Fred Vargas - L'Armée furieuse

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L'Armée furieuse: краткое содержание, описание и аннотация

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Avec sa petite blouse à fleurs et son air timide, Valentine Vendermot et son histoire de fantômes ne sont pas de taille à mobiliser une brigade parisienne. Pourtant, le commissaire Adamsberg a très envie de s'intéresser à cette chevauchée nocturne dans le bocage normand. Il délègue l'enquête en cours et se rend sur les lieux : Ordebec, son église, son bistrot, son chemin de Bonneval, ses crimes atroces.
FRED VARGAS, archéologue de métier, a créé le
, genre littéraire à part entière, où la narration est empreinte d'humour, de liberté, et de poésie. Ses romans ont fait l’objet d'adaptations cinématographiques et télévisuelles et son œuvre est désormais traduite dans plus de trente pays. Rien ne manque dans cette
 […] : le suspense délectable qui ne faiblit pas d'une page à l'autre, la brutalité des relations humaines sublimée par l'utilisation des contes et légendes, […] l'effet cathartique du dénouement et la sensation du lecteur de rentrer d'un long voyage peu banal.
LE NOUVEL OBSERVATEUR

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— Vous avez mis le temps depuis la gare, dit-elle.

— J’ai cueilli des mûres, expliqua Adamsberg, se demandant comment une voix si assurée pouvait sortir de cette carcasse étroite. Étroite mais intense. Vous savez qui je suis ?

— Pas tout à fait. Lionel vous a vu descendre du train de Paris et prendre le car. Bernard me l’a dit et, l’un dans l’autre, vous voilà. Par les temps qui courent, et avec ce qui se passe, ça ne peut pas être grand-chose d’autre qu’un policier de la ville. L’air est mauvais. Remarquez bien que Michel Herbier, ce n’est pas une perte.

La vieille femme renifla bruyamment, passa le dos de sa main sous son très grand nez pour y cueillir une goutte.

— Et vous m’attendiez ?

— Mais non, jeune homme, j’attends mon chien. Il s’est entiché de la chienne de la ferme des Longes, juste derrière. Si je ne l’emmène pas la couvrir de temps à autre, il perd ses nerfs. Renoux, le fermier des Longes, est furieux, il dit qu’il ne veut pas de petits bâtards plein sa cour. Mais qu’est-ce qu’on y peut ? Rien. Et avec ma grippe d’été, je n’ai pas pu l’emmener depuis dix jours.

— Et vous n’avez pas peur, seule sur ce chemin ?

— À cause ?

— À cause de l’Armée furieuse, tenta Adamsberg.

— Pensez, dit la femme en secouant la tête. D’abord il ne fait pas nuit et quand bien même, je ne la vois pas. C’est pas donné à tout le monde.

Adamsberg apercevait une énorme mûre au-dessus de la tête de la grande femme mais il n’osait pas la déranger pour cela. Étrange, pensa-t-il, comme l’esprit de cueillette revient instinctivement chez l’homme après seulement vingt pas en forêt. Cela aurait plu à son ami préhistorien, Mathias. Car si on y pense, c’est cueillir qui est ensorcelant. Car la mûre, en soi, n’est pas un fruit passionnant.

— Je m’appelle Léone, dit la femme en essuyant une nouvelle goutte sous son grand nez. Mais on m’appelle Léo.

— Jean-Baptiste Adamsberg, commissaire de la Brigade criminelle de Paris. Heureux de vous avoir connue, ajouta-t-il poliment. Je vais poursuivre mon chemin.

— Si c’est l’Herbier que vous cherchez, c’est pas par là que vous le trouverez. Il est écarroui dans son sang noir à deux pas de la chapelle Saint-Antoine.

— Mort ?

— Depuis longtemps, oui. Ce n’est pas qu’on va le pleurer mais ce n’est pas beau. Celui qu’a fait ça n’y a pas été de main morte, on n’y voit même plus la tête.

— Ce sont les gendarmes qui l’ont trouvé ?

— Non, jeune homme, c’est moi. Je vais souvent mettre un bouquet à la chapelle, je n’aime pas laisser saint Antoine à l’abandon. Saint Antoine protège les animaux. Vous en avez un, d’animal ?

— J’ai un pigeon malade.

— Alors ça tombe bien, vous voyez. Quand vous passerez à la chapelle, il faudra avoir une pensée. Il aide aussi à retrouver les affaires qu’on a perdues. En vieillissant, je perds des choses.

— Ça ne vous a pas choquée ? Ce cadavre là-haut ?

— Ce n’est pas pareil quand on s’y attend. Je savais bien qu’on l’avait tué.

— À cause de l’Armée ?

— À cause de mon âge, jeune homme. Ici, un oiseau ne peut pas pondre un œuf sans que je le sache ou que je le sente. Tenez, vous pouvez être sûr que, cette nuit, un renard a croqué une poule à la ferme de Deveneux. Il n’a plus que trois pattes et un moignon de queue.

— Le fermier ?

— Le renard, j’ai vu ses crottes. Mais croyez-moi, il se débrouille. L’année passée, une mésange charbonnière s’est entichée de lui. Première fois que je voyais ça. Elle habitait sur son dos et il ne l’a jamais mangée. Elle et pas une autre, attention. Il y a beaucoup de détails dans le monde, vous avez remarqué ça ? Et comme chaque détail ne se reproduit jamais sous la même forme et met en branle d’autres détails, ça va loin et ça va loin. Si l’Herbier avait été vivant, il aurait fini par tuer le renard et, du coup, la mésange. Ça aurait encore fait toute une guerre aux élections municipales. Mais je ne sais pas si la mésange est revenue cette année. Manque de chance.

— Les gendarmes sont déjà sur place ? Vous les avez prévenus ?

— Et comment voulez-vous ? Je dois attendre mon chien, moi. Ou si vous êtes pressé, vous n’avez qu’à les appeler.

— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, dit Adamsberg après un moment. Les gendarmes n’aiment pas que les gars de Paris se mêlent de leurs affaires.

— Et pourquoi vous êtes là alors ?

— Parce qu’une femme d’ici est venue me voir. Alors je suis passé.

— La mère Vendermot ? C’est sûr qu’elle a peur pour ses mômes. Comme c’est sûr qu’elle aurait mieux fait de se taire. Mais cette histoire l’inquiète tellement qu’elle n’a pas pu s’empêcher d’aller chercher de l’aide.

Un grand chien beige aux longues oreilles molles déboucha brusquement des buissons en jappant et vint poser sa tête sur les maigres et longues jambes de sa maîtresse, les yeux clos, comme en guise de remerciement.

— Hello, Flem, dit-elle en s’essuyant le nez pendant que le chien essuyait sa propre truffe sur sa jupe grise. Vous voyez qu’il a l’air content.

Léo sortit un sucre de sa poche et le fourra dans la gueule du chien. Puis Flem vint tourner autour d’Adamsberg, affolé de curiosité.

— C’est bon, Flem, dit Adamsberg en lui tapotant le cou.

— Son vrai nom, c’est Flemmard. Depuis qu’il est tout bébé, c’est un tire-au-flanc. Il y a toujours des gens pour dire qu’à part couchailler partout, il ne sait rien faire d’autre. Et moi je dis que ça vaut mieux que de mordre tout le monde.

La vieille femme se leva, dépliant toute sa carcasse penchée, et s’appuya sur ses deux cannes.

— Si vous rentrez chez vous pour les appeler, demanda Adamsberg, m’autorisez-vous à vous accompagner ?

— Au contraire, j’aime bien la compagnie. Mais je ne trotte pas vite, on y sera en une demi-heure en coupant par le bois. Avant, du vivant d’Ernest, j’avais transformé la ferme en auberge. On faisait la nuit et le petit déjeuner. Alors à cette époque, il y avait du monde tout le temps, et puis des jeunes. Il y avait de la gaîté, ça allait ça venait. J’ai dû arrêter il y a douze ans et maintenant c’est plus triste. Alors quand je trouve de la compagnie, je ne refuse pas. Causer à personne, ça ne vaut rien.

— On dit que les Normands n’aiment pas beaucoup parler, hasarda Adamsberg qui se mit à marcher dans le sillage de la femme, qui exhalait une légère odeur de feu de bois.

— Ce n’est pas qu’ils n’aiment pas parler, c’est qu’ils n’aiment pas répondre. Ce n’est pas la même chose.

— Alors comment fait-on pour poser une question ?

— On se débrouille. Vous me suivez jusqu’à l’auberge ? Le chien a faim maintenant.

— Je vous accompagne. À quelle heure passe le train du soir ?

— Le train du soir, jeune homme, il est déjà passé depuis un bon quart d’heure. Il y a bien celui de Lisieux, mais le dernier car part dans dix minutes, c’est sûr que vous l’aurez pas.

Adamsberg n’avait pas prévu de passer la nuit en Normandie, il n’avait rien emporté, hormis quelques billets, sa carte d’identité et ses clefs. L’Armée furieuse le coinçait sur place. Sans s’en soucier, la vieille se faufilait avec vivacité entre les arbres en s’appuyant sur ses cannes. On aurait dit une sauterelle procédant par bonds par-dessus les racines.

— Il y a bien un hôtel à Ordebec ?

— Ce n’est pas un hôtel, c’est un clapier à lapins, affirma la vieille de sa voix forte. Mais il est en travaux. Vous avez des connaissances chez qui dormir, je suppose.

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