Toujours cette hypothèse du crime apparenté à une affaire de mœurs. Kovask plaignait le petit Campus de se trouver mêlé dans sa mort à une chose de ce genre.
— Mais on ne sait jamais, bien sûr, ajouta le petit mouton frisé. Il paraît que les gars comme ça, on ne soupçonne rien, même ceux qui vivent avec tout le temps.
Il haussa les épaules : elle appelait ça vivre avec… D’un seul coup d’œil, il se rendait compte qu’elle avait pu être la solitude de Carl Harvard. Sa tentative pour négocier des documents importants avait dû lui apparaître comme un coup de chance, l’occasion de vivre un peu plus intensément et d’échapper à cette grisaille.
— Ils vont m’autoriser à l’enterrer bientôt ?
— Certainement, dit-il. Votre mari n’a jamais reçu de coup de téléphone mystérieux, ici ?
— Jamais. Qui vouliez-vous qui l’appelle ?
— Le jour où il a disparu, il vous a dit qu’il allait au travail comme d’habitude ?
— Bien sûr.
— Vous ne vous êtes douté de rien, n’avez rien remarqué ?
— Si. Il était nerveux… Et plus ça va, plus je me demande s’il n’avait pas rendez-vous.
Un peu plus tard, il quitta Washington en suivant la rive gauche du Potomac. Il avait repéré sur une carte routière l’endroit où le corps et la voiture avaient été retrouvés. Il s’orienta assez facilement, trouva le chemin, les traces nombreuses laissées par les voitures de police et les pompiers. On avait également pataugé dans les joncs et tout autour de l’endroit.
Il fuma une cigarette, puis, à tout hasard, alluma sa radio, pensant que Marcus Clark voudrait communiquer avec lui. Il appela le centre des télécommunications de l’O.N.I., mais on lui dit que le lieutenant ne s’était pas encore manifesté.
— Mais, dites donc, dit Kovask, est-ce vous qui envoyez une modulation comme un satellite ?
— Certainement pas, lui répondit l’opérateur. Le temps est parfait pour un échange radio.
Kovask baissa la tonalité. L’espèce de bip-bip continuait. En fait, il y avait trois brèves et une longue, trois brèves, une longue. Pris d’un pressentiment, il sortit de la voiture, inspecta soigneusement le dessous, pensant à un couineur collé par aimantation à sa carrosserie.
— Où ont-ils pu le planquer ? ronchonna-t-il en ne trouvant rien. Il continua ses recherches pendant une demi-heure avant de remonter sans sa voiture.
Il régla son poste émetteur-récepteur, puis démarra lentement. Lorsqu’il arriva à proximité d’un groupe d’arbres, il eut l’impression que le signal devenait beaucoup plus fort.
— On dirait une balise, pensa-t-il à voix haute.
Voulant en avoir le cœur net, il recula lentement et le son décrut peu à peu, s’amplifia lorsqu’il repartit en marche avant, pour s’étouffer au fur et à mesure qu’il s’éloignait du groupe d’arbres. Une fois sur la route, il n’entendit plus rien.
Cette fois, il n’hésita plus et rentra en communication avec le centre.
— Le lieutenant Marcus Clark n’a pas appelé, lui dit l’opérateur.
— Ecoutez, envoyez-moi une équipe gonio. Je suis sur la rive gauche du Potomac, à hauteur de Quantico. Quelque chose de discret. Je les attendrai sur la route. Une Jaguar grise métallisée.
— Tout de suite, Sir.
— Dites-leur qu’il peut s’agir d’une petite balise genre couineur, de portée assez faible.
— Entendu, Sir.
Durant les trois quarts d’heure d’attente, Kovask piétina d’impatience. Tout était une question de temps. Il ne croyait pas aux coïncidences, et pensait que ce signal radio avait un rapport direct avec la mort de Carl Harvard.
— L’argent, peut-être… L’argent dans le container… Mais, nom d’une pipe, pourquoi n’y ai-je pas pensé ?… Carmina était seul… Une heure avec le container à sa disposition. Une balise radio pour situer son correspondant, et le tour était joué.
Puis son visage se rembrunit. Comment expliquer qu’il ait rejoint Carl Harvard à cet endroit ? Impossible durant sa mission officielle, puisque l’attaché d’ambassade le chronométrait. Et Harvard n’avait pas attendu sur place une fois en possession de l’argent.
Kovask réussit à découvrir Marcus Clark en planque non loin de l’ambassade du Venezuela. Le lieutenant de vaisseau avait encore bronzé après son séjour au Viêt-nam et paraissait en pleine forme. Une petite lueur de gaieté apparut dans son regard lorsqu’il vit arriver le Commander.
— Il paraît que je te dois ce travail de flic débutant, dit-il en lui serrant la main avec vigueur. J’aime autant aller patauger dans les rizières, si tu veux savoir.
Malgré la différence de grade, les deux hommes s’étaient liés d’amitié au cours de plusieurs missions.
— Au courant ?
— En partie, répondit Clark. Le vieux m’a dit que c’était important, mais que nous marchions sur les brisées de la C.I.A. Le gars en question ne s’est pas manifesté.
— Nous allons l’attendre ailleurs.
En quelques mots, Kovask lui expliqua ce qu’il avait découvert non loin du Potomac.
— Le service a envoyé des spécialistes et nous avons découvert que la balise était enterrée au pied d’un gros arbre. Nous n’y avons pas touché, évidemment. Il suffit d’attendre que le gars se manifeste, ce qui ne saurait tarder. La durée de ces petits émetteurs est assez limitée et il y a trois jours qu’il se trouve en fonctionnement, depuis la mort de Carl Harvard.
— Et tu crois que c’est Carmina ?
— Lui seul a eu en dernier le container de plastique entre les mains. Il a fourré la balise entre les liasses… Un seul point noir. Pourquoi Harvard a-t-il attendu, volontairement ou non, son assassin ? Carmina a dû fourrer autre chose dans la boîte étanche. Peut-être un gaz soporifique, après tout.
Il entraîna Marcus Clark vers sa Jaguar.
— On file là-bas. Nous nous remplacerons, même si ça doit durer vingt-quatre heures, mais il finira par venir.
— Encore en planque ! gémit le lieutenant.
— Les rizières viendront ensuite.
L’œil noir de Marcus le chercha tandis qu’il mettait son moteur en route.
Les rizières ou les marécages. J’ai obtenu d’aller jusqu’au bout. Lorsque nous aurons découvert les documents photo ou quelques précisions sur la piste « Fidel Castro », nous partirons à sa recherche. Avec quelques explosifs en poche. Une vraie partie de plaisir.
— Et tu crois que Carmina pourra nous renseigner à ce sujet ?
Kovask tiqua. Il attendit d’avoir traversé le noyau dense de circulation du centre-ville pour répondre :
— Je n’en sais rien. Possible. C’est notre dernière chance. Côté Harvard, impossible de découvrir ce qu’il a pu faire des documents originaux. Les autres sont entre les mains des Cubains.
— Qui vont se méfier désormais et surveiller la fameuse piste ?
— Certainement.
Ils roulaient en dehors de la ville. Le temps très chaud continuait comme en plein été et Marcus Clark rêvait de baignade et de voile.
— On va laisser la voiture un peu avant. J’ai trouvé un sentier qui nous conduira aux arbres. L’endroit est frais et agréable. Ça ne sera pas trop pénible.
Gary Rice est prévenu ?
— Oui. A propos, j’ai un sac de papier avec quelques sandwiches et de la bière.
— Et si le gars ne se présente pas avant la nuit ?
— Le commodore nous enverra des copains. Mais Carmina n’attendra pas. Il a trente mille dollars à récupérer. Que ce soit pour ses amis castristes ou pour lui, la somme est intéressante.
Ils abandonnèrent la Jaguar dans un endroit désert. Elle était invisible de la route et Kovask la ferma à clé. Il désigna un petit sentier qui s’enfonçait dans les herbes en direction de l’est, parallèlement au Potomac qui coulait à quelques centaines de mètres de là. Ils atteignirent bientôt un groupe de grands arbres, des cyprès de taille impressionnante.
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