Dans un lit étroit de l’hôpital de Copenhague, Lise s’endormit du sommeil du juste, ravie et moulue, après s’être juré de recommencer l’expérience. Sans les coups.
* * *
Le Boeing 707 du MAC s’éleva gracieusement au-dessus du terrain de Copenhague. William Birch poussa un soupir de soulagement. Tout s’était merveilleusement passé. Il ne restait plus qu’une formalité à accomplir.
Remontant dans sa Cadillac noire, il se fit conduire au consulat. Son secrétariat avait déjà prévenu la presse qu’un communiqué important serait remis à onze heures. Lorsqu’il franchit la grille, une demi-douzaine de journalistes étaient déjà là.
William Birch tira de sa poche le communiqué qu’il avait confectionné à l’aube et le lut d’une voix claire :
— « L’Ambassade des USA a l’honneur de vous faire savoir qu’un citoyen est-allemand qui avait choisi la liberté a décidé de demander l’asile politique à notre pays. Sa demande a été acceptée et il s’est envolé ce matin à destination de Washington sur un avion militaire. Afin d’éviter tout risque d’incident, le départ a eu lieu dans le plus grand secret, à la demande même de l’intéressé. »
— Comment l’avez-vous embarqué ? demanda un des journalistes.
— Il portait un uniforme de l’Air Force, répondit le diplomate, la voix quand même un peu étranglée. On l’a confondu avec l’équipage.
— Ce n’est pas un procédé courant, remarqua l’envoyé du Politiken.
— Ce n’étaient pas non plus des circonstances normales, répliqua fermement William Birch. Cet individu avait été l’objet de nombreuses menaces.
Il se força à sourire et ajouta :
— Je m’en excuse auprès des autorités danoises et mon gouvernement enverra d’ailleurs une note écrite à ce sujet à votre ambassadeur de Washington.
Satisfaits, les journalistes se dispersèrent après avoir reçu chacun une photo d’Otto Wiegand et William Birch s’essuya mentalement le front.
Il se souviendrait longtemps du 27 juin 1968.
* * *
Le 29 juin, soit deux jours plus tard, un fermier découvrit dans une forêt des environs de Trêves, le corps du contre-amiral Helmut Dietl, mort depuis plusieurs heures. Il avait été tué d’une seule balle de son fusil Mauser personnel, chargé avec des balles dumdum. Il avait un trou gros comme le doigt dans la poitrine et un orifice de sortie de la taille d’une soucoupe dans le dos.
Étant donné la position de l’arme, il s’agissait visiblement d’une suicide. Âgé de cinquante-neuf ans, le contre-amiral Dietl était considéré comme un des as du contre-espionnage allemand.
L’enquête, aussitôt ouverte, fut close et le Ministère des forces armées publia un communiqué précisant que l’officier général souffrait depuis longtemps de troubles nerveux.
Vingt-quatre heures plus tard, une femme de ménage découvrit affalé sur son bureau le major-général Horst Gitland, sous-directeur de l’Organisation Gehlen, aussi mort qu’un poisson de huit jours.
Il s’était tiré une balle dans la tête avec son pistolet de service, un Mauser P-38. Lui non plus n’avait laissé aucune note et ses intimes se plaisaient à vanter l’égalité de son caractère. Seuls quelques-uns se souvinrent que, pendant la guerre, il avait eu des relations étroites avec le contre-amiral Dietl. Mais tout cela appartenait au passé.
Quelques heures plus tard, le Ministère de la défense publia un communiqué déplorant la mort du major-général et affirma avec toutes les apparences de la plus grande sincérité que le malheureux souffrait depuis longtemps de dépression nerveuse chronique, frisant la maladie mentale.
Seuls quelques esprits chagrins s’étonnèrent qu’on eût confié un poste aussi important pendant si longtemps à un demi-fou.
Les mêmes esprits chagrins sautèrent au plafond lorsque la police de Cologne découvrit le docteur Heinrich Schick, haut fonctionnaire du Ministère de l’économie, pendu haut et court dans son appartement. Cette fois, le communiqué officiel affirma pudiquement que la vie sentimentale du haut fonctionnaire n’avait pas été de tout repos et que c’est un état de tension répétée avec sa jeune épouse qui l’avait conduit au suicide. L’affaire fut également classée avec une célérité digne d’éloge pour ceux qui s’obstinent à croire que la justice avance au pas de l’escargot.
Trois jours après que le Dr Schick ait été trouvé suspendu à sa propre ceinture, le lieutenant-colonel Johannes Köln, cinquante-quatre ans, se tira une balle dans la bouche à son bureau du Ministère de la défense. Il mourut quelques heures plus tard dans un hôpital sans avoir fourni la moindre précision sur la cause de son suicide. Coïncidence fâcheuse, le lieutenant-colonel Köln était un spécialiste de logistique et de mobilisation, spécialité qui le rattachait au général Gitland et à l’amiral Dietl.
Cette fois, le porte-parole du Ministère de la défense expliqua que le suicidé craignait d’avoir le cancer. Le fait que son médecin personnel l’ait trouvé en excellente santé une semaine plus tôt prouvait simplement qu’il n’avait pas confiance dans la médecine.
* * *
Dans sa cellule de Copenhague, Boris frôlait l’infarctus. Inexplicablement la police danoise n’arrivait pas à se décider sur son motif exact d’inculpation. Et tant qu’il n’était pas inculpé, il n’avait pas droit à l’assistance d’un avocat.
Donc pas de contact avec l’extérieur. Les choses traînaient.
Elles traînèrent tellement que, huit jours plus tard, Frau Edel Grapentin, archiviste au Ministère de la guerre avala le contenu de trois tubes de barbituriques et fut trouvée morte dans son appartement de Bad-Godesberg.
N’ayant aucun sens de l’humour, le même porte-parole déclara à une assemblée de journalistes narquois que la malheureuse suivait depuis longtemps un traitement psychiatrique qui l’éprouvait beaucoup. Bien entendu sa maladie n’affectait pas son travail puisqu’elle venait même de passer à l’échelon supérieur.
Fatalité, fatalité.
Le lendemain, Boris Sevchenko eut enfin le droit de contacter avec un membre de la délégation soviétique, à Copenhague, à qui il raconta toute l’histoire. Le fonctionnaire fit tout ce qui était en son pouvoir mais le week-end ralentit ses efforts.
Fatale lenteur. Le lundi suivant, Gerhard Rhein, soixante-deux ans, autre haut fonctionnaire du Ministère de la défense nationale disparut de son domicile. Quelques heures plus tard, un pêcheur découvrait sous un pont du Rhin, près de Bonn, son chapeau, son manteau et sa serviette avec une courte note à l’intérieur, destinée à sa famille disant : « Je suis désolé d’en venir là. »
On repêcha son corps le jour même où les journaux est-allemands publiaient des articles indignés annonçant la mort d’Otto Wiegand et la machination qui avait suivi.
De ce jour, on n’enregistra plus aucun cas de dépression nerveuse au Ministère de la défense de l’Allemagne de l’Ouest.
* * *
À Washington, David Wise ferma le dossier Otto Wiegand. L’Allemand reposait dans un petit cimetière anonyme du Long Island sous une identité totalement inventée. Si la reconnaissance se pratiquait chez les barbouzes, David Wise aurait dû aller déposer quelques fleurs sur sa tombe. Rarement, un cadavre avait rendu de tels services. Mais on n’envoya qu’un seul faire-part. À une certaine Yona Liron, qui n’était pourtant pas une parente.
Ministère de la sécurité d’État.
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