— Alors ?
— Alors il faut que ça se passe dehors. Et dehors, mon petit ami, tu n’y retourneras que si tu t’accuses du meurtre de Little Joly…
Un trait de lumière m’inonde la coupole.
— J’y suis : à cause de la reconstitution ?
— Exactement.
Je pige tout, maintenant. Brave gosse, cette Sissy ! Si je me tire de ce piège à rat, je lui réserverai une de ces nuits d’amour telle que le père Casanova lui-même n’en a jamais connue.
— Tu es d’accord, maintenant ?
— Tu parles !
— Autre chose, fait Centanaro, la petite a apporté un flingue ce matin. Comme, pour se rendre chez le juge, on passe par une autre porte, elle n’a pas subi l’épreuve de la cellule magnétique. Elle a planqué l’arme sous le coussin de son fauteuil. J’espère que les femmes de ménage ne sont pas trop consciencieuses…
Y a pas à dire : Centa ne véhicule que les messages, mais il les véhicule proprement.
Je lui flanque une bourrade dans les côtes.
— Doucement, fait-il. Ne t’emballe pas trop vite, petit.
Après la briffe du soir, je me prépare à pioncer lorsque la porte de ma cellote s’ouvre. Les gardiens font entrer un grand mec avec son baluchon et nous laissent.
L’arrivant est aussi sympathique que le masque mortuaire du mahatma Gandhi. Il a une gueule lisse comme de la cire, et rosâtre. On dirait qu’il a été passé au chalumeau. Des grands yeux intenses brillent au fond de ses vérandas.
Il me salue d’un grognement et se présente : son blaze c’est Jiky Lerogner ; son papa était Canadien et sa mère poitrinaire, sans doute, car il tousse comme un chat qui se serait tapé le contenu d’un sac d’aspirateur. Le gars renifle le mouton et ça me donne envie de bêler. Les moutons sont les animaux de choc des flics.
Tout en balançant ses B.K., il se met à m’expliquer en détail les différentes phases d’une exécution capitale. Il doit avoir assisté à une flopée de cérémonies de ce genre, car il est drôlement rencardé, Jiky ! Il connaît le truc par cœur : la boule de métal qui, en tombant, déclenche le ressort de la trappe. Le bourreau avec sa cagoule noire… Les trois gardiens qui tranchent la ficelle libérant la fameuse boule…
J’en ai mal à la nuque à force de l’écouter.
Au début, il m’a amusé, mais à la longue il commence à me courir. Son boniment, je le devine, il l’a mis au point une fois pour toutes et il le débranche à tous les gnaces qui viennent de se faire poirer afin de leur ramollir les noisettes. Travail de sape. L’adversaire boulonne par la base. Je me lève, je m’approche de sa couchette et je lui mets un taquet au menton.
— Mesdames, messieurs, fais-je en prenant la voix d’un speaker de la radio, nos émissions sont terminées.
Et je retourne me pieuter.
Mon compagnon a immédiatement compris à qui il avait affaire, car il n’ouvre plus la bouche que pour faire l’inventaire de ses dents.
Avant d’en écraser, je fais le point. Les révélations de Centanaro au sujet de ma gosse Sissy m’ont mis du rose dans le cœur. Mon petit doigt me dit que, sous peu, il va se produire du nouveau et, du nouveau, au point où j’en suis, ça ne peut qu’être du mieux.
Je me mets à penser au pétard que ma souris a carré sous le coussin de cuir de son fauteuil. Je donnerais la Corée du Sud pour l’avoir sous mon oreiller en ce moment. J’ai l’impression qu’il me ferait faire de beaux rêves… Je me dis que ça va être plutôt coton pour le sortir de la grande taule. Primo, il faut que personne ne le découvre avant ma prochaine visite au juge. Secundo, je devrai me débrouiller pour prendre place demain dans le fauteuil que Sissy occupait ce matin, ensuite, pour m’emparer de l’arme sans être vu ; puis, pour la planquer sur moi jusqu’au jour de la reconstitution et, enfin, et surtout, pour le faire échapper à la fouille pratiquée à fond sur chaque détenu franchissant le seuil de l’abbaye, dans un sens ou dans l’autre.
La présence de cet enfoiré de Jiky ne va pas arranger les choses.
Le lendemain matin, je passe à la douche en compagnie du grand tubard. Son menton s’orne d’un ravissant cerne où se marient les couleurs de l’arc-en-ciel, avec une nette dominance du mauve au cyclamen. Il me renouche d’un air langoureux.
— Et alors trésor, je lui fais, t’as d’autres histoires gaies à me raconter ?
— T’es brutal, fait-il d’un ton geignard.
Le surveillant s’approche. C’est une portion de connerie de six mètres de haut. Il a des yeux aussi cordiaux que ceux d’un chien danois qui se fait coincer la queue dans l’engrenage d’un moulin à café. Il examine le menton de Jiky, me regarde, regarde mes poings et d’un barrissement profond m’exprime son état d’âme.
Il m’explique que je suis le plus remarquable enfant de salaud que le diable ait jamais cloqué à cette pauvre humanité ; mais qu’il a cependant dressé des petits dessalés mieux charpentés que moi, et que les gars qui jouent les terreurs, il les rend si doux qu’un agneau de trois jours en chialerait d’écœurement.
Ce discours étant expulsé de son arrière-gorge, il dit au gars Jiky de cavaler à l’infirmerie pour se faire emmitoufler la mâchoire.
Une demi-heure plus tard, mon caïd radine avec, au menton, un tampon de gaze gros comme le Graff Zeppelin.
— Oh dis donc ! je m’exclame, on les chouchoute, les mouchards, dans cette crèche…
— Quoi ! quoi ! protesta-t-il…
— Passe la main ! Les casseroles, je les renifle à cent pas !
Il a sa dignité, car il proteste encore de sa voix monotone : une voix à annoncer l’arrivée des trains à la gare Centrale !
Je regarde le tampon fixé à sa gogne. Je suis pensif. Et quand l’Ange Noir devient pensif, c’est que son subconscient est en train de faire des heures supplémentaires.
Soudain je me lève et, d’un coup sec, j’arrache le pansement.
— Tu as tout du père Noël, avec ça, je lui dis en manière d’explication.
Il ne proteste pas. Lui, c’est le genre de mec que la vie a malmené. Il a pas plus de ressort qu’un pistolet Eurêka. Il bosse dans le petit rapportage, dans la salade pour syndicat d’initiative. Sa raison sociale, c’est de tousser. À part ça, il doit grimper après les becs de gaz lorsqu’un clébard le regarde de travers.
Je fais semblant de balancer le tampon dans le trou des gogs, mais en réalité je ne jette que la gaze. En douce, je récupère le sparadrap et je le colle sur mon avant-bras. Puis je rabaisse ma manche et je retourne m’allonger sur mon paddock, en attendant l’heure de l’interrogatoire.
Une drôle de paix en moi. Je me sens costaud comme la statue de la Liberté. Le grand patacaisse va commencer, et c’est un truc que j’aime moi, la bigornanche ! Je sais très bien qu’un de ces quatre, je dégusterai du plomb chaud à plein bol, mais c’est exactement comme ça que je rêve de clamser.
Glavioter ses éponges dans un mouchoir sur le coup de quatre-vingts berges ne me tente pas. C’est pas un idéal pour truand. Je suis d’accord avec le grand-Mec pour finir comme j’ai vécu, car je sais que ça, c’est de la logique !
Lorsqu’un peu plus tard je pénètre dans le bureau de Valzing, je fonce comme un taureau jusqu’au fauteuil de gauche. C’est celui qu’occupait la môme Sissy ; pas moyen de se tromper sur ce point, car c’est le seul qui ait des housses de cuir. Je m’y laisse tomber avec le « han » de satisfaction du pauvre mec qui a passé la nuit sur un plumard au matelas en bronze. Le magistrat ouvre les grandes canalisations. Il me chante des romances qui feraient pleurer un sac de farine. Il me dit qu’il arrive un moment de la vie où il faut savoir s’arrêter. Que le repentir est ce qui se fait de mieux comme brosse à faire reluire la moralité. Que si j’y allais de ma chansonnette, les jurés deviendraient sentimentaux comme des jeunes chiens ! Et d’autres balourdises tellement grosses qu’elles ne rentreraient pas au Stadium.
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