«Je me trouvai dans une chambre très simple qui donnait sur la cour.
«Devant la fenêtre, une table à écrire; au fond de la pièce, un grand lit à baldaquin, quelques chaises et deux fauteuils couverts de velours d’Utrecht: voilà pour l’ameublement. Près de la cheminée, une grande malle en cuir.
«C’est en furetant derrière cette malle, je l’ai su depuis, que M. Prosper a trouvé le billet de Boulet-Rouge.
«M. Bréhat-Kerguen ouvrit la fenêtre, poussa les persiennes qui étaient à demi fermées, et le grand jour pénétra dans la chambre.
«Il planta une chaise devant la fenêtre:
«- Asseyez-vous là!» me dit-il.
«Il se plaça lui-même le dos au jour et commença à m’interroger sur mes antécédents, mes habitudes, mes relations, etc., etc., avec toute la minutie d’un juge d’instruction exercé. Mais j’avais composé, chemin faisant, une fable que je lui débitai sans hésiter ni me couper; et plus ses questions étaient précises, plus mon esprit, surexcité par cette sorte de lutte, me fournissait des réponses catégoriques et conformes au rôle que je jouais.
«Il paraît qu’il fut satisfait de cet examen, car après avoir réfléchi quelques instants, en se promenant de long en large dans la chambre, il s’arrêta de nouveau devant moi et me dit:
«- C’est bon, je vous prends à mon service. Nous partirons pour la Bretagne… le plus tôt possible… Descendez et dites à l’intendant de venir me parler.»
«J’étais dans la place!…»
« Trois jours après, j’appris de M. Prosper, qui me traitait avec une sorte de pitié hautaine et me donnait de sages conseils chaque fois que ma naïveté campagnarde m’attirait la colère de mon maître, j’appris, dis-je, de cet honnête intendant, qu’on allait lever les scellés sur la requête de M. Bréhat-Kerguen et de M. Castille, les plus proches parents du défunt.
«En effet, le soir vers huit heures, le juge de paix vint, assisté de son greffier, procéder à cette opération et à la confection de l’inventaire.
«J’avais attendu ce moment avec une impatience indicible. J’allais donc enfin pénétrer dans la chambre où le crime avait eu lieu! J’allais atteindre en partie le but pour lequel j’avais revêtu ce pénible déguisement! Après avoir étudié de près l’homme, j’allais étudier de près les choses!
«À huit heures donc, M. Prosper me dit d’un ton où perçait un vif dépit:
«- Monsieur vous demande. Le juge de paix et M. Castille sont là. Je m’étais offert pour aider ces messieurs et les éclairer, mais monsieur a refusé mes services et m’a dit de vous prévenir. Prenez cette lampe… mieux que cela! Voyons donc… imbécile… vous allez renverser l’huile!… Là, montez vite, monsieur vous attend.»
«Le juge de paix était arrivé, ainsi que M. Castille, neveu du défunt.
«Nous entrâmes dans le cabinet où l’autopsie avait eu lieu.
«Le juge de paix procéda gravement à la levée des scellés. Lorsqu’il eut enlevé le dernier cachet et la dernière bande de papier, M. Bréhat-Kerguen ne put retenir un léger soupir de satisfaction.
«Le magistrat tira de sa poche la clef qu’on lui avait confiée et ouvrit la porte.
« - Passez le premier, me dit-il; éclairez-nous.»
«On avait laissé la chambre dans l’état où elle était le jour du crime. Le lit était encore défait et les draps traînaient sur le tapis.
«Cette chambre était la dernière de la maison; ses fenêtres s’ouvraient sur le jardin. Je remarquai qu’elles étaient solidement grillées. Le mobilier, ici encore, était fort simple et peu en rapport avec l’immense fortune du défunt.
«À quelques pas du lit était placé le fameux secrétaire.
«C’est de ce côté que se dirigèrent d’abord les quatre assistants.
«- On n’a toujours pas trouvé le testament? nasilla le juge de paix.
«- Non!» répondit M. Castille, qui paraissait fort ému et qui adressait à son voisin, M. Bréhat-Kerguen, des regards où on lisait une rage sourde. Celui-ci restait impassible.
«- Allons! reprit le juge de paix, cherchons encore; nous serons peut-être plus heureux cette fois.»
«Était-ce une illusion? Il me sembla qu’un sourire imperceptible avait effleuré les lèvres charnues du Breton.
«Les papiers furent encore retournés, les registres ouverts et feuilletés avec soin. Après une heure de recherches, on ne découvrit aucun mot indiquant les volontés dernières de M. Bréhat-Lenoir.
«- Vous le voyez, monsieur, dit le juge de paix à M. Castille, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir. Il est décidément bien établi que votre oncle n’a pas laissé de testament. Vous n’aviez pas connaissance, n’est-ce pas, que le défunt eût d’autres papiers que ceux-ci?
«- Non, monsieur, répondit l’héritier déçu, sur le front duquel perlait la sueur… Non, mon oncle – il me l’a dit mille fois – mettait tous ses papiers et tout son or dans ce secrétaire.
«- Oh! quant à l’argent, reprit le juge de paix, nous savons où il est allé…! Mais c’est vraiment singulier qu’on ne trouve pas un testament… Enfin la moitié de ma tâche est accomplie… Je vais maintenant procéder à la confection de l’inventaire.»
«Le greffier s’approcha d’une table, y déposa une serviette bourrée de papiers et se tint prêt, la plume sur l’oreille et le nez relevé, à noter les indications de son chef.
«À ce moment, je vis le regard de M. Bréhat-Kerguen – que je ne perdais pas un instant de vue, sans qu’il s’en aperçût, – se fixer avec inquiétude du côté de la cheminée. Ce ne fut qu’un éclair, et il reprit aussitôt son air indifférent et farouche.
«Je suivis son regard.
«La montre du défunt, superbe Bréguet à double boîte d’or enrichie de pierreries, était suspendue à un clou près de la cheminée.
«Voilà un étrange voleur, pensai-je, qui tue un homme pour forcer son secrétaire où il sait ne devoir trouver que quelques pièces d’or, et qui néglige de s’emparer d’une montre de trois mille francs!»
«On commença par inventorier les meubles, table, chaises, fauteuils, etc.
«- Voyons un peu ces rideaux! dit le juge de paix en s’approchant de la fenêtre. Éclairez-nous, mon garçon… Hum!… c’est du damas de soie!»
«Le petit greffier leva le nez.
« - Je croirais plutôt, dit-il, que nous avons là du damas de laine. Mon père et mon oncle en vendaient; je dois m’y connaître.»
«Une discussion s’éleva sur cette grave question entre le patron et son greffier.
«Pendant ce temps, j’observais attentivement les fenêtres. Elles étaient, je vous l’ai dit, munies de grilles solides; de plus, l’espagnolette était fixée par un gros cadenas: «Ce n’est pas par là qu’il est entré», pensai-je.
«En examinant avec attention le tapis qui touchait à la fenêtre droite, je crus y apercevoir des taches de boue (je ne sais si vous vous souvenez qu’il a beaucoup plu le 2 janvier, et que depuis il a gelé à pierre fendre). On eût dit que quelqu’un avait stationné derrière ces rideaux, près de la fenêtre, pendant un certain temps.
«Je notai encore cette circonstance dans ma mémoire.
«Ce fut le juge de paix qui l’emporta. Le petit greffier finit par convenir qu’il y avait dans les rideaux plus de soie que de laine.
«- Eh bien, et ce tapis, continua le magistrat, il ne faut pas l’oublier. Tenez, mon garçon, continua-t-il en s’adressant à moi, posez la lampe par terre.»
«Je fis ce qu’il désirait, et, après quelques instants de minutieux examen, je vis une trace de pas presque imperceptible, marquée en sable jaunâtre sur le tapis.
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