Malberg gardait le silence.
- Et où se trouve Paolo maintenant ? s'enquit Barbieri.
- Je ne sais pas, répondit Caterina. Il m'a tout raconté au téléphone. Il avait l'impression d'être suivi. Il valait mieux qu'il disparaisse provisoirement de la circulation. Lukas ! Paolo veut absolument te parler. Je sais que ce n'est pas facile pour toi, mais il faut que tu lui pardonnes !
Les paroles de Caterina mirent Malberg dans une rage folle.
- Mais bien sûr ! Le délicieux petit frère en a de bonnes, c'est tellement simple : « Excuse-moi, je ne recommencerai plus. » Merci, mais je me débrouille très bien tout seul. Je peux me passer de l'aide d'un petit délinquant véreux.
Malberg froissa le bout de papier qu'il lança avec mépris dans un coin de la pièce.
Il avait les nerfs à vif. L'horrible visage de Gueule-brûlée surgit soudain devant lui. Cela commençait à faire trop.
- Tu es fou ou quoi ? s'énerva Barbieri en ramassant la boule de papier. Paolo est peut-être en mesure de nous aider ! Où peut-on le joindre ? demanda-t-il en se tournant vers Caterina.
Elle secoua la tête :
- Il n'a même pas fait une allusion à l'endroit où il se trouve actuellement. Je crois qu'il avait peur. Mais il a dit qu'il m'appellerait dans les prochains jours.
Giacopo eut un regard réprobateur pour Malberg.
- Si tu refuses de parler avec Paolo, c'est moi qui le ferai.
- Je ne peux pas t'en empêcher, répliqua Malberg.
Il se leva et remit la chaise à sa place en la poussant sous la table, comme il l'aurait fait dans un bistro.
- N'oublie pas le plus important : emporte avec toi une bonne somme, car, sans argent, pas de Paolo. Et maintenant, vous m'excuserez, j'ai besoin de m'aérer.
Une fois dans la rue, il respira à pleins poumons l'air frais de la nuit. Il avait froid ; il remonta le col de sa veste et déambula, sans but précis, les mains dans les poches, dans la Via Caio Cestio.
Puis il prit la direction de la Porta San Paolo qui ressortait dans la lumière blafarde des projecteurs.
Dans un bar au coin de la rue, il commanda une grappa qu'il but d'un trait. Il se sentait mal dans sa peau. Il regrettait le ton qu'il avait adopté pour parler à Caterina. Il ne croyait plus que la jeune femme avait été au courant des combines de son frère, mais il était trop fier pour l'admettre.
38
Malberg entra dans Saint-Pierre dix minutes avant l'heure du rendez-vous. Dans la pénombre de l'église, la Pietà de Michel-Ange n'attirait pas spécialement l'œil, d'autant qu'une horde de touristes en mal de sensations venait d'arriver de la chapelle latérale et se pressait devant le chef-d'œuvre en se barrant la vue les uns aux autres.
D'une voix étouffée et pétrie de respect, la guide évoquait la vie de Michel-Ange, racontait qu'il avait quitté à vingt et un ans la ville de Florence, pleine de vie et de gaieté, pour se rendre à Rome qui n'était à l'époque qu'une cité provinciale à l'abandon.
Ce n'était pas le pape, comme on aurait pu le croire, mais un cardinal français qui avait commandé au jeune artiste cette sculpture. Cet homme d'Église tenait à ce que Rome possédât la plus belle œuvre d'art qui fût. Michel-Ange avait consacré trois années à sculpter le bloc de marbre blanc...
Malberg sentit derrière lui quelqu'un qui lui pinçait les côtes. Il se retourna et tomba sur Gueule-brûlée, debout à sa droite. Il faisait piteuse impression.
On eût dit qu'il avait passé la nuit sur un banc dans un jardin public.
Lorsque Lukas ouvrit la bouche pour engager la conversation, l'homme posa un doigt sur ses lèvres et lui fit un signe de la tête en direction de la Pietà pour lui faire comprendre qu'il devait écouter ce que disait la guide.
Celle-ci poursuivait ses explications : quand Michel-Ange eut terminé son œuvre, il grava fièrement son nom dans le vêtement de la Madone, contrairement à l'usage alors en cours. À ce jour, c'est la seule signature connue de Michel-Ange. Le jeune artiste l'avait d'ailleurs gravée en cachette, de nuit. Lorsque son commanditaire avait remarqué cette « dégradation », il était trop tard.
Malberg n'écoutait que d'une oreille distraite. Il observait Gueule-brûlée du coin de l'œil.
- Qu'est-ce que cela veut dire ? demanda-t-il avec agacement.
Il se sentait à l'abri au milieu de tous ces gens. Toutefois, il se demandait si l'inconnu ne l'avait pas attiré dans un piège.
La guide poursuivait ses explications. Depuis cinq siècles, la représentation de la mère de Dieu alimente les discussions.
La madone est plutôt jeune, belle et noble, elle ressemble plus à une amante qu'à une mère. Michel-Ange a justifié ce choix, arguant du fait que les femmes chastes paraissent beaucoup plus jeunes que celles dont l'âme subit les assauts du péché et du désir.
- Venez-en au fait, chuchota Malberg avec impatience. Pourquoi m'avez-vous fait venir ici ?
Gueule-brûlée se rapprocha encore de Malberg.
- Il y a quelques années de cela, commença-t-il de sa voix de fausset, on m'a confié une mission étrange. Je n'en avais jamais effectué de ce genre. Un envoyé de la curie, qui s'est bien gardé de me donner son nom, m'a proposé cinquante millions de lires de l'époque, ce qui correspond aujourd'hui à vingt-six mille euros, pour cambrioler la cathédrale de Turin. J'ai d'abord cru qu'un cardinal convoitait une œuvre d'art. Très bien ! Chaque année, ce sont des milliers d'œuvres qui disparaissent des églises ou des cathédrales pour ne plus jamais réapparaître. Et je dois dire, en toute modestie, que personne n'a encore inventé un système d'alarme qui me résiste. Dans ce cas précis, cependant, il ne s'agissait pas d'un simple cambriolage. On m'avait demandé d'échanger le saint suaire de Turin contre une copie prétendument parfaite. Ensuite, je devais mettre le feu à la chapelle dans laquelle le linceul était conservé. Vous vous imaginez un peu !
- Une histoire incroyable, murmura Malberg. Mais pourquoi me racontez-vous tout cela ?
- Attendez, vous allez comprendre.
Gueule-brûlée entraîna Malberg sur le côté, car quelques visiteurs importunés par leur conversation les regardaient avec des yeux noirs. À l'abri des regards, derrière un pilier, l'homme poursuivit.
- Cinquante millions de lires, c'est une somme non négligeable. J'ai accepté le contrat. J'ai étudié les plans de la cathédrale de Turin et je suis allé passer des journées entières dans l'église pour noter chaque mouvement, chaque cachette possible et imaginable, jusqu'au moment où j'ai su comment j'allais procéder. Un dimanche soir, j'ai réussi à me faire enfermer dans la cathédrale avec la copie du linceul et je me suis mis à l'ouvrage.
Malberg ne comprenait toujours pas où Gueule-brûlée voulait en venir.
- L'histoire ne manque pas de piquant, remarqua-t-il, non sans une pointe d'ironie. À supposer naturellement qu'elle soit vraie. Mais en quoi consiste votre offre ?
- Patience ! répondit son interlocuteur. La patience est mère de toutes les vertus. Tout s'est passé comme prévu. À l'aide d'outils spéciaux, j'ai ouvert la châsse qui abritait le linceul et j'ai remplacé l'original par la copie. J'ai ressenti quelque chose d'étrange lorsque j'ai tenu entre mes mains le linceul dans lequel Jésus de Nazareth est censé avoir été enseveli. Je ne suis pas particulièrement croyant, mais c'est un moment qu'on ne vit pas tous les jours.
- Vous avez certes raison, mais...
- C'est à ce moment-là que j'ai eu l'idée de prélever un minuscule bout du linceul, l'interrompit Gueule-brûlée en levant la main. Comme il était déjà abîmé à plusieurs endroits, j'ai pensé que personne ne le remarquerait. J'ai donc découpé avec la lame de mon couteau un tout petit morceau d'étoffe, pas plus grand qu'un timbre-poste, et je l'ai glissé dans la poche de mon blouson.
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