— Arrête, arrête ! Tu vas me rendre folle !
Plus question de ne pas aimer les mecs ! Boris Miletic, déchaîné, le slip déformé par son érection, se mit à les frotter l’un contre l’autre, à les pétrir, le regard fixe, le souffle court. Swesda avait fermé les yeux et gémissait à petits soupirs brefs. Presque des miaulements. Mais elle avait gardé les bras le long du corps, comme si elle ne voulait pas participer. La pluie cinglait les vitres violemment et il faisait presque nuit tant le ciel était noir.
Boris Miletic se dit que s’il ne la baisait pas tout de suite, il allait devenir fou. Cette fille qu’il ne connaissait pas trois heures plus tôt, il en avait envie comme il n’avait jamais désiré une femme. Peut-être la réaction à ce qu’il venait de vivre. C’était le premier jour où il se relaxait depuis son départ d’Europe.
Abandonnant un des seins, il plongea de nouveau la main à l’intérieur du jeans, mais cette fois devant, passant même sous le maillot. Ses doigts eurent le temps d’effleurer une fourrure douce, avant que Swesda les arrache, prise d’une crise de nerfs brutale et imprévue.
— Arrête, espèce de salaud ! hurla-t-elle. Je ne veux pas que tu me baises !
Médusé, Boris la contempla quelques secondes, sans réagir. Dépassé. Puis, une immense fureur le balaya. S’il n’avait pas eu autant envie d’elle, il l’aurait rouée de coups et jetée dehors. Il n’avait jamais supporté les allumeuses. De la main gauche, il la saisit à la gorge :
— C’est du pognon que tu veux, salope ! lança-t-il sur le même ton qu’elle. Combien ?
— Espèce de porc ! répliqua la Yougoslave.
Pourtant, son expression avait changé. Boris eut l’impression qu’il l’avait ébranlée. La tenant toujours à la gorge, il l’entraîna vers une table basse où était posé un attaché-case. Il l’ouvrit. Les yeux de Swesda s’agrandirent devant les liasses de billets de cent dollars tout neufs bien alignées sur lesquelles était posé un gros pistolet automatique noir.
La fureur de Swesda était tombée d’un coup. Son regard croisa celui de Boris Miletic, interrogateur et intéressé.
— Tu travailles avec les narcos! demanda-t-elle.
— Non, répliqua le Yougoslave, amusé. J’ai du blé, c’est tout. Beaucoup de blé. Même si je te paie bien et que je te baise tous les jours, on n’est pas près d’en voir le bout.
Swesda ne quittait pas des yeux le massif pistolet noir. Elle allongea le bras, l’effleura.
— Pourquoi tu as un flingue ?
De toute évidence ; ça l’excitait. Boris Miletic ne répondit pas, mais arracha un billet de cent dollars d’une des liasses et le fourra dans la main de la jeune femme.
— Cent dollars, ça te va ?
Swesda referma ses doigts sur le billet.
— Comme tu veux, dit-elle d’une voix neutre.
De nouveau indifférente.
Sans attendre, Boris fit glisser son maillot sur ses cuisses, libérant une virilité déjà raide et se laissa tomber sur le canapé. Il tira Swesda pour qu’elle s’installe à côté de lui et, la prenant par la nuque, il poussa sa tête vers son ventre. Elle écarta docilement les mâchoires et il s’enfonça dans sa bouche, une grotte chaude habitée par une langue agile. Pesant sur sa nuque, il appuya jusqu’à heurter le fond de sa gorge. Il était si excité qu’il sentit ses cheveux se dresser sur la tête. La pluie tapait toujours sur les vitres, les isolant du monde extérieur. Depuis longtemps, il ne s’était pas senti aussi bien. Swesda avait glissé à même le sol, continuant sa prestation. Apparemment décidée à en venir à bout. Mais Boris voulait quelque chose de plus complet.
D’un effort héroïque, il s’arracha de sa bouche. Swesda le regarda comme un animal qu’on prive de son festin. Ses pupilles étaient dilatées, éclairées d’une lueur trouble, ses lèvres, brillantes de salive. Visiblement, elle se complaisait dans les rôles d’esclave, en dehors de ses brefs sursauts de rebellion.
Elle murmura d’une petite voix rauque :
— Tu ne sais pas ce que tu veux !
Boris lui offrit un large sourire, s’attaquant à la ceinture de son jeans.
— Oh si ! Te baiser.
— Je suis sale ! protesta-t-elle. Pleine de sable. Je veux prendre un bain d’abord.
Elle avait l’air tellement buté qu’il ne discuta pas, la poussant vers la salle de bains. Elle commença à faire couler l’eau, penchée au-dessus de la baignoire, la croupe tendue. Puis, sans se retourner, elle défit son jeans et entreprit de le faire glisser le long de ses hanches, se tortillant pour s’arracher du tissu trop serré. Son maillot, lui, resta collé à ses fesses par l’humidité, tandis que le jeans tombait gracieusement à ses pieds. Boris ne pouvait détacher les yeux du renflement du sexe moulé par le maillot.
Sa patience brutalement envolée.
Il s’approcha et posa les mains sur les hanches de Swesda, collant son membre brûlant et raide au coton humide.
— Ne bouge pas ! ordonna-t-il.
Ils avaient le temps, la baignoire se remplissait lentement. Lui ne pouvait plus attendre.
Swesda se retourna, une lueur complice dans les yeux, tandis que Boris se frottait lentement contre le maillot, prenant bien soin de ne pas aller jusqu’au bout.
— Tu es un sacré vicieux ! dit-elle de sa petite voix rauque de pute soumise.
* * *
Said Mustala avait mis ses essuie-glaces afin de pouvoir observer le building au crépi rose passé. Vingt minutes déjà qu’il était garé au bord du trottoir d’Ocean Boulevard, en face de l’entrée du condominium, comparant tous ceux qui entraient à une photo posée à côté de lui. Celle de Boris Miletic. Il n’aimait pas la pluie. Cela lui rappelait le dégel en Russie, le terrible printemps 1945 où il reculait devant la percée des T. 34 soviétiques, parmi les débris de la division SS Croatie . Une retraite qui l’avait amené jusqu’en Argentine.
Au départ, tout avait bien commencé, pourtant. Said Mustala, citoyen musulman de Bosnie-Herzegovine, une des provinces de la Yougoslavie, s’était inscrit en 1942 au parti des Oustachis d’Ante Pavelic, chef nationaliste croate, soutenu par les nazis. Pavelic avait créé le parti Oustachi en réponse à la dictature de 1929 établie par le roi Alexandre de Yougoslavie. Ce dernier avait écarté du pouvoir, ou fait assassiner, toute l’intelligentsia croate, rayant d’un trait de plume la Croatie. Quittant sans regret son travail d’apprenti boucher à Sarajevo où il travaillait seize heures par jour pour quelques dinars, séduit par les promesses de Pavelic qui avait décidé de construire une mosquée en plein cœur de Zagreb pour les musulmans croates, Said Mustala avait rejoint les Oustachis. Avec l’appui d’un de ses cousins appartenant à la garde rapprochée du chef croate, il avait vite grimpé les échelons de l’organisation pour devenir chef d’une des bandes qu’Ante Pavelic, lançait sur ses ennemis, Serbes, Juifs ou communistes. En toute impunité. En 1941, soutenue par les nazis, la Croatie était devenue indépendante, et Ante Pavelic, rallié à Hitler, y régnait sans partage, s’acharnant à supprimer les enclaves serbes de Croatie de la façon la plus féroce, à faire fuir les survivants. Le but étant d’avoir une Croatie ethniquement pure.
La première expédition punitive à laquelle avait participé Said Mustala avait été semblable aux récits de ses compagnons. Ils étaient arrivés à l’aube dans un village serbe de la région de Knin, l’avaient encerclé et le massacre avait commencé.
Leur méthode était d’une simplicité biblique, celle des pogroms. Arrivés dans trois camions, les Oustachis s’étaient répartis par petits groupes de cinq. Ils s’attaquaient à une maison, tuant d’abord à l’arme à feu ceux qui tentaient de’ résister. Ensuite, ils s’en donnaient à cœur joie avec leurs longs couteaux effilés. Avant chaque expédition, le chef vérifiait que les poignards de ses hommes pouvaient trancher une feuille de papier… Après une bonne lampée de slibovizc [2] Eau-de-vie de prune, specialité yougoslave.
, c’était aussi facile de trancher la gorge d’un homme d’une oreille à l’autre que de tailler un crayon. À ceux qui se rendaient on enlevait des morceaux de chair, délicatement, comme on découpe une carcasse de bœuf. Said, grâce à son ancien métier, était passé maître dans cette technique.
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