Georges-Jean Arnaud - Forces contaminées

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Il reprit son souffle tandis que les trois autres attendaient avec impatience.
— Dans la nuit du 8 au 9 janvier, le radiophare U.S. Pan 6 a été en panne pendant plusieurs heures, et certainement entre six heures et minuit. Et vous savez comment ils l’ont su ? Un navire en route vers Frisco qui vient tout juste de le signaler. Un cargo panaméen d’ailleurs, dont le capitaine a enfin réalisé qu’au retour il aurait certainement besoin de ce boby-là. Il se trouve à une dizaine de milles d’ici. Et je peux vous garantir qu’il marche, car il fait des interférences pour nos réceptions.

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L’enseigne annonça d’une voix mal assurée.

— Echo par 32° 10, distance quatre milles, angle 12° 15.

Presque tout de suite le tangage devint plus violent. Le lieutenant-commander avait fait réduire la vitesse.

Brusquement Parker s’affola et son visage perdit sa perpétuelle arrogance.

— Les échos se succèdent. Nous avons une véritable barrière rocheuse devant nous, avec seulement des fonds de quelques yards.

Ce qui se traduisit par une deuxième réduction de vitesse, l’Evans ne gardant qu’une allure minima pour lutter contre la houle qui paraissait s’accentuer.

— O’Hara ? Appela Henderson.

— Je vous écoute, commander, haleta le garçon.

— Nous changeons de tactique. Dorénavant je veux des prévisions graphiques. Vous me les apporterez au fur et à mesure qu’elles seront traduites, et nous avancerons au pas au fur et à mesure que le terrain sera déblayé. Le radar nous donne le relief de la côte à moins de trente milles. Nous nous sommes un peu écartés de la route, mais une fois la zone des récifs traversée, nous la reprendrons. Est-ce que Hume se trouve avec vous ?

Le géologue se dressa, comme si Henderson entrait dans la pièce.

— Je suis là, commander.

— Pouvez-vous me rejoindre ? J’ai besoin de vous. Emportez quelques-uns des relevés récents.

Son classeur sous le bras, Hume sortit sur la passerelle. Les vagues couvraient le pont par énormes paquets, projetant des masses d’embruns sur la superstructure. Il pénétra dans le poste de navigation, s’ébroua comme un chien.

— Hume, je suis inquiet.

Le visage brun était si buriné que Henderson paraissait avoir dix ans de plus.

— Les rapports de Parker me déconcertent. Il y a en effet des récifs dans le coin, mais pas cette barrière énorme. J’ai l’impression qu’il en a poussé et …

Hume s’accrocha à la main courante, ouvrit son dossier et le feuilleta.

— Tenez … C’est avec l’asdic que j’avais obtenu ces clichés.

— Je ne pourrai comparer que lorsque O’Hara m’apportera ceux de Parker.

Il s’approcha de l’intercom.

— O’Hara ? M’entendez-vous ?

Les bruits de la tempête emplissaient la pièce. Henderson dut élever la voix pour rappeler son enseigne.

— O’Hara ? Parker ? J’attends votre premier relevé de prévisions.

Le vent mugissait tout autour du poste de pilotage. Les yeux clairs de Henderson jetaient des étincelles.

— Je ne comprends pas … L’intercom ne doit plus fonctionner.

Hume se rapprocha du haut-parleur. Il y avait un bruit de fond et un léger crépitement.

— J’entends bien le bruit du rouleau transcripteur … Je vais aller voir.

Henderson se précipita vers le transmetteur automatique. Comme il appuyait sur le levier avec l’intention de le placer sur Slow, un craquement sinistre troua l’intensité de l’ouragan.

Le bateau s’immobilisa net et toutes les lumières s’éteignirent. Hume se sentit précipité vers l’avant. Il heurta un corps dur, essaya de se relever, mais le plancher avait pris une position incroyable. Il tomba une deuxième fois et perdit connaissance.

Henderson venait d’empaler sa poitrine sur une tige de fer. Quant au navigateur, il avait disparu dans le trou noir où, quelques secondes plus tôt, se trouvaient les vitres du poste et par où entraient des cataractes d’eau.

CHAPITRE II

Le lieutenant Alfonso Delapaz, chef de la police locale de Puerto Mensabé, immobilisa sa voiture sur les quais du port. Il claqua à deux reprises sa portière pour la fermer. La Buick se délabrait de plus en plus dans ce climat éprouvant. Les pêcheurs et les quelques dockers noirs lui lancèrent des regards inquiets, mais le policier paraissait se désintéresser complètement de leur existence.

Lentement il suivit le wharf à moitié pourri, passa devant les embarcations de pêche, devant le yacht d’un blanc immaculé du principal propriétaire foncier du pays, el señor Dominguin. En fait le seul propriétaire de l’endroit, les autres étant tous ses débiteurs. Dominguin possédait les bateaux de pêche, les plantations de café, de coton et de fruits, la conserverie et la distillerie. Seule l’église et le poste de police lui échappaient.

Delapaz s’immobilisa au bout du wharf et sortit un cigare de sa poche. Les yeux sur l’horizon, il l’alluma. Il resta ainsi immobile pendant plusieurs minutes, jusqu’à ce que son œil de rapace distingue le point noir qui venait de Test et grossissait rapidement.

Un message-radio l’avait averti de la visite, et lui avait demandé de se mettre à la disposition du lieutenant de L’U.S. Navy Serge Kovask. Il haussa les épaules. Lieutenant de marine peut-être, mais plus sûrement inspecteur des services secrets. O.N.I ? C.I.A. ? Il n’en saurait probablement rien.

Soudain il y eut un cri parmi la foule et les badauds du quai. Eux aussi avaient vu le point noir qui grossissait de plus en plus. Une vedette rapide certainement. Il y avait deux cents kilomètres de Panama à Puerto-Mensabé par le golfe.

Delapaz consulta sa montre. Dix heures. Les Américains avaient quitté Panama de bonne heure. Il en déduisait que l’affaire était d’importance.

La vedette vint s’immobiliser dans la petite rade, puis gagna doucement le wharf. Un matelot sauta sur le ponton en bois, fixa l’amarre. Presque sur ses talons un homme de haute taille passa sur le wharf. Ce qui étonna Delapaz, c’est qu’il était en civil, costume clair et chemise ouverte sur un cou bronzé et puissant.

Les cheveux du nouveau-venu étaient presque blancs, décolorés par le grand air et le soleil. Delapaz pensa qu’il avait affaire à un véritable marin.

Il s’approcha, se présenta. Les yeux du lieutenant Kovask étaient si clairs que la pupille y formait un petit point d’une dureté inquiétante. Le policier se sentit mal à Taise et laissa broyer sa main graisseuse de sueur avec un sourire forcé.

— Le commodore Chisholm, commandant la base de Panama, vous prie d’accepter ses vifs remerciements pour la célérité avec laquelle vous nous avez prévenus. Vous allez d’ailleurs recevoir une lettre de lui, ainsi qu’une forte prime …

Le policier eut un geste de dénégation. L’officier américain parlait l’espagnol avec beaucoup de facilité.

— Vous avez repéré l’épave ? Demanda Delapaz.

— Dès que nous avons reçu votre message. C’est bien Morillo que se nomme le pêcheur en question ?

— Oui … Mais si nous allions discuter dans mon bureau ? La chaleur, s’excusa-t-il, et j’ai ma voiture …

Pendant que la Buick ferraillait parmi les rues sales du bourg, Kovask examinait son hôte. Le véritable type du métèque. Cheveux gominés, sous la casquette posée légèrement sur l’oreille, la peau olivâtre et brillante de transpiration, les yeux mi-clos avec la pupille incertaine noyée dans le lait sale de la cornée.

Le poste de police était situé non loin de l’église, au fond d’une allée de palmiers. Ils traversèrent la salle des agents pour atteindre le bureau, de Delapaz. Quatre policiers, mal à l’aise dans leur tenue boutonnée, les regardèrent passer. Pour une telle visite, le lieutenant avait exigé d’eux qu’ils ne prêtent à aucune critique.

— Les gringos nous jugent, avait-il déclaré. Il s’installa derrière un bureau constellé de brûlures de cigares et de ronds poisseux de bière et de liqueur forte.

— Un whisky, señor lieutenant ? Il vient de Panama et j’ai de la glace.

Son verre en main, Kovask attaqua brutalement.

— C’est avant-hier matin que ce pêcheur a découvert l’épave du navire océanographique ?

— Oui señor, en allant relever ses casiers à homards sur la barrière de récifs. Seule l’antenne radar dépassait.

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