G.J. Arnaud - Le Commander prend la piste

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Une piste secrète cisaillerait l'Amérique latine du Nord au Sud, aménagée, construite, surveillée par les maquis castristes : la piste Fidel Castro, par laquelle peuvent s'engouffrer des centaines de camions bourrés d'armes et de ravitaillement, une rocade invisible du ciel faisant plus pour la réunification des groupes rebelles que n'importe quelle conférence politique.
Le Commander et Marcus Clark, son adjoint, se font engager comme camionneurs clandestins, descendent la fameuse piste Fidel Castro tracée au cœur de la jungle, sur les hauteurs de la Cordillère, dans les plateaux torrides.
Leur mission ? Établir une carte précise de la piste, placer des balises radio aux points stratégiques, détruire éventuellement

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G.-J. ARNAUD

Le Commander prend la piste

CHAPITRE PREMIER

Carl Harvard reposa son mégot gluant dans un cendrier déjà encombré de bouts de tabac immondes, prit une autre cigarette dans le paquet déposé devant lui et l’alluma distraitement. Si distraitement qu’elle s’éteignit bientôt sans qu’il s’en rendît compte. Il continua de mâcher son cylindre de tabac, au grand dégoût de son vis-à-vis. Ce rédacteur cligna de l’œil à l’intention d’une jeune fille assise à sa droite qui ne put retenir son rire. Elle se hâta de baisser la tête lorsque le regard myope de Carl Harvard se posa sur elle :

— Qu’y a-t-il, miss Jane ?

— Rien, monsieur Harvard, rien du tout.

A l’abri d’une carte photographique représentant une partie de la Turquie occidentale, elle tira la langue en direction de son chef de bureau Carl Harvard, que tout le monde appelait Campus par analogie avec le nom de la célèbre université.

— Pouvez-vous me rechercher la photographie SAC 455 Amérique latine ? J’ai toute la série de 451 à 459, mais celle-là demeure introuvable depuis ce matin.

Miss Jane se leva pour consulter le fichier, trouva à la place de la fiche blanche habituelle une fiche verte.

— Le document se trouve entre les mains du chef de département. Depuis quarante-huit heures.

Campus fronça les sourcils, ce qui fit glisser ses énormes lunettes le long de l’arête mince de son nez et découvrit ses yeux glauques. Il les remonta d’un doigt nerveux.

— Vous êtes sûre ?

Tapant du talon, elle lui apporta la fiche verte, la colla presque sous le nez pointu de Campus.

— Voyez par vous-même.

— Merci.

Il l’écarta d’un geste, déposa avec soin sa cigarette mâchonnée et se leva.

D’un pas hésitant, il traversa l’immense salle du « Département de géodésie aérienne et spatiale » situé au cinquième étage de la très célèbre et très respectable National Géographie Society, Harvard y avait débuté comme petit dessinateur, vingt années plus tôt, mais n’avait pu perdre sa timidité de débutant malgré son ascension professionnelle. Il alla frapper à la porte du directeur de département.

— Harvard ?

Derrière son bureau, l’homme aux cheveux blancs et au visage brique souriait avec une extrême froideur. Les deux hommes se détestaient et c’était Richardson lui-même qui avait doté Harvard de ce ridicule surnom. Le chef de bureau ne l’oubliait jamais. De même, il se souvenait de toutes les erreurs commises par ce personnage surfait et vaniteux, et qu’il avait dû rectifier sans aucun bénéfice qu’un plus grand mépris.

— Le document SAC 455 Amérique latine se trouve-t-il toujours en votre possession ? Voici la fiche verte qui indique que vous l’avez emporté depuis quarante-huit heures…

Richardson souleva quelques paperasses sur son bureau et mit au jour l’épreuve photographique en question, un cliché au cent millième pris aux infrarouges.

— Le voici… J’avais tout simplement oublié de le remettre à sa place. Veuillez vous en charger.

Devant la mine pincée de Harvard, il éprouva le besoin d’ajouter avec désinvolture :

— Je sais que tout document doit être remis en place chaque soir. J’ai même été à l’origine de ce règlement. Pourquoi vous en préoccuper ? Je vous croyais plongé dans les rapports géodésiques d’Explorer sur le Moyen-Orient.

— J’ai terminé. Mes collaborateurs y apportent les derniers détails. Je suis sur le rapport mensuel du prochain plan de travail, et j’ai pensé que le profil de l’Amérique du Sud… Du moins dans la limite du 14 eet de l’équateur…

— Rien que ça, alors que tous les travaux ne sont pas terminés et que l’aviation ne nous a pas communiqué tous ses documents de même que la N.A.S.A. Nous en avons pour des années avant de pouvoir commencer…

— Justement, je ne voulais parler que de profil.

Agacé, le directeur du département poussa vers lui le cliché.

— Tenez. Le prochain plan de travail est en partie fixé et concernera le bassin méditerranéen. Les Français ne vont pas tarder à nous communiquer les données qu’ils ont obtenues grâce à leur satellite dont les résultats sont excellents. En attendant, veuillez vérifier le travail de vos subordonnés. C’est votre rôle, la partie essentielle de vos fonctions, ne l’oubliez pas.

Mais Harvard n’écoutait que d’une oreille, trop heureux d’avoir récupéré son document. Il s’inclina distraitement, referma la porte avec douceur et traversa l’immense salle à pas feutrés pour rejoindre sa table de travail.

Il reprit sa cigarette, l’alluma rapidement et sortit une loupe très puissante de son tiroir. Tout de suite, il se pencha sur la photographie de 50x40.

Ignorant ou se moquant des signes qu’échangeaient entre eux ses subordonnés, il situa rapidement le point blanc exactement où il avait pensé le trouver.

— Extraordinaire !

Il compulsa les indications portées en bas et à droite de chaque photographie, qui donnaient, entre autres, les temps de passage de l’appareil, un U2 du Stratégie Air Command. Il nota les chiffres, puis calcula la distance sur le terrain.

Etonné par le résultat, il recommença ses calculs et retomba exactement sur le même nombre.

— Trente miles à l’heure. En pleine jungle. Inouï ! Et il n’y a jamais eu la moindre route à cet endroit, même pas une piste…

Il grommelait entre ses dents tout en salivant énormément. Si bien qu’il dut se débarrasser de sa cigarette qui se défaisait dans sa bouche.

— En quarante-cinq minutes, ce véhicule, certainement un camion si j’en crois mes yeux, a donc parcouru vingt-deux miles environ. Stupéfiant !

Le point blanc, sur le document en question, c’est-à-dire le 455, se situait sur la rive gauche du rio Meta en Colombie, au pied de la Cordillère. Et dans la 456, le point blanc se trouvait sur la rive droite.

— C’est à peine s’il a été obligé de ralentir. Il n’y a pas de pont. A cet endroit, le rio a un courant rapide… Pas de gué, dans ce cas… Alors ?

Son voisin tendait l’oreille en vain pour saisir le sens des paroles confuses que grommelait son chef. Campus s’en rendit compte et il se leva si brusquement que l’employé crut qu’il allait fondre sur lui. Le dédaignant, Harvard se dirigea vers les services techniques du département situés également au même étage. Le chef de travaux vint à sa rencontre. Les deux hommes se connaissaient depuis longtemps et s’estimaient.

— Il me faudrait rapidement un tirage au dix millionième, lui dit Harvard en tendant son cliché.

— Tu continues la miniaturisation ? D’habitude, tu me demandes des agrandissements impossibles.

— Je veux une vue d’ensemble. Peut-être que par la suite on opérera en plus grand.

— Toujours l’Amérique du Sud ?

— Pas un mot au patron. Je travaille pour l’avenir.

— Compris. Ces photos sont drôlement précises. Ils combinent plusieurs techniques et tous les détails apparaissent en net.

Harvard lui jeta un coup d’œil inquiet, mais l’autre n’insista pas.

— Dans dix minutes sur ton bureau. Lorsqu’il eut en main la réduction, Harvard constata que le point blanc, gros comme une tête d’épingle sur le document original, persistait encore, mais seulement pour un œil exercé doublé d’une forte loupe. Il préféra l’entourer d’un cercle à l’encre rouge, puis il la glissa dans sa poche, ce qui n’était pas interdit par le règlement du moment que l’original restait dans les archives. D’ailleurs, toute reproduction photographique comportait un repère de la N.G.S. interdisant la reproduction sans accord. Harvard travaillait sur ces documents depuis une quinzaine de jours et était certain d’avoir découvert quelque chose de vraiment sensationnel.

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