Ils montaient toujours. Enfin, la Buick franchit une grille et s’engagea dans un chemin privé. Il y en eut encore pour deux bons kilomètres avant d’apercevoir les lumières de la maison.
Tania était sur le perron, éblouissante en fourreau vert jade, qui semblait avoir été coulé sur elle, avec un décolleté à ridiculiser Sophia Loren. Mais Malko fut fasciné surtout par les mains longues et fines que terminaient des griffes rouges.
Elle planta ses grands yeux dans ceux de Malko. Pour une fois, les yeux d’or cillèrent. Ce qu’il lisait dans ces deux lacs verts était si précis qu’il eut envie de prendre la belle par la main et de l’entraîner sous un des grands arbres du parc.
— La route ne vous a pas paru trop longue, monsieur Linge ?… Entrez, je vous rejoindrai tout à l’heure. Je dois saluer les invités.
Malko obéit et entra. La maison était immense. Le living-room avait bien trente mètres de long. Il donnait sur une terrasse d’où on voyait au loin Téhéran. Les pièces étaient plongées dans la demi-obscurité. Une silhouette ondulante vint vers Malko :
— Je suis la sœur de Tania, fit une voix douce. Vous êtes Malko Linge ? Venez, je vais vous présenter.
Elle était moins jolie que Tania, mais encore très acceptable. Malko la suivit dans la pénombre. On lui présenta une bonne vingtaine de personnes aux noms imprononçables. Les hommes s’inclinaient très profondément, et les femmes tendaient des mains douces et fermes. Toutes étaient très parfumées et habillées de façon presque provocante.
Un électrophone distillait une musique de danse européenne. Des couples dansaient un peu partout, surtout dans les coins sombres. De jeunes femmes causaient sur les divans ; plusieurs hommes avaient déjà formé une table de jeu. On flirtait sur la terrasse. Malko suivait docilement son guide. Ils contournèrent un énorme buffet froid, chargé de plats d’inquiétantes couleurs, et enfin la sœur de Tania s’arrêta devant une forme assise dans un fauteuil.
— Saadi, tu connais Malko Linge, je crois ?
La forme se déplia et Malko eut devant lui le ravissant visage de chat de la fille du général Khadjar.
— Bien sûr. Comment allez-vous monsieur Linge ?
Malko baisa la main qu’on lui tendait. La soirée promettait : le choix allait être difficile. Était-ce voulu ?
— Alors, comment trouvez-vous l’Iran ? attaqua la jeune fille. Vous avez un peu voyagé ?
— Beaucoup, même, répondit Malko. Et je trouve que c’est un pays plein de surprises.
Pas la peine de préciser lesquelles.
Il voulut mettre la conversation sur un terrain qui l’intéressait.
— Malheureusement, je n’ai pas pu faire tout ce que je voulais. Les derniers jours ont été assez mouvementés, à Téhéran…
Saadi cracha comme un chat en colère.
— Ce n’était rien, rien du tout ! Quelques mécontents qui ont manifesté un peu violemment. Poussés par des communistes, bien entendu.
Tout en parlant, la jeune fille s’avançait vers la terrasse. Malko lui prit le bras, comme pour la guider.
— Mais il y a eu beaucoup de morts, paraît-il.
— Des morts ? – La voix de Saadi était furieuse. – Ce sont des mensonges de la propagande communiste. Les soldats tiraient en l’air, seulement pour se dégager.
— Mais j’ai vu des tanks…
— C’était pour leur faire peur.
C’était net et définitif. Les morts avaient dû mourir de peur. Ou Saadi était mal informée, ou elle mentait encore plus éhontément que son père. Malko quitta ce sujet brûlant :
— Où faites-vous faire vos robes ? Vous êtes merveilleuse.
Du coup, elle roucoula :
— À Paris. J’y vais deux fois par an. Vous aimez la façon dont je m’habille ?
— Beaucoup. Si nous dansions ?
La lune brillait, la terrasse baignait dans une agréable pénombre ; Saadi sentait bon et son corps doux et chaud s’appuyait, dans un frôlement de soie, contre celui de Malko. Que le chah était loin…
Malko ramena doucement contre sa poitrine sa main gauche, qui tenait celle de la jeune fille et la baisa du bout des lèvres. Rien que pour voir.
Elle appuya un peu plus sa joue contre celle de son danseur mais le corps ne suivit pas. Elle était nettement moins tendre que lors de leur précédente rencontre. C’était quand même agréable. Malko nageait dans un rêve doré quand une voix le fit sursauter :
— Je vous croyais perdu, Malko.
Tania était derrière eux, et c’était la première fois qu’elle l’appelait Malko.
Il eut un geste pour arrêter la danse avec Saadi.
— Ne bougez surtout pas, enchaîna Tania, de sa voix douce. Je craignais que vous ne vous ennuyiez, tout seul. – Elle marqua une pause. – Je ne savais pas que vous connaissiez déjà Saadi. A tout à l’heure.
Elle tourna les talons et s’éloigna en ondulant. La situation était critique. Malko devait choisir, et vite. Sinon, ces deux panthères se partageraient sa dépouille.
Il termina la danse sans pousser ses avantages. Pourtant Saadi se laissait un peu plus aller contre lui.
— Allons boire un verre, proposa-t-il.
— Bonne idée, fit Saadi. Rapportez-moi une orange pressée.
Furieux, Malko s’avança vers le buffet. Tania était entourée d’une douzaine de mâles, qui la dévoraient des yeux. En le voyant elle se tourna imperceptiblement. Il repartit vers la terrasse avec une vodka pure et un grand jus d’orange.
Coup de chance : Saadi n’était plus seule ! Deux garçons conversaient avec elle. Malko lui tendit son verre :
— Voilà votre drink, Saadi. Vous me retrouverez à l’intérieur.
Avant qu’elle n’eût le temps d’ouvrir la bouche, il avait disparu.
Tania était toujours très entourée. Cette fois, il n’y alla pas par quatre chemins. Il fendit le petit groupe et s’approcha :
— Vous voulez danser, Tania ?
En même temps, il lui prit la main et l’entraîna irrésistiblement loin de ses rivaux.
— Vous êtes affreusement mal élevé ! souffla Tania, quand il la prit dans ses bras.
— Moi ? Je vous ai seulement invitée à danser.
— Et vous ne m’avez pas laissé le choix.
— C’est un risque qu’il ne faut jamais prendre avec une femme.
Elle rit, mais continua à se tenir très droite et loin de lui. Avec une patience infinie, Malko, à la faveur de l’obscurité, entreprit de lui mordiller le bout de l’oreille droite. Elle se raidit un peu, mais laissa faire.
— Je suis heureux de vous retrouver, murmura Malko. Mais quand tous ces gens vont-ils partir ?
Tania sursauta :
— Quels gens ? Les invités, vous voulez dire ? Mais ils sont venus me voir eux aussi, figurez-vous !
— Quelle horreur ! soupira Malko. Je pensais que nous ne serions que deux : vous et moi.
— Vous êtes fou !
Il n’y avait pas beaucoup de conviction dans sa voix et Malko commençait à sentir que le corps de sa danseuse épousait le sien beaucoup plus étroitement. Profitant d’un coin d’ombre, il lâcha l’oreille et effleura de ses lèvres la bouche de la jeune fille. Elle frémit et ne dit rien.
Cinq minutes plus tard, c’est elle qui l’embrassait, aussi passionnément que la première fois. Ils s’étaient arrêtés au milieu des autres couples et oscillaient comme des ivrognes, soudés l’un à l’autre. Elle lui rendait son étreinte de toutes ses forces. Le désir de Malko s’était réveillé d’un coup. Il en avait presque mal.
Il se recula pour reprendre sa respiration. Les beaux yeux verts étaient noyés. Le bassin en avant, elle était tout entière tendue vers lui. Il mourait d’envie de la prendre là, tout de suite.
— Venez, murmura-t-il. Faites-moi visiter votre maison.
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