Fred Vargas - Dans les bois éternels

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Dans les bois éternels: краткое содержание, описание и аннотация

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Depuis sa rupture avec Camille, Adamsberg est devenu l'ombre de lui-même. Il en est même à courir après une revenante ! De tombes ouvertes en reliques disparues, d'évasion de prison en sacrifices d'animaux, il ne manquait plus que deux cadavres retrouvés égorgés dans Paris. La nonne, morte en 1771, qui hante sa nouvelle maison serait-elle responsable de ces drames ? Adamsberg a du mal à y croire. Et pourtant.
FRED VARGAS, archéologue de métier, a créé le
, genre littéraire à part entière, où la narration est empreinte d'humour, de liberté, et de poésie. Ses romans ont fait l’objet d'adaptations cinématographiques et télévisuelles et son œuvre est désormais traduite dans plus de trente pays. Humour, audace, génie des atmosphères et des personnages secondaires, écriture à la fois épurée et évocatrice… Dans les bois éternels, entre polar et tragédie grecque, est un petit bijou. LE MAGAZINE LITTÉRAIRE

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— On se tutoyait ? reprit-elle en faisant tomber sa cendre au sol. Il y a vingt-trois ans, j’avais déjà fait mon chemin, vous ne deviez être qu’un petit lieutenant.

— Tout juste un jeune brigadier.

— Vous me surprenez. Je ne tutoie pas facilement mes collègues.

— On s’entendait bien. Jusqu’à ce que l’énorme engueulade culmine et fasse trembler les murs d’un café du Havre. La porte a claqué, nous ne nous sommes plus jamais revus. Je n’ai pas eu le temps de finir ma bière.

Ariane écrasa son mégot sous son pied, puis se cala à nouveau sur le tabouret métallique, un sourire revenu, hésitant.

— Cette bière, dit-elle, je ne l’aurais pas lancée par terre, par hasard ?

— C’est cela.

— Jean-Baptiste, dit-elle en détachant les syllabes. Ce jeune crétin de Jean-Baptiste Adamsberg qui croyait tout savoir mieux que tout le monde.

— C’est ce que tu m’as dit avant de fracasser mon verre.

— Jean-Baptiste, répéta Ariane à voix plus lente.

Le médecin quitta son tabouret et vint poser une main sur l’épaule d’Adamsberg. Elle sembla proche de l’embrasser, puis renfourna sa main dans la poche de sa blouse.

— Je t’aimais bien. Tu disloquais le monde sans même en avoir conscience. Et d’après ce qu’on raconte du commissaire Adamsberg, le temps n’a rien amélioré. À présent, je comprends : lui, c’est toi, et toi, c’est lui.

— En quelque sorte.

Ariane s’accouda à la table de dissection où reposait le corps du grand Blanc, poussant le buste du mort pour s’appuyer plus à son aise. Comme tous les légistes, Ariane ne témoignait d’aucun respect envers les défunts. En revanche, elle fouillait dans l’énigme de leurs corps avec un indépassable talent, rendant ainsi hommage, à sa manière, à la complexité immense et singulière de chacun. Les études du Dr Lagarde avaient rendu glorieux les cadavres de vivants ordinaires. Passer entre ses mains vous faisait entrer dans l’Histoire. Mort, malheureusement.

— C’était un cadavre exceptionnel, se souvint-elle. On l’avait trouvé dans sa chambre, avec une lettre d’adieu raffinée. Un élu de la ville compromis et ruiné qui s’était tué d’un coup de sabre dans le ventre, à la japonaise.

— Saoulé au gin pour se donner du cran.

— Je le revois très bien, continua Ariane avec le ton adouci de ceux qui se remémorent une jolie histoire. Un suicide sans anicroche, précédé d’une tendance ancienne à la dépression compulsive. Le conseil municipal était soulagé que l’affaire n’aille pas plus loin, tu te rappelles ? J’avais rendu mon rapport, irréprochable. Toi, tu faisais les photocopies, les reliures, les courses, sans trop obéir. On allait boire un verre le soir sur les quais. Je frôlais la promotion, tu rêvais dans la stagnation. À cette époque, j’ajoutais de la grenadine dans la bière, et cela moussait d’un coup.

— Tu as continué d’inventer des mélanges ?

— Oui, dit Ariane d’un ton un peu déçu, des quantités, mais sans réelle réussite jusqu’ici. Tu te souviens de la violine ? Un œuf battu, de la menthe et du vin de Málaga.

— Je n’ai jamais voulu goûter ce truc.

— Je l’ai cessée, cette violine. C’était bien pour les nerfs mais trop énergétique. On a tenté beaucoup de mélanges, au Havre.

— Sauf un.

— Tiens.

— Le mélange des corps. On ne l’a pas tenté.

— Non. J’étais encore mariée et dévouée comme un chien malade. En revanche, on formait un duo parfait pour les rapports de police.

— Jusqu’à ce que.

— Jusqu’à ce qu’un petit crétin nommé Jean-Baptiste Adamsberg se foute dans le crâne que l’élu du Havre avait été assassiné. Et pourquoi ? Pour dix rats morts que tu avais ramassés dans un entrepôt du port.

— Douze, Ariane. Douze rats saignés d’un coup de lame dans le ventre.

— Douze, si tu veux. Tu en avais déduit qu’un meurtrier entraînait son courage avant de porter l’assaut. Il y avait autre chose. Tu trouvais la blessure trop horizontale. Tu disais que l’élu aurait dû tenir le sabre plus en biais, du bas vers le haut. Alors qu’il était ivre comme un Polonais.

— Et tu as jeté mon verre par terre.

— Je lui avais donné un nom, bon sang, à cette grenadine-bière.

— La grenaille. Tu m’as fait virer du Havre et tu as rendu ton rapport sans moi : suicide.

— Tu y connaissais quoi ? Rien.

— Rien, admit Adamsberg.

— Viens prendre un café. Tu me diras ce qui te tracasse avec tes cadavres.

IV

Le lieutenant Veyrenc était assigné à cette mission depuis trois semaines, calé dans un placard d’un mètre carré pour assurer la protection d’une jeune femme qu’il voyait passer sur le palier dix fois par jour. Et cette jeune femme le touchait, et cette émotion le contrariait. Il se déplaça sur sa chaise, cherchant une autre position.

Il n’avait pas à s’en faire, ce n’était qu’un grain de sable dans les rouages, une écharde dans le pied, un oiseau dans le moteur. Le mythe selon lequel un seul petit oiseau, si ravissant soit-il, pouvait à lui seul faire exploser la turbine d’un avion était une pure foutaise, comme les hommes savent tant s’en inventer pour se faire peur. Comme s’ils n’avaient pas assez de soucis comme cela. Veyrenc chassa l’oiseau d’un revers de pensée, dévissa son stylo et s’occupa à en nettoyer la plume avec soin. Il n’avait que cela à foutre, de toute façon. L’immeuble était plongé dans le silence.

Il revissa son stylo, l’accrocha dans sa poche intérieure et ferma les yeux. Quinze ans jour pour jour qu’il s’était endormi sous l’ombre interdite du noyer. Quinze ans de dur travail que nul ne lui arracherait. Au réveil, il avait soigné son allergie à la sève de l’arbre et puis, avec le temps, il avait apprivoisé les terreurs, grimpé jusqu’à l’amont des tourments pour juguler les turbulences. Quinze ans d’efforts pour transformer un jeune gars au torse creux, cachant sa chevelure, en un corps robuste et une âme solide. Quinze ans d’énergie pour ne plus voltiger en écervelé vulnérable dans le monde des femmes, qui l’avait laissé repu de sensations et saturé de complications. En se redressant sous ce noyer, il s’était mis en grève comme un ouvrier harassé, amorçant une retraite précoce. S’éloigner des crêtes dangereuses, mêler de l’eau au vin des sentiments, diluer, doser, briser la compulsion des désirs. Il se débrouillait bien, à son idée, loin des embrouilles et des chaos, au plus près de quelque idéale sérénité. Relations inoffensives et passagères, nage rythmée vers son objectif, labeur, lecture et versification, état presque parfait.

Il avait atteint sa cible, se faire muter à la Brigade criminelle de Paris, emmenée par le commissaire Adamsberg. Il en était satisfait, mais surpris. Il régnait dans bette équipe un microclimat insolite. Sous la direction peu perceptible de leur chef, les agents laissaient croître leur potentiel à leur guise, s’abandonnant à des humeurs et des caprices sans rapport avec les objectifs fixés. La Brigade avait accumulé des résultats incontestables, mais Veyrenc demeurait très sceptique. À savoir si cette efficacité était le résultat d’une stratégie ou le fruit tombé de la providence. Providence qui fermait les yeux, par exemple, sur le fait que Mercadet ait installé des coussins à l’étage et y dorme plusieurs heures par jour, sur le fait qu’un chat anormal défèque sur les rames de papier, que le commandant Danglard dissimule son vin dans le placard de la cave, que traînent sur les tables des documents sans lien avec les enquêtes, annonces immobilières, listes de courses, articles d’ichtyologie, reproches privés, presse géopolitique, spectre des couleurs de l’arc-en-ciel, pour le peu qu’il en avait vu en un mois. Cet état de choses ne semblait troubler personne, sauf peut-être le lieutenant Noël, un gars brutal qui ne trouvait personne à son goût. Et qui, dès le second jour, lui avait adressé une remarque offensante à propos de ses cheveux. Vingt ans plus tôt, il en aurait pleuré mais aujourd’hui il s’en foutait tout à fait ou presque. Le lieutenant Veyrenc croisa les bras et cala sa tête contre le mur. Force indélogeable lovée dans une matière compacte.

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