dans la poche intérieure de sa veste. Malberg ne put s'empêcher de penser qu'il cherchait à gagner du temps.
- J'ai essayé, finit-il par répondre, mais la tentative a échoué. Vous savez, je suis plutôt spécialisé dans les gros travaux, les sales besognes, les missions concrètes : un coup de feu, deux au maximum, et on n'en parle plus. Ou bien le cambriolage : l'objectif est précis, trois jours d'observation et de mise en place, puis l'affaire est expédiée en quinze ou vingt minutes. Mais traiter avec un cardinal de la curie, ce n'est pas facile, vous comprenez ?
En écoutant Gueule-brûlée, Malberg commençait à se demander s'il ne pouvait pas y avoir un lien entre ce type et le mystérieux accident du cardinal secrétaire d'État Philippo Gonzaga. Les cent mille dollars que Gonzaga avait avec lui dans un sac plastique étaient-ils pour Gueule-brûlée ?
Malberg n'avait pas la moindre envie de se lancer dans des affaires louches. Mais il se méfiait de Gueule-brûlée comme de la peste.
Il avait encore peur, pas moins qu'à l'instant où il avait senti le canon froid du revolver dans son dos. Lukas feignit donc de s'intéresser à ce que lui disait son interlocuteur.
- Vous savez, expliquait Gueule-brûlée, pour quelqu'un comme moi, la seule chose qui compte encore, c'est l'argent. Je me fiche de mon apparence, du moment que mon porte-monnaie est bien rempli. Tout peut s'acheter. Dire que l'argent ne fait pas le bonheur, c'est complètement idiot. Si c'était vrai, tous les pauvres seraient heureux.
Malberg hocha la tête ; il avait l'esprit ailleurs.
- Vous vouliez m'expliquer votre affaire, finit-il par dire.
Gueule-brûlée secoua la tête.
- Pas ici et pas aujourd'hui !
- Bien sûr, acquiesça Malberg à qui cette suggestion convenait à merveille. Mais vous comprendrez que je ne commencerai à rassembler l'argent qu'à partir du moment où j'aurai tous les éléments en main.
- Le contraire m'aurait étonné, répondit l'homme défiguré. On n'est jamais trop prudent. Le monde est tellement pourri. Je propose que nous nous retrouvions demain matin à dix heures.
- D'accord. Et où ?
- Devant la Pietà de Michel-Ange, dans la basilique Saint-Pierre. À droite en entrant.
- Pardon ?
- Vous avez compris ce que je viens de vous dire.
Avant même que Malberg ait pu exprimer son étonnement, Gueule-brûlée disparaissait en direction de la Via dei Coronari.
37
Lorsque Malberg arriva chez Barbieri, il fut surpris de constater que celui-ci avait de la visite.
Caterina était là, avec son corsage blanc et sa jupe particulièrement courte. Elle n'avait pas attaché ses cheveux, qui lui tombaient sur les épaules, et elle s'était juste mis une touche de rouge sur les lèvres, comme le jour de leur deuxième rencontre au Colline Emiliane sur la Via degli Avignonesi. C'était dans cette tenue qu'elle lui avait déjà fait tourner la tête.
- Ce n'est pas ce que tu crois, lui dit Barbieri pour répondre à ses regards noirs. Elle attendait devant ma porte lorsque je suis rentré.
- C'est bon, je ne vous dérange pas, grogna Lukas qui se retourna aussitôt pour partir.
Mais avant qu'il n'arrive à la porte, Caterina l'avait rattrapé et lui barrait le chemin.
- Ce que tu peux être têtu ! dit-elle en passant ses bras autour de son cou et en glissant une jambe entre ses cuisses. Comment pourrais-je te convaincre que j'ai été moi-même dupée par Paolo ?
Malberg sentait la chaleur de son corps et l'odeur du parfum que dégageaient ses cheveux. Il eut envie de l'attirer contre lui, mais il était encore trop méfiant. Il avait tant besoin, pourtant, de quelqu'un en qui avoir confiance. Il remarqua le désir dans les yeux de Caterina. Mon Dieu, pensa-t-il, s'il existe au monde une femme qui peut me faire oublier mes soucis, c'est bien Caterina. Il fallait qu'il parvienne à oublier Marlène.
Il adopta une attitude distante et détourna le regard tout en essayant de se dégager des bras de Caterina. Le doute s'insinuait pour la première fois dans son esprit : avait-il été injuste envers la jeune femme ?
- Écoute donc au moins ce que Caterina a à te dire ! lança Barbieri du fond de la pièce.
Sans grand enthousiasme, Lukas s'assit en face de Barbieri à la table de la cuisine. Caterina lui tendit un morceau de papier avec une adresse dans le Lungotevere Marzio, un quartier plutôt recherché entre le Ponte Cavour et le Ponte Umberto, sur la rive gauche du Tibre.
- C'est quoi ? demanda Malberg en feignant de garder son calme.
- La nouvelle adresse de la signora Fellini, répondit Caterina. De la part de Paolo, ajouta-t-elle timidement. Il a dit qu'il regrettait ce qu'il avait fait. Il veut réparer ses sottises. Il veut sincèrement t'aider !
- C'est ce qu'il a déjà prétendu une fois, remarqua Lukas avec colère.
- Je sais. Entre-temps, il m'a raconté comment les choses s'étaient passées. À la suite de notre incursion dans l'appartement de Marlène, Paolo a appris par une voisine de la signora Fellini - la voisine en question habite deux immeubles plus loin - qu'un inconnu avait proposé à ladite signora beaucoup d'argent en échange de son silence. La signora avait vu dans la maison de la Via Gora certaines choses dont elle ne devait pas parler. La somme proposée devait être conséquente, car elle lui a permis de s'installer sans tarder dans le plus beau quartier de la ville. Du jour au lendemain, la concierge a donc radicalement changé de style de vie. Je ne sais pas comment Paolo a réussi à dénicher la nouvelle adresse de la signora . Mais, au cours de ses recherches, il a découvert une suite d'indices qui l'ont conduit tout droit au Vatican. Maintenant, Paolo sait des choses qu'il n'aurait jamais dû savoir. Compte tenu de l'importance de ces choses, il a voulu en tirer profit et a cherché à imposer ses conditions. En retour, on a tenté d'acheter son silence avec une somme ridicule. La signora Fellini a été chargée de lui remettre l'argent. C'est cette scène, et leur altercation, que nous avons observées.
Читать дальше