— Vite, on l’a repéré ! Ils sont au sixième. Le Japonais vient de tirer sur un des gardes. Ils se sont barricadés dans le réduit de l’air climatisé.
— Il faut le prendre vivant, dit Malko.
C’était quand même le grand mystère. Pour qui le colonel Tanaka travaillait-il ?
Ils se ruèrent dans l’ascenseur. Les agents du FBI commençaient posément à investir l’immeuble, doublant partout les gardes de l’ONU. C’est la première fois dans toute l’histoire de l’auguste organisation qu’une telle chose se produisait. Le colonel MacCarthy allait en sauter par la fenêtre.
Le palier du sixième était en état de siège. Milton Brabeck vint au-devant de Malko.
— Ils sont là-bas.
Il désignait la porte métallique avec une inscription rouge : Keep out. Deux trous avaient percé le battant. Devant, sur le dallage plastique, il y avait une large traînée de sang.
— Il est touché ?
Milton secoua la tête.
— Non, hélas, c’est le gros qui a morflé.
— Grave ?
Le gorille baissa la tête. Son colt faisait des trous comme des soucoupes.
— J’aurais pas dû tirer, fit-il.
Malko s’avança le long du mur, restant hors du champ de tir du Japonais. Puis il appela :
— Colonel Tanaka, sortez.
Il renouvela son appel. Sans succès. Le Japonais l’entendait sûrement pourtant.
— Nous allons donner l’assaut, continua Malko. Laissez au moins sortir l’homme qui se trouve avec vous.
Toujours pas de réponse. Malko rejoignit Milton et les agents du FBI. Le gorille annonça :
— Ils seront là dans dix minutes, avec des gaz lacrymogènes.
Malko hocha la tête. La guerre du Pacifique avait appris que les Japonais se laissaient rarement prendre vivants.
* * *
Debout contre la cloison, protégé des coups de feu, le colonel Tanaka contemplait avec ennui le gros Joe en train d’agoniser. Étendu par terre comme une grosse méduse, ils soufflait et une bave rosâtre s’échappait de la commissure de ses lèvres. La balle de Milton lui avait ouvert le poumon droit, sans espoir. Sa main grattait le plastique et il n’arrivait plus à parler. Ses yeux glauques ne voyaient déjà plus.
Tanaka était coincé dans cette pièce. Il savait que les autres allaient l’enfumer ou le gazer. Au choix. Il restait plusieurs solutions : la sortie à la samouraï, la balle dans la tête ou le saut du sixième.
Aucune des trois solutions n’était vraiment satisfaisante. Le colonel n’éprouvait aucune haine pour les hommes qui se trouvaient à l’extérieur. La perspective d’en tuer plusieurs ne l’enchantait pas.
Soudain, il y eut un chuintement. Il sursauta et fit un saut de côté, puis se maudit de sa nervosité. Ce n’était que l’air conditionné qui se remettait en marche.
Une fraction de seconde, une joie sauvage le submergea : à la suite d’une fausse manœuvre, on avait remis la machinerie en route ! En l’oubliant. Il posa son pistolet par terre et fiévreusement, commença à dévisser le couvercle de sa boîte.
L’odeur d’amandes amères frappa ses narines au même moment. Et il réalisa que l’air n’était pas aspiré mais puisé dans la pièce. L’appareil marchait à l’envers, expulsant les gaz mortels.
Le colonel Tanaka fit un pas vers la fenêtre puis s’arrêta. Il lui suffisait de relever le battant et de laisser l’air frais entrer. Il arrêta son geste : il venait d’avoir une meilleure idée. Il était écrit qu’il ne verrait pas les cerisiers refleurir à Tokyo. Mais ce sont les choses de la vie. Agenouillé, il se pencha sur le conditionneur. L’odeur d’amandes amères se fit plus forte.
Il respira profondément, les yeux fermés, gardant l’air empoisonné dans ses poumons comme s’il s’agissait d’un tabac rare. D’abord, il ne se passa rien. Puis une brûlure terrible lui déchira la poitrine. Il eut envie de se déchirer la peau. Il voulut hurler de douleur, mais aucun son ne sortit.
Il bascula d’un coup en arrière, se recroquevilla, les yeux hors de la tête.
C’est dans cette position que le trouva Malko. Le visage encore convulsé par la douleur, après que la brigade des gaz eut fait sauter la porte et ouvert les fenêtres pour évacuer les vapeurs mortelles. Personne ne saurait jamais pourquoi le colonel Minoru Tanaka s’était lancé dans une telle aventure. Ceux qui l’y avaient poussé l’avaient déjà rayé de leurs mémoires.
Mais sa femme et ses filles sauraient qu’il était mort honorablement.
Malko se pencha sur le colonel japonais et lui ferma les yeux.
* * *
Il faisait une chaleur étouffante dans la salle de l’Assemblée générale quand Mlle Brooks, représentante du Libéria annonça officiellement le résultat du vote sur la résolution N° 569, concernant le rétablissement des droits légitimes de la République populaire de Chine à l’Organisation des Nations Unies.
La résolution était repoussée par 56 voix contre 48, n’atteignant pas la majorité des deux tiers requise. Six pays avaient voté d’une façon « inexplicable » et il y avait eu 21 abstentions, 8 de plus que l’année précédente. Il s’en était fallu de peu que le colonel Tanaka ne réussisse.
Les délégués se pressèrent vers la sortie en s’épongeant le front. Celui de l’Australie glissa à son voisin argentin :
— Je n’ai jamais eu aussi chaud de ma vie. Ils sont fous d’avoir arrêté l’air conditionné. Décidément, rien ne marche plus en Amérique.
* * *
Jeanie avait maigri, ce qui faisait ressortir sa grande bouche et ses immenses yeux marron. Elle poussa un petit cri en voyant Malko avec la longue Cadillac noire, courtoisie de la CIA.
Après quatre jours d’hôpital, elle allait mieux. Malko prit son sac et le jeta dans la voiture. Elle monta à côté de lui.
En s’enfonçant dans le siège moelleux, sa robe remonta sur ses cuisses. Son premier geste fut de la rabattre, puis elle se jeta contre Malko et il sentit sa bouche chaude dans son cou.
— Je suis si heureuse que vous soyez venu, murmura-t-elle.
Il appuya sur la droite et arrêta la Cadillac. Aussitôt, Jeanie l’embrassa violemment, longuement, le serrant de toutes ses forces.
Krisantem allait être affreusement choqué, raciste comme il l’était. Malko espérait néanmoins que son sens du devoir lui interdirait de parler à Alexandra.
Dix cents.
Fils de pute.
Avions-suicide.
Fric, en argot.
Sales bougnoules.
Bourrés.
District of Columbia.